Crdits photo : Laurent Humbert
Une semaine aprs la sortie de son nouvel album, Emmanuel Moire dbarque, souriant et dtendu, au sein d’un htel charmant place du Panthon, proche des locaux d’Universal. Il me reconnait suite notre prcdente interview en 2013. Idal pour reprendre tout naturellement la discussion…
Propos recueillis par Julien Gonalves.
Comment tu te sentais la semaine dernire, lors de la sortie de ton album « La rencontre » ?
C’est toujours un peu particulier, car mme si je suis confiant car content du travail, c’est une question de got. Est-ce que les gens vont accrocher ou pas ? a, tu ne peux pas le savoir. Mais je suis content car j’ai pris le temps de faire un disque diffrent, de travailler avec les gens avec qui j’avais envie de travailler, de prserver ma crativit. Aprs, tu passes une autre phase, celle d’aller en parler et d’avoir des gens qui t’en parlent. C’est trs curieux. Maintenant, le projet m’chappe, il faut l’accepter. Donc il y a l’excitation, car tu as envie que a devienne concret, et un peu d’apprhension.
Mais le succs du prcdent t’a quand mme rassur j’imagine ?
a rassure le temps que tu es sur ce disque-l, mais aprs quand tu en commences un nouveau… C’est pour tout le monde pareil. Tous mes camarades qui font de la chanson, c’est la mme chose. Ce n’est pas parce que tu as un succs avec un disque que le suivant c’est gagn. Et l’inverse marche aussi. Pour moi, c’est une remise en question qui est assez perptuelle sur chaque nouveau disque ou chaque nouveau projet. Je suis assez prudent.
Le succs ou l’chec, ce n’est pas personnel
Ce n’est pas usant chaque fois d’avoir cette remise en question ?
Non, aprs il faut accepter la rgle du jeu. Je ne le vis pas aujourd’hui comme je le vivais il y a dix ans. A un moment, le succs ou l’chec, ce n’est pas personnel. C’est un projet. Mme quand on ne fait pas ce mtier-l, il y a des choses qui sont un succs et d’autres qui fonctionnent moins. Il ne faut pas que a atteigne ce point-l. J’ai vcu le bon et le mauvais donc heureusement que j’ai ce recul. Bien sr, on prfre que a fonctionne, c’est plus simple pour tout le monde, c’est plus facile vivre.
L’album est entr deuxime des ventes, derrire Matre Gims. Tu savais que a allait tre compliqu de l’affronter ?
(Sourire) Bah oui ! On ne fait pas le mme travail mais je suis au courant de ce qu’il se passe. Il est aussi trs populaire par rapport ses chansons, son travail. C’est logique. Mais on tait trs conscient de a.
Et puis « La rencontre » effectue une belle entre quand mme…
Je suis trs content ! Surtout que le contexte est trs diffrent pour moi. Pour le prcdent, c’tait une poque trs mdiatique, je sortais de « Danse avec les stars ». Je faisais dj des plateaux sans parler vraiment d’un disque. L, on est dans autre chose, c’est plus pos, moins expos. On est plus sur mon travail, et on aime ou on n’aime pas.
Dans ce mtier, rien n’est concret
C’tait l’t aussi, c’est forcment plus calme…
a a t assez tardif, oui. Le travail se fait maintenant. Ce n’est pas plus mal. Et puis, il faut aussi accepter que chaque disque ait une histoire diffrente. C’est intressant. Ce n’est pas vident car on a des anciens repres, on sait comment a a fonctionn… L’histoire ne va pas se drouler de la mme manire. C’est un travail a aussi, de ne pas faire de comparaisons. Ce n’est pas ce que j’aime car pour moi ce n’est pas moteur. a va se construire autrement. Mme moi, je ne suis pas dans le mme tat d’esprit, les chansons sont diffrentes. Dans ce mtier, rien n’est concret. Tout reste crire chaque fois.
a permet aussi de rester humble, de garder les pieds sur Terre ?
C’est un peu ce je suis. Je ne suis pas quelqu’un qui a souvent l’impression d’tre arriv quelque part. A part juste moi avec moi-mme, si je fais un bilan des dix ans en arrire, de comment je m’en suis sorti. (Sourire) Je trouve quand mme que j’ai acquis des choses. Au niveau du boulot, je n’ai pas cet esprit-l. Aprs, a ne veut pas dire que je ne suis pas en mode conqurant. Il faut garder un petit sas… d’humilit, oui. (Rires)
Les chiffres de ventes diminuent au fil du temps. Est-ce que les chiffres signifient encore quelque chose aujourd’hui pour toi ?
Oui et non. a a plus d’impact d’en vendre 16.000 que 3. On est tous en train de regarder a quand mme. Mais je me disais aussi, car on me parlait de l’audimat, des nouvelles missions de rentre… Je me dis qu’on est trop sur les chiffres, surtout quand quelque chose commence. Comme la sortie d’un disque. Il faut peut-tre lui laisser un peu plus de temps qu’une seule semaine de classement. Surtout pour un album comme celui-ci. Il faut laisser le temps aux choses de s’installer. Et ce n’est pas la qualit premire d’aujourd’hui, du mtier. Parfois, c’est un peu difficile.
Dcouvrez le clip « Bienvenue » d’Emmanuel Moire :
Et frustrant ?
C’est plus que frustrant ! (Rires) Quand tu as travaill huit mois ou un an sur un disque, et que c’est pli en trois semaines… Effectivement, raisonner en termes de chiffres aujourd’hui, c’est compliqu, on a d’anciens repres. Tout a c’est en changement, en mouvement.
Pourquoi avoir choisi « La rencontre » comme titre pour l’album ? C’est la rencontre sur le chemin ? La suite logique ?
En fait, je travaille avec Yann (Guillon, ndlr) depuis le dbut. Entre nous, c’est toujours rflchi et pens. Entre « L’quilibre », « Le chemin » et « La rencontre », dj, forcment, il y a du lien et du sens. On savait dj que a allait parler de rencontres cet album. Une rencontre avec quelqu’un, avec soi, avec un public, de rsonner les uns avec les autres. Le titre « La rencontre », c’est plus crit. Si j’avais choisi « Mes rencontres » ou « Ma rencontre », c’tait pire. Comme pour mes deux prcdents albums, c’est trs concret et en mme temps trs abstrait. a laisse une dimension universelle.
Oui, il y a des choses qui se rptent
Comment on fait pour ne pas se rpter d’un album un autre ?
Je ne me pose pas cette question-l quand je travaille. Ce n’est pas un point de dpart de travail. Je pense… L, je joue contre moi. Mais si on fait attention, oui, il y a des choses qui se rptent. Parce qu’on a cette faon de dire les choses, de parler de la vie, de l’humain. Concrtement, on revient sur les mmes choses mais l’angle de vue change. Je pense que tous les artistes ont leur patte. Et puis, on a envie de la retrouver aussi. Il y a forcment une part de rptitions, dans la forme. Dans le fond, a change. L, j’ai essay d’ouvrir aux autres, dans les textes mais mme dans la faon de faire les musiques, les choeurs… Comme dans « Les vivants ». Ce n’est pas un album qui parle que des autres, mais c’est plus qu’avant. C’est ce que je voulais. Je voulais aller plus loin, arrter de parler que de moi. Et « Je », ce n’est pas forcment moi.
L’ajout de guitares, c’tait aussi un moyen de sortir d’une caricature de l’artiste au piano qui fait des ballades ?
Bah moi j’adore a, j’adore le piano, c’est moi. Je ne vais pas le renier. Ce serait une erreur de vouloir changer. Mais je voulais enrichir mon travail. J’aime apprendre et j’avais envie d’apprendre la gratte. Donc je me suis mis la gratte, a m’a permis de faire un morceau indit guitare-voix lors de ma dernire tourne. Et a a dirig la moiti des titres qui ont t faits la guitare… Ce n’est pas la rvolution, mais a apporte quelque chose. Comme les choeurs. a faisait longtemps que j’avais envie de chanter avec d’autres gens. C’tait cohrent avec cette envie d’ouverture en plus.
Par contre, certains fans ont dplor l’absence dlectro. Il y en avait une petite touche sur « Le chemin ». Pourquoi ce choix ?
Oh, une petite touche… C’tait limite quand mme. C’tait de la prod, des machines. Mais l j’avais envie d’un album organique, je voulais que ce soit jou, je voulais qu’on sente les cracs, la batterie… Je ne voulais rien de machines. Je ne voulais pas de sons synthtiques.
L’alliance musique-politique, je pense qu’il est viter
Pourtant, c’est un genre qui fonctionne trs bien. Maintenant, l’lectro peut tre planante, plus mlodieuse, on le voit avec Kygo. Tu n’tais pas tent ?
Pour ce disque-l, non.
Tu penses que tu y reviendras plus tard ?
Je ne suis ferm rien du tout. Au contraire ! Ce disque est trs musical, trs jou. C’est le contraire de « L’quilibre ». Mais il n’y a pas une recherche de quoi que ce soit, c’tait juste naturel, le texte et la voix sont mis en avant. C’tait logique.
Tu voques nouveau la perte de ton frre dans « Toujours debout ». Comment on revisite un thme comme celui-ci, trs personnel et douloureux ?
Cette chanson, elle tait cheval entre « Le chemin » et « La rencontre ». J’avais cette ide « Je suis toujours debout ». a plaisait Yann. J’adore cette thmatique aussi de se relever aprs un drame. Quand on a repris cette thmatique un peu avorte sur le prcdent, moi j’ai dit « Attention, je ne veux pas faire de rdite. J’ai dit assez de choses sur le sujet, je pense qu’on a fait le tour ». Donc on s’est dit que c’tait intressant d’en parler de manire universelle, comment on se relve aprs une preuve alors qu’il y a des milliards de raisons rester au sol. Pour ensuite resserrer sur mon exprience. On s’est pos la question de savoir si on en parlait la fin. Mais pour moi c’tait essentiel. Pourquoi je parle de cette thmatique ? Parce que je l’ai vcue. Donc on l’a fait. Et a devient comme un hymne la fin avec les voix qui m’accompagnent. Il y a un « clin d’oeil » ce que j’ai vcu, mais le vrai propos de la chanson ce n’est pas a.
On te sent peut-tre un peu plus engag avec cet album. Tu voques la pauvret, la prostitution, des enfants soldats ou le racisme dans « Les vivants ». Tu te sens un artiste engag ?
Pas vraiment, non.
Tu fais partie des « Enfoirs »…
a dpend de ce que tu appelles « engag ». Je le suis mais ma manire. Pour plein de raisons, je le suis, dans mes diffrences, dans mes affirmations. Pour moi, il y a un palier ne pas franchir. L’alliance musique-politique, je pense qu’il est viter. Quelle est notre faon nous, artistes, de communiquer ? C’est de crer. Mais faire un discours comme en politique, de s’engager sur des choses, je trouve a toujours un peu double tranchant. Je n’hsite mme, je n’y vais pas, je pense que a fait mauvais mnage.
a m’affecte ce qu’il se passe dans notre pays
Justement, tu n’es pas l’un des 66 artistes signataires de l’appel de mobilisation pour les migrants l’initiative d’Alex Lutz, sur lequel on retrouve Daft Punk ou Marc Lavoine. On n’est pas venu te chercher ?
C’est a. Sinon, j’aurais sign videmment. J’ai dcouvert a comme tout le monde, je n’tais pas au courant.
Comment as-tu ragi quand tu as dcouvert la photo du petit Aylan qui a t placarde sur toutes les Unes ?
On parlait de la chanson « Les vivants » tout l’heure. C’est exactement a. Elle a un cho, malheureusement. En fait, parfois, tu te sens dmuni. Il y a plein de gens qui ont des vies trs trs diffrentes de la mienne, et du coup, on croit que a nous touche pas ou que si on fait rien d’apparence, on se sent pas concern. Pour moi, c’est impossible de ne pas me sentir concern. Je sais pas trop quoi faire non plus… Alors je fais plein de choses mais je n’ai pas envie de m’taler sur le sujet, mais cette chanson, elle est ne de tout a en fait. a m’affecte ce qu’il se passe dans notre pays, depuis le dbut de l’anne notamment. Mais mme l’an dernier, sur les droits… Enfin, ce sont des dbats. Tu te dis « C’est curieux, a se passe l, chez moi, dans mon pays ».
C’est la crise tu penses qui engendre tout a ?
On parle beaucoup de crise, mais on est un pays en mouvement en fait. Les choses bougent. Il n’y a rien de plus qui fait flipper les gens que a, que les choses leur chappent, qu’ils ne peuvent pas contrler, car a les rassure dans leurs petites habitudes. Je pense qu’il faut lcher prise. On est dans une re, et notre pays plus particulirement, de mouvement. Il faut le considrer parfois comme une bonne chose. Certaines choses doivent s’arrter, a ne fonctionne plus et a ne peut plus fonctionner. Mais autre chose peut fonctionner. C’est a le mouvement, la fin de quelque chose mais le dbut d’une autre. Je crois vraiment en a. Je l’ai vcu donc j’en sais quelque chose ! (Sourire) On va vers l’inconnu, a reste crire, et donc c’est tre responsable de quelque chose. Et la responsabilit, a fait… flipper.Ecoutez « Tout le monde » :
Tu as l’air d’avoir un vrai avis sur la question. C’est un sujet qui pourrait t’inspirer pour une chanson ?
C’est un peu dangereux. Quand on voit a de loin, il y a un tat d’esprit un peu suspicieux des artistes qui essaient de tirer la couverture.
Revenons ton album. Est-ce que son parcours est crit ? Tu sais quel sera le prochain single, et celui d’aprs ?
Non, a c’est pareil. Il est en mouvement. On a des pistes, comme pour « Bienvenue » que j’ai voulu. Il commence d’ailleurs vivre maintenant alors qu’il est sorti avant l’t. Je laisse un peu tout a, il faut faire confiance ce qui doit se passer. Et aprs, se faire confiance. Et faire les choses, se positionner, en adquation avec ce qu’il se passe. Il ne faut pas trop rflchir mais il faut bien faire les choses.
Il y a un titre qui ressort pour toi ?
Tu veux savoir quel sera le prochain single ? Dis-le ! (Rires )
Oui… J’aime beaucoup « Tout le monde », donc je me disais…
(Rires) J’aime bien « Tout le monde » aussi ! Mais je ne peux pas te dire car a dpend de plein de choses. Et ce disque, je le vois comme une entit. J’ai fait que 12 chansons et c’est l’album. Je n’ai pas eu choisir parmi des tas d’autres. Si elles sont l, c’est qu’elles ont leur place. J’aime tous les titres, encore plus sur ce disque. Sur le prcdent, parfois je pouvais me dire « Le texte, avec du recul… Ou la ralisation ». Il y avait toujours un truc. L, aujourd’hui, j’aime la globalit de ce disque donc je ne te donnerai pas le nom du deuxime single. C’est con, hein ? (Rires)
Mon projet prioritaire ? Composer un musical !
Trs… (Rires) Tu as cris pour Olympe et tu as galement sign deux titres sur le nouvel album de Chimne Badi. « Point final » est notamment trs russie. Tu n’es pas tent de les garder pour toi dans ces cas-l ?
(Il clate de rire) Bah oui mais c’est con ! Tu cris pour les autres, tu ne peux pas faire a ! (Rires) Et puis j’avais dj fait le mien ! En tout cas, j’adore a, me glisser dans la peau d’un autre et chanter une autre vie. a m’attire de plus en plus. Pour Chimne, j’ai appris la connaitre durant « Danse avec les stars ». J’ai toujours vu la femme trs forte d’apparence, alors que j’ai vu la femme blesse quand j’ai commenc entrer dans sa vie et changer. Je l’aime beaucoup, elle a quelque chose dans sa voix qui me touche. C’tait du velours pour moi.
Il y a d’autres artistes pour qui tu aimerais travailler ?
J’en ai souvent parl mais a se fera quand a se fera. Amel Bent. On a toujours le dossier en cours. Bon l, elle est mode « Je vis », donc elle vit. (Rires) Aprs, c’est une question de rencontre. Car je veux bien crire, mais crire quoi. Si je sens pas un change… Il faut que l’autre s’investisse aussi. Tu ne peux pas crire comme a. J’ai besoin d’changer. Avec Chimne, a s’est fait et je suis trs content du rsultat.
Concernant ton album, on sent, comme le prcdent, qu’il raconte une histoire. a te donne envie d’crire autre chose ?
Un film ? Un spectacle ?
Des musiques de films peut-tre ? Il y a une piste instrumentale sur ton album…
J’ai des choses faire de ce ct-l, oui. C’est vrai. Parfois, je rflchis pas trop et je me rends compte de choses quand on m’en parle en promo. J’ai conu ce disque comme j’ai pu concevoir un film. J’aime la cohrence. Parfois, la musique est plus forte que les mots. D’un coup, ce passage fait que tu te projettes, comme dans un film. Comme dans une comdie romantique, je trouve. a fait marcher l’imaginaire des gens. J’en ai trs envie.
Et tu as rcemment dit que tu avais l’ide de plancher sur un musical…
Oui. Aprs, c’est particulier d’en parler quand c’est en chantier et qu’il y a plein de choses qui bougent. Je nourris ma culture l-dessus. Tout ce qui se joue New York par exemple, je l’ai vu. Alors, on est en France, a ne fonctionne pas pareil. Mais je peux comparer et m’inspirer. Et mon exprience aussi dans « Le Roi Soleil » et « Cabaret ». C’est vraiment un de mes futurs projets en priorit, comme crire pour les autres. Je continuerai aussi travailler pour moi, mais j’ai plein d’envies. Mme en tant qu’interprte, j’ai envie de me retrouver dans ce genre de projets. Est-ce que ce sera celui que je ferai en tant que compositeur ? Je n’en sais rien. Je ne veux me fermer aucune porte, je me sens au carrefour de tout a. Je n’ai pas envie de me mettre dans une bote, les gens le font trs bien pour moi ! (Sourire)
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