2015-09-10

By Dominique Malaquais

1st Movement : Uncle Tom or DOM-TOM?

Il y a plus de gens qui savent lire et écrire de la littérature que de personnes sachant lire et écrire de la musique, qui a plus d’impact que la littérature. Il est plus aisé d’écouter et/ou d’entendre que de lire ou de voir. En général, le son est plus collectif que la vue, plus individuelle. Ce simple constat a eu depuis les indépendances (et bien avant) un impact considérable sur la politique culturelle française dans cet espace dit francophone, et particulièrement dans le domaine de la musique. La Francophonie musicale avec ou sans engagement ? Là n’est pas la question. Récupération politique ou liberté d’expression ? Voilà le débat !

Il y a la Francophonie « indépendante », et celle des DOM-TOM. Peut-on être indépendant sur le plan politique, sans indépendance économique, et, surtout, notre propos, sans indépendance culturelle ? Le paradoxe, c’est que les musiques noires francophones – au sens géopolitique- ont leur propre originalité. Le débat n’est pas là non plus. Ni quant à leur modernisation et/ou leur modernité. Non. C’est que, ethno-sociologiquement parlant, ces musiques ont été coupées de l’esprit de leur terroir. On sait que les musiques traditionnelles ont été folklorisées par les premiers pouvoirs en place qui, n’ayant aucune légitimité, se devaient de discréditer tout ce qui était vrai et légitime avant eux. Qu’il y a eu connivence entre le Pré Carré Elyséen et les Présidences Africaines. Ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui, après cristallisation, la Francafrique, pompe à fric pour certains pas à côté de leurs pompes, Afrique sans fric c’est pas chic, pour d’autres à côté de leurs pompes.

Dire que le protest-song (song protest ?) n’ai pas existé en Afrique, c’est revenir à la notion de “Terra Nullius” qui permit aux Puissances Européennes de signer le Traité de Berlin, fin XIXème, sans se soucier de l’existence des Africains. Sinon, comment qualifier le Ngola Rythmo (années 50-60), des Rui Minguas et autres qui, aux côtés du MPLA des Agosthino Néto, oeuvra tant pour l’Indépendance Angolaise que pour la Conscience des Masses Populaires (redondance voulue). Et Franklin Boukaka aurait du être le Delanoë-Marley de la musique congolaise ( Brazza et Kin confondues).

Jusqu’à l’arrivée de la Gauche-Mitterand au pouvoir, les revendications des Noirs, sous la Droite, étaient identitaires. Le Black est alors Beautiful Brother of Mine, plus Proud que Mary le criant haut et fort, ” Say it loud, I’m Black & proud!”, sans pour autant “talking loud & saying nothing”.

Dans les îles (Antilles), au doudouisme colonial et lénifiant de rigueur, les frères Debs proposent, sans l’opposer, une biguinne-gombo lourde et charnelle. Les Debs sont Syriens. Comme souvent, la France utilisera des “tampons” Blancs non francophones – Grecs et Libanais en Afrique. Nous sommes dans les années 70. En Afrique, l’ intérêt que Sékou Touré porte à la Culture se manifeste par une maison de production et édition musicales qui donnent ce fameux enregistrement live de Myriam Makeba, à Conakry. Le Mbembaya Jazz, et son charismatique leader Aboubacar Dèmba Camara qui sera en formation 2 ans chez Abelardé Barrosso à Cuba. Et le Ballet National de Guinée avec Bachir Touré. Ailleurs, du nouveau. Dollar Brand enregistre “Soweto” et “Cape Town Fringe”, resplendissants comme des couchers de soleil sur l’immensité nostalgique d’une Afrique immensément noble et belle. Hugh Masekela, du Ghana, nous livre ” A Person Is A Sometime Thing”, avec sa basse assourdie, sa syncope lancinante et langoureuse, ses cuivres chuitant et entraînant comme des hanches mouvantes et émouvantes de femmes au fait du mot désir qui, les cuivres, influenceront tant le  groupe Xalam. Fela crée l’Afrobeat, de retour des States. Osibisa, avec Dikoto Madenguè à la basse,  crée le psychadélisme africain, et pas seulement sur ses pochettes, bandes dessinées futuristes africaines. C.A.N. 1972, le Cameroun commande à Manu Dibango un 45 T ; sur la face B, un certain “Soul Makossa”. Francis Bébey, Eboa Lotin et dans une moindre mesure Charles Lembè, portent la chanson camerounaise en haut du son-writting.

C’est alors que Mobutu Sesse Seko lance l’authenticité, appuyé du combat du siècle Ali-Foreman. Le kavacha chauffe. Le problème, c’est que cette authenticité abacoastée n’est que pour étouffer la musique congolaise (Brazza) tout aussi efficace, plus raffinée du Congo “communisant” ( comme Kérekou, sauf qu’il n’a aucune musique à “vendre” ) de Marien Ngouabi. Le choix de Mobutu conduira à écarter du circuit un griot guitariste, auteur-compositeur interprète de la trempe de Kapia, père spirituel de Bovick -autre génie écarté- cousin de Bonga Kuenda. Mais, il y a de la musique dans l’air quand même : Trio Madjessi, Verckys, Tabu Ley, Franco ; ça donne.

En France, la Maison Mère, peu d’artistes noirs percent. Henri Salvador, compositeur-chanteur des Îles, est une exception : c’est lui qui invente les personnages d’Astérix et Obélix qu’il refilera à Goscinny et Uderzo sans le sous ; c’est lui qui apprendra à jouer la guitare jazz à Sacha Distel. Salvador était de l’épopée Boris Vian. Sous VGE (Valéry Giscard d’Estaing), on le verra moins. A l’arrivée de la Gauche au pouvoir, il retournera aux Antilles, après plus de 25 ans d’absence, via une méga émission de Tv, pour Noël ou le Jour de l’An (je ne sais plus). Sinon, on nous sert en désert culturel du Africa Simone, un Mozambicain, avec ses ” Ramaya / Obuku Ramaya…” : les langues bantoues sont si subtiles…

Côté DOM-TOM, c’est la biguinne-disco-bal à musette des Compagnie Créole et Ottawan.; ça vole très bas sous VGE. Autant sous de Gaulle et Pompidou, le débat Nègre était identitaire, autant il devint musclé et in-sécuritaire sous VGE, avec ses opérations coup de poing. Que va faire la Gauche au pouvoir ? Le débat portera sur l’intégration. Ca chauffe chez les Kanaks : remember Ouvéa. Et Luc Rainette et l’ ARC ( Action Révolutionnaire Caraïbes) mettent les Antilles françaises sous pression.

En Elfrique (Elf-Afrique), le calme est revenu après l’éviction de Jean-Pierre Cot du ministère de la Coopération. Pour tout dire, c’est Bongo qui hébergera la 1ère et unique édition d’Afrovision -ou Africavision ?- sorte d’Eurovision Black avant même le concept d’Euro-Black. L’idée revenait à un requin véreux, requiem de l’Art, du show-biz africain d’alors, où, nécessairement, il fallait être venimeux et vénéneux. Cela devait être annuel et changer de capitale. Un peu comme ce club de rencontre entre Africains-Américains et Africains-Africains de bon aloi qui se réunirent à Dakar, Abidjan et Libreville. Sauf que ces trois capitales ne sont pas réputées pour leur engagement idéologique et identitaire, mais plutôt pour faire de la récupération. Ce cercle d’happy few, sans poésie populaire, disparut de lui-même. De cette campagne gabonaise sortiront les Touré Kunda que notre organisateur refilera à Paco Rabanne qui avait envoyé là-bas, sur fonds propre, le groupe congolais (Brazza) Mbamina et le chanteur antillais Ipomène, après avoir produit Tum Black, un groupe de “gwô ka” antillais, en 1ère parie des Stones, à Paris… Même si la musique africaine est rare sur les ondes de l’ ORTF (ancêtre de la télévision française), on nous propose quand même du Baden Powell. Mais, sous VGE, tout cela cesse. Le ton se durcit. VGE adore les Négresses. C’est vrai que les concerts, en opposition, sont légion. On voit plusieurs fois James Brown, Funkadélic, E.W.&F.,  Herbie Hanckock & the Head Hunters, Wheather report etc… dans un dépôt désaffecté  reconverti en salle de spectacles, où se trouve l’actuel Zénith. Même si Music Is The Message, le message n’est plus dans la musique. Then came Marley. Mais tous ces artistes sont “anglophones”. Le (la) seul(e) artiste noir(e) qui émergera sous VGE sera Lizette Malidor, meneuse de revue, estampillée, pailletée et manipulée comme la nouvelle Joséphine Baker. Elle est Antillaise. Qu’on le veuille ou non, la Gauche Mitterand est à la base de ce qui allait être récupéré, plus tard, par Paul Simon sous le label de “World Music”.

J’étais, à l’époque journaliste à “l’Afrique Littéraire et Artistique”, chroniqueur à ” Sans Frontière” hebdo de l’Immigration, quelques articles pour “West Africa”; attaché de presse de Manu Dibango, de Paco Rabanne disques ; je crée l’émission “Baobab” sur Africa N°1, pour Elyse Mpacko, et  anime une émission sur “Tropic FM (ancêtre de “Média Tropical”).

Début 81, Manu Dibango est au creux de la vague. Les deux LP enregistrés en Jamaïque n’ont pas connu le succès escompté. Depuis “Soul Makossa”, M. D. est à la recherche d’un second souffle. Suite à une interview pour “SF”, je deviens son attaché de presse. Au programme Afrovison, et la Fête d’Indépendance de l’Angola, en novembre 1981. Je barre Libreville, ce mauvais remake black de l’Eurovision qui, elle même, n’est plus ce qu’elle était. Quand les Cigliotta Cinqétti lauréate avec “Nono léta”, ou ce chanteur -allemand ou autrichien- lauréat avec “Merci Chérie”, refusaient les carrières corrosives toutes faites du show-biz, alors que leurs morceaux étaient sur toutes les lèvres en Europe, bien avant l’Euro. Et puis, il m’est difficile, en tant que Bantou d’assister à la naissance d’un évènement culturel et artistique à Libreville, sous le haut patronage d’Omar Bongo. No futur. Félix Houphouët-Boigny, sa bête noire, tout en étant son modèle, avait compris qu’il fallait faire d’Abidjan – à défaut d’une capitale culturelle- le centre du show-biz africain, aucun pays africain n’ayant de politique culturelle, car sans culture politique, Côte d’Ivoire comprise.

En Angola, je découvre Andréï Minguas et Félippé Muntingué, talentueux guitaristes hors-pair, auteurs)compositeurs interprètes locaux. Ils sont pour beaucoup dans la carrière de Djavan, star brésilienne, qui, dans son 1er LP “Séduzir”, reprendra une de leurs composition “Luanda” qu’il avait découvert en tournée en Angola.  Le directeur du Conservatoire National de Musique m’explique qu’on apprend aux enfants les musique classique et traditionnelle. A la Radio do Angola, on me sort des interprétations de compositeurs angolais du XVIIIème… A la différence de la musique brésilienne, où la samba rencontra le jazz pour donner la bossa nova, la longue guerre pour l’Indépendance allait freiner le mouvement musical né des Ngola Rythmo. Je rencontre aussi Kaye Whiteman, rédacteur en chef de ” West Africa” et Hervé Bourges, alors directeur de RFI. De retour sur Paris, je lui laisse un projet qui donnera TSF (Télévision Sans Frontière) quand il sera nommé PDG de TF1.

2nd Movement : Black is Black, Black², Black³

Dans le groupe de Manu, plusieurs Antillais dont  Michel Alibo, basse (avant Sixun), Jean-Claude Naimro, claviers (Kassav’), Jean-Pierre Coco aux percu, et un flughorn ; je ne sais plus si le batteur était Claude Vamur ou Valéry Lobè. Naimro me parle déjà de Kassav’ et de sa façon de mettre une touche antillaise dans ses accords quand il accompagne les vedettes de makossa. 1982, les choses se mettent en place. Gilbert Castro -qui a fait une grande école parisienne- et Korokos (qui coproduira “Rock it” d’Herbie Hankock, avec Bill Laswell) lancent le label “Celluloïd. Castro a grandi en Afrique du Nord, et trouve quelques ressemblances analogiques entre l’appel du muezzin à la prière -et ladite prière- et les incantations vocales des griots de l’Afrique de l’Ouest, région fortement islamisée. Auparavant, une maison de disque, Ebony Records, me semble-t-il, créé par des Africains-Américains et des Africains-Africains sortent le 1er tube de Mory Kanté, “Mariage”, bien avant “Yéké yéké” et “Bantiéro”. Une sorte de Yalta de la musique africaine se dessine. Castro prend l’Afrique de l’Ouest. Jean-Francois Bizot, patron de l’ex “Actuel” Mag’ – j’étais des “10 journalistes étrangers écrivent dans Actuel”, patron de Radio Nova, Nova Mag, Nova Prod, ayant ramené Ray Léma du Zaïre, prend la musique zaïroise… On ne parlera plus de la musique du Congo Brazzaville. Paco Rabanne Disques, distinct de couture et parfum, lui, fait dans un peu de tout ; sans compter son Centre 57, espace ouvert au rap des dérapages des jeunes. En France, on ne connait pas la  musique sudafricaine : il faudra attendre Johnny Clegg.

Absent de ce Yalta francophone des musiques noires, la musique des Antilles et le makossa du Cameroun. Curieux concours de circonstance, la grande période du renouveau du makossa, début 1981 avec “Nen Lembo”, voix aérienne de Bill Loko, géniale musique de Michot Dinh (neveu de Manu) et “Yoma Yoma” du guitariste auteur-compositeur interprète Dina Bell, le dernier de cette lignée, cette période de 1981 à 1986, intègre nombre de musiciens antillais.

Entre le vide culturel de la Droite “Moderne” et les balbutiements de la Nouvelle Gauche, il y a plus qu’un fossé abyssal en Abyssinie. Le problème de fond demeure. Pas de politique culturelle en Afrique. Et la  culture politique, en France, ne prône pas du tout la réciprocité des termes des échanges même culturels, sauf cette vision de la culture africaine où l’on préfère mettre en exergue les trois premières lettres du mot cul-ture, et voir en elles l’avenir de l’homme noir, surtout quand il l’étale pour mieux s’allonger sur elle…On est toujours dans une configuration où l’on doit vous montrer ce qu’est la modernisation, la standardisation, la mondialisation de votre culture. Sans exception aucune, elle doit être comme on a dit. Non comme vous la vivez. A partir de là s’opère une scission entre les musiques africaines -qui marchent- produites par des Africains (Cameroun, suivi de la RDC et Côte d’Ivoire) pour faire danser les Africains-Africains-Africains. La musique africaine, qui tourne dans le monde entier, produite par des Européens, peu vendue en Afrique et pas du tout dansée par les Africains³ (au cube) qui allait donner naissance à la World Music. Dans les boîtes de nuit africaines³ (africaines-africaines-africaines), les musiques dansées sont toutes black : américaines, reggae-ragga, makossa (zingué, bikutsi), soukouss (dombollo), biguinne (zouk) et salsa d’origine black. Les musiques sénégalo-sahéliennes, notamment sambar, mbalar et ventilateur ne sont dansées que par les Sénégalais. Ces musiques, traditionnellement, sont dansées sur les rythmes des percussions. Or, quand on écoute la modernisation -entendez instruments électriques- de ces musiques, les percussions et l’approche rythmique trado sont délaissées pour un faux beat hybride disco-rock musette, pour une approche plus lyrique et mélodique, dit-on.

On the other side de l’Atlantique, la déferlante soul-funky music a fait trembler de joie -non sans crainte- le monde occidental. Même si le message identitaire black n’est plus aussi virulent, il n’en demeure pas moins que ces stars là sont noirs – que des Noirs! – et brillent trop, même dans la chaleur de la nuit noire. Panique dans le Deep South. Certes l’Apartheid n’avait pas encore été aboli, Mandela était toujours en prison, mais Steve Biko étais déjà mort, et il y avait eu Soweto. La Soul perdit de son spirit in the dark en s’embourgeoisant uptown, la funk s’essoufla au blanchiment de son tempo affadi. Mais le reggae grandissait à l’horizon, avec ses rude boys et une star : Marley. La dernière musique idéologique Black. A ce stade, on peut dire sans sourciller que le jour où les Noirs firent fi de l’Idéologie, ils se mirent à remplir, à plus de 75 % les prisons occidentales, alors qu’ils ne représentaient même pas le 1/4 de la population. Entre-temps Marley fera plus d’entrées payantes à son concert du Bourget, en France, que le Pape Jean-Paul II en entrées gratuites au Parc des Princes, à Paris, plus facile d’accès que Le Bourget. Marley mourera.

Entre le déclin de la soul et l’avènement du reggae, on tenta -après l’homo sapiens- l’homo disco: avant que la Terre ne soit un grand Village internautique, c’était un Village des peuples. Village People. Au départ, le disco était juste une technique de remix des maxi 45 T. par les DJ’s des night-clubs black. Puis on insista sur la grosse caisse, enlevant sa spécificité noire à une musique dansante. Le disco devint l’hymne des revendications homosexuelles. Nombre de musiciens black se tournèrent vers ce nouveau genre – le disco, pas l’homo, d’aucuns auraient pu croire les deux. Pour intellectualiser le débat, on lança aussi le jazz-rock. Le rapport entre disco et jazz-rock? Ce ne sont pas des musiques exclusives : entendez elles sont melting-pot et multi-raciales. Le jazz-rock connaîtra sa scission West-side story “There’s A Road In Spanish Harlem”, confirmé par “My Spanish Heart” de Chick Coréa ( frère chicano d’Herbie Hancock -tous deux firent leurs armes chez Miles- qui regroovera la funk avec “Watermelon man”) et qui aboutira au courant hispanisant qui donnera les Miami Sound Machine et Gloria Estefan et toute la vague-mode latino actuelle. Pourtant les Johnny Pacheco, Tito Puente ou Ray Baretto jouèrent beaucoup avec les princes du swing et  du bop. King Curtis maintiendra cette tradition de percussionnistes latino, avec Pancho Morales notamment dans la version live de “Memphis Soul Stew”, at the Filmoore West, parlant de  “Mississipi conga-drums”.

Après la mort de Marley, la mode disco et l’exercice technique des surdoués de la classe de jazz-rock, on se disait que l’heure de l’Afrique avait sonné. Chris Blackwell contacte Martin Messaunier, gros tourneur de concerts black en Europe, pour un méga projet. 7 groupes africains, dans 7 pays africains, à faire travailler à domicile, dans les conditions de professionnalisme occidental pendant plusieurs mois. Pour finir par une tournée de ces 7 groupes dans leur 7 pays, en concert live, k7 et film à la clé. Messaunier ne trouvera pas la solution. Reste qu’il y a cette vieille rivalité entre l’Angletterre et la France…

Le problème des français, ce fameux mal français, c’est de ne choisir qu’un artiste par genre. Par exemple, Georgette Lemaire et Mireille Matthieu. La première, 1ère aussi sur les scènes de France, dite la nouvelle Edith Piaf. On lui préféra Mireille Matthieu, plus politiquement correcte. C’tait sous la Droite.

La Gauche a son pendant. Mai 81, concert Place de la République. Le groupe Trust, avec son morceau phare -qui n’a pas vieilli- “Anti Social” enflamme les foules. On lui préférera Téléphone… Et à la 1ère du film sur la tournée des Touré Kounda en France, quadrillée par Europe 1, sur invitation d’ Hervé Bourges, PDG de TF1. La 1ère image du film, on voit les Touré brothers, avec Rémy Kopa-Kopoul, journaliste musical maison de “Libé”, reçus par Abdou Diouf au Palais présidentiel à Dakar. Plus tard, tandis que je soignais mon bronzage, en vacances sur la Côte d’Azur, de crainte de blanchiment épidermique accéléré à la Michaël Jackson, je passe voir les Touré à la Pinède de Juan-les-Pins. En 1ère partie, Irakéré : monstrueux. Les Touré attendront 45 mn avant de monter sur scène. Irakéré avait trop chauffé la salle en plein air, s’attendant à un bœuf avec les Touré. Le bœuf -au yassa- n’aura pas lieu. Le public quitte la salle petit à petit.

3rd Movement : Black-Blanc-Beur

Autre problème de la Gauche au pouvoir, les enfants d’Immigrés nés en France, dit de la Seconde Génération. La Gauche aurait mieux fait de lire “la Troisième Génération” de Chester Himes, avant d’aborder la question. On décide de canaliser cette jeunesse par le rappage et le taggage. Pour préparer le terrain, le concept des Banlieues Bleues. Une douzaine de journalistes sont sur le terrain, sous la houlette d’ Actuel. Avec Sarah Kiss, ravissante rousse qui finira au service de presse de Laurent Fabius alors Premier Ministre, nous sommes sur le 92, département culte et phare du rap & tag. Dans ces banlieues et ces jeunes seconde génération, il  y a le sous-problème Beur (Arabe, en verlan ReuBeu).  1981, un journaliste en mal de scoop, achète des carcasses de voiture à la casse, et paye quelques jeunes pour brûler les dites voitures. Il prend des photos. De comparer ces banlieues au Bronx ou à Brixton…

Avec Mohamed Nemmiche, journaliste algérien seconde génération, on nous demande de faire une grève de la faim contre le racisme. Refus ferme. Puis, c’est la Marche des Meurs, dans toute la France. Sans Frontière en sort un album photo que je fais parvenir à Mme Danièlle Mitterand par la personne préposée à la Francophonie à l’Elysée. Après cela, les Beurs seront reçus à l’Elysée. Il est temps de lancer une musique typiquement “arabe”. Ce sera le Raï…Dans tous les pays arabes, il y a des Noirs. Nass’el Guiwan est le goupe marocain emblématique dans le film “Transes”. Guiwan vient de Guénawa, qui vient de Guinée… Aucun chanteur “arabe” blanc de raï ne chantera avec des Noirs par la suite. Mais le Raï n’empêchera pas la montée de l’intégrisme religieux.

Entre-temps, les laisser-pour compte donnent de la voix. Les Kanaks, Luc Rainette et l’ARC. Je suis à Tropic Fm (now Média Tropical et ex Radio Côcotier), qualifiée de doudouiste, et crée par  deux Chevaliers de l’Ordre de la Braguette, Jacques Semailles et Jean-Pierre Mandoulé (tous deux décédés). C’est Rabanne qui me branche sur le coup. Un mec traîne dans le hall avec son badge figurant une main. Il demande qu’on lui prête quelque attention pour présenter son association contre le racisme.. On le fait tourner en rond. C’est Harlem Désir, avec “Touche pas à mon Pote”. 6 mois après, il fait la 1ère fête de S.O.S. Racisme, Place de la Concorde, avec Murray Head qui avait touché un cachet de 20 M FCFA…Aucun membre de Tropic n’était en backstage de cette 1ère. Bref, ça chauffe de plus en plus aux Antilles. A Tropic, on sponsorise Kassav’ dans une boîte de nuit en banlieue. A l’entrée, on fouille même  vos chaussures, voir si une lame de rasoir n’y est planquée…

D’aucuns trouvent que les Touré Kounda commencent à avoir la grosse tête. Jean-François Bizot s’énerve et décide de lancer la musique antillaise, devant, in fine, l’ingratitude africaine. Soit. Il jette son dévolu sur Kassav’ : “Je les mets au Zénith”, me fait-il, au propre comme au figuré. Il se fend d’un long article dans “Actuel”, où il nous apprend que les Antillais surnomment les Africains “Cain-Cain”. La belle affaire. Deux plus tard, Kassav’ est au Zénith, au propre comme au figuré.

Jacques Massadian, le bras droit de Bizot, excédé par toute cette phraséologie discursive accusant les Blancs de tous les maux, saturé des revendications idéologico-identitaires black sur la Négritude et le Panafricanisme, quant à lui, me fait part de sa décision de lancer un petit rappeur talentueux d’un pays délaissé d’Afrique (le Tchad); il s’agit de MC Solaar. Et que cela aurait plus d’effets que ces longs discours. Ces attitudes ne sont pas si superficielles que cela: Kassav’ au Zénith, cela revient à dire qu’il est politiquement plus correct d’être musicien en vue et en vogue, que vague militant indépendantiste.

En aval, le discours sur la Créolité, spécificité culturelle à part entière, autonome du discours négritudinien d’appartenance aux racines de la Terre-Mère Afrique. Discours, non contre le Colonialisme, mais sur la Créolité, donc contre le contre-discours de Césaire, à qui on n’a pas toujours rendu ce qui lui appartenait. Le Discours sur la Créolité a pour chantres les Depestre et Glissant. Do the slide…Il aboutit à la reconnaissance du créole comme langue “française” au bac, à l’instar du breton, occitan, basque, corse etc. La France ne veut pas entendre parler de l’Indépendance des DOM-TOM. En ce sens, elle est bien le dernier empire colonial subsistant. A Droite comme à Gauche. Avec des nuances et un noyau dur : le Pré Carré, pas trop éloigné du Pré Catelan, dans l’esprit. Paradoxe français… Césaire ouvre un complexe artistique et culturel, à Fort-de-France, début 80. Maurice Béjart y aura même une école, avant de se souvenir -on le lui à rappelé ?- de lointaines parentés sénégalaises pour faire sa MUDRA à Dakar.

Les 1ers clips de Zouk (qui remplace la Biguine, dansée sur deux temps, le zouk sur un), sponsorisés par la Cie Nationale Aérienne Française, sont tous tournés au Antilles. Histoire de rappeler la vocation 1ère et ultime des Antilles : le Tourisme. Pas l’Indépendance. Luc Rainette finira en prison, archer malheureux. On dansera le zouk love, plus sophistiqué et sensuel que la biguine lourde et charnelle des frères Debs. Les musiciens Antillais n’auront plus besoin des séances de studios avec les artistes Camerounais. Le clavier Camerounais, J-M Mbida, “laisse” Kassav’, alors qu’il était des temps de galères.

Ce côté politiquement correct du zouk love mwen n’enlève rien au talent des Kassav’, Zouk Machine, Edith Eiffel, Tania St Val, Jocelyne Laville et autres. Malavoi plane au dessus de ce débat. Idem pour M.C. Solaar dont le génie ne peut être remis en question. Mais, il m’est difficile de faire un bond dans l’hyper espace culturel nègre pour remplacer Césaire par Solaar. Respectons la filiation. Non pas qu’il s’agisse d’un écrivain idéologue contre un chanteur à la mode. Le problème des jeunes  Black (et Beur) des banlieues n’est pas le problème idéologique majeur des Africains-Africains-Africains en Afrique. Dans les années 70, il y avait un discours identitaire unique et uniforme. Le fait, pour un Noir, d’être de nationalité française -les Antillais le sont depuis longtemps- n’était pas déterminant. Maintenant si. Pour les Africains³, surtout depuis la dévaluation, être Français, c’est le nec-plus-ultra. On est passé d’un discours identitaire, revendication noble, à un débat sur l’intégration. Abandon du combat par jet de l’éponge. Et la musique a été le vecteur de cette politique culturelle pour des jeunes Noirs qui ont de moins en moins de culture politique.

Quand “Sarafina” tournait sur la France, j’avais amené une jeune Sister, Endallè, qui venait d’avoir brillamment son bac, voir cette sublime et grandiose oeuvre. Endallè ne voulait rien faire après, arguant, qu’avec le racisme, un tête bien faite sur un corps bien fait ne servait à rien quand on est noir. Ok sister ! Après avoir resitué Soweto et Steve Biko, nous allons voir la pièce au théâtre de Villeurbanne. A la fin, en backstage, je lui présente les actrices et acteurs de cette brillante performance. Tous nés et ayant grandi en Afrique du Sud. Là où il y avait plus que le racisme: l’Apartheid. Depuis, elle a eu une maîtrise en Droit Européen, un MBA -en Angleterre- et elle est parfaitement trilingue : français, anglais et allemand !

Une musique doit-elle oublier ses fondements culturels, sous prétexte qu’on n’est pas né en Afrique et qu’on n’y vit pas ? Le Zouk Love perdra-t-il de sa succulence parce que les Antilles seraient indépendantes ? A quoi sert de parler de démocratie, de droits de l’homme sans respect de la réciprocité des termes de l’échange culturel ?

Le passage de la biguine au zouk eu vraiment lieu sous la 1ère cohabitation, pour mettre fin à l’ARC. Avec, pour la sécurité de l’Empire, la paire Pasqua-Pandraud. Ce qui n’est rien en terme d’obturation culturelle par rapport à Michel Poniatowsky créateur des fameuses “Opérations Coup de Poing”, ministre de l’Intérieur sous VGE, alors que Ray Barre, un homme des îles, était 1èr Ministre. Sous VGE, la musique antillaise culminait sur les ondes avec des tubes comme “Qui va me garder mon crocodile cet été ?”, qui n’est pas la bande annonce de Crocodile Dundee. 2ème cohabitation, Jacques Toubon, ancien séc. général du parti gaullien, ministre de la Culture, barre Césaire des Nobélisables et l’enlève des programmes pour l’Euro-black de M.C Solaar. Juste pour glaner quelques voix chez les rappeurs, son mentor politique, Jacques Chirac autorise le concept “la Fracture Sociale”. Et non la Facture. Sous la Droite, c’est à prendre ou à laisser : pour nous un Noir c’est ça. Sous la Gauche, c’est plus nuancée. D’où cette explosion de stars africaines qui font le tour du monde et rencontre d’autres stars auxquelles ils rêvaient quand ils étaient encore dans les ténèbres. Et ces stars de critiquer, vu d’Europe, quelques comportements négroïdes trop lourds et typés. On s’insurge  contre tant de régression culturelle. On affirme son identité par rapport à l’autre Nègre. On ne critique pas ou plus la Maison Mère Hexagonale…

Après “We Are The World”, et l’échec de ‘Pourquoi La Faim ?’, sous la direction de Manu Dibango, à Tropic Fm, on décide de faire quelque chose aussi. Sur les 70 Black employés par la Fm, il y a 69 Antillais, et un Africain : Me Myself & I. Le Groupe des 69 de décider de concerts et disques d’artistes Antillais pour aider l’Ethiopie et ses affamés de la terre, sans avoir lu Frantz Fanon. De leur rappeler la fable de La Fontaine -ils sont Français non?- “le Loup et le Chien” et, surtout qu’il est difficile, mapemonde à l’appui, qu’un département puisse aider un pays. Comment en est-on arrivé là ?

Aux Indépendances, en Afrique, et lors de la campagne pour les Droits Civiques aux US, la pierre d’achoppement était : To be Young, Gifted & Black. Today, si on admet l’appellation contrôlée de World Music, c’est grâce à Paul Simon. Si on admet Savuka, c’est grâce à Johnny Clegg. Mais qui des Dollar Brand, Hugh Masekéla? Si on admet Youssou N’Dour, c’est grâce à Peter Gabriel. Si on admet le Zouk Love, c’est grâce aux Bernard Ménez et autres Phillipe Laville ont blanchi le way de tout soupçon identitaire.

Puis le leitmotiv, sur Tropic Fm, comme Africa N°1, c’était de démontrer que tous les pays africains avaient une musique propre. Si c’est pour l’émulation, c’est du tout bon. Le revers ? L’esprit de clocher, le nombrilisme, le tribalisme, le chauvinisme. Au dessus de ces deux raisons, une raison supérieure : il ne fallait pas qu’une musique “africaine” dominante, domine toutes les autres. Et les musiques antillaises furent éloignées du continent africain. Après le Zouk Love, on fait quoi ? On dépose les clés de sol ou de la ? De la musique avant toute chose…

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