Depuis l’arrivée au pouvoir d’Hugo Chavez au Venezuela en 1999, une nouvelle ère s’est ouverte en Amérique Latine. L’élection de présidents progressistes et révolutionnaires en Bolivie, en Équateur ou en Argentine a redonné espoir à des millions de personnes que les années de néolibéralisme effréné avaient condamnées à la pauvreté et aux injustices. Dans un contexte de révolutions sociales et de reconquête des souverainetés, certains pays en revanche persistent sur le chemin du pillage de leurs ressources naturelles, de la libéralisation croissante de leur économie ainsi que du durcissement de la répression policière et militaire. C’est le cas du Mexique, du Pérou ou encore du Paraguay. Deux politiques, deux visions de l’économie se font donc face. Dans cette opposition idéologique et politique, les médias occidentaux semblent avoir choisi leur camp...
Les médias dominants sont devenus, dans nos sociétés dites « démocratiques », de redoutables agents de propagande et de manipulations. En France, comme dans la majorité des pays occidentaux, la plupart des grands médias sont aux mains de puissants groupes industriels et financiers : le quotidien Le Figaro appartient à l’entreprise d’armement Dassault, la chaîne TF1 à la multinationale Bouygues ou encore la station de radio Europe 1 au groupe Lagardère. Loin d’être « indépendants » ou « objectifs », comme ils aiment s’autoproclamer, un de leurs rôles consiste à faire accepter aux citoyens les politiques antisociales et austéritaires qui leur sont imposées. Du matin au soir, les téléspectateurs, les lecteurs et les auditeurs ont droit à leur leçon de catéchisme libéral. Pour ces VRP du système, seules la libéralisation et la financiarisation de l’économie apporteront croissance et emploi. La situation catastrophique dans laquelle se trouve l’Europe qui a adopté les mesures dictées par les institutions financières internationales et par la Commission Européenne n’entame apparemment en rien la détermination des éditocrates, spécialistes et autres économistes « réalistes » dans leur croisade contre les derniers acquis de l’État social.
Un second rôle, caractéristique des « média-partisans », tend à rendre impossible l’établissement d’une autre politique que celle qui est mise en œuvre par les gouvernements actuels, eux-mêmes soumis aux puissants lobbies, multinationales et autres marchés financiers. Toute autre politique, même des plus timides en termes économiques, est reléguée au rang d’ « utopiste » et d’ « irresponsable ». En effet, la mondialisation nous oblige à être « pragmatiques » et « modernes ». Sacralisation de l’idéologie libérale couplée à l’échec annoncé d’un système économique alternatif = « There is no alternative ».. Paix à ton âme, Margaret Tchatcher, les idéologues et les experts médiatiques de la pensée unique veillent soigneusement sur toi.
Ce parti pris idéologique se manifeste également dans le traitement qui est fait des politiques instaurées par les divers gouvernements latino-américains. Média-mensonges, occultation des réussites sociales et économiques, propagande, caricature outrancière sont les maîtres mots qui caractérisent le travail journalistique de seconde zone des médias dominants en ce qui concerne les expériences novatrices des gouvernements progressistes sud-américains. Éloges, glorifications, applaudissements sont, eux, les manifestations exprimées par « les chiens de garde » du système pour qualifier les politiques conservatrices des gouvernements dociles et soumis comme celui d’Enrique Pena Nieto au Mexique. Le travail de sape fait à l’encontre des présidents de gauche a pour but de décrédibiliser les politiques économiques et sociales alternatives mises en œuvre par les dirigeants insoumis du sous-continent.
En effet, montrer les succès de ces gouvernements reviendrait à pointer du doigt les échecs patents des mesures mises en place sur le vieux continent et en conséquence éveiller l’esprit de révolte et la demande de changement. En revanche, les occasions ne manquent jamais pour chanter les louanges des gouvernements de droite... mais également pour occulter leurs terribles échecs. La liste est pourtant très longue mais ne semble pas attiser la curiosité des médias, trop occupés à déverser leur idéologie et à condamner ceux qui ne s’y soumettent pas. Le cas latino-américain témoigne de cette posture hypocrite prise par les médias partisans dans la guerre qu’ils ont lancée contre ceux qui osent défier l’ordre économique capitaliste.
Elu sur un programme de rupture avec le modèle néolibéral, sur la critique de la spécialisation primo-exportatrice du Pérou ainsi que sur la dénonciation de l’emprise des multinationales étrangères sur son sol, le président Ollanta Humala avait notamment séduit les paysans pauvres de la région de Cajamarca, au nord du pays, menacés d’être expulsés de leur terre ancestrale pour satisfaire les appétits miniers de la multinationale Newmont. Le 2 mai 2011, en pleine campagne électorale, sur la place centrale de Bambamarca, il lance indigné, à ceux qui sont venus l’écouter : « Vous a-t-on demandé votre avis ? » puis ajoute : « Qu’est ce qui est plus important : l’eau ou l’or ? Vous ne buvez pas l’or, vous ne mangez pas l’or ! (...) C’est de l’eau que vient la richesse ».
Le candidat s’oppose alors à Minas Conga, un projet gigantesque d’extraction de cuivre et d’or conduit par le consortium Yanacocha, créé conjointement par le groupe péruvien Buenaventura et la multinationale états-unienne Newmont, experte en pillage de ressources minières, présente notamment au Ghana, en Indonésie, en Australie et qui développe des projets au Suriname. Sur son site, la transnationale se targue d’assurer le développement des pays où elle a élu domicile et donne une image d’entreprise respectueuse de l’environnement. La réalité est un peu différente. Le groupe nord-américain exploite depuis 1993 la plus grande mine d’or d’Amérique du sud située dans la région de Cajamarca. Afin de parvenir à extraire les minerais nécessaires, le groupe a reçu l’aval des autorités afin de pomper jusqu’à neuf cent litres d’eau par seconde, provoquant de graves assèchements des sols. L’eau manque cruellement pour les populations et le rationnement de l’eau potable est de mise. La pollution, les substances toxiques, la destruction des terres deviennent le quotidien des paysans qui luttent sans relâche pour ne pas être expulsés de ces dernières.
Cette dictature et l’impunité des multinationales, notamment minières dans certains pays d’Amérique du sud, montrent à quel point le système d’exploitation commencé au XVème siècle continue à faire de terribles ravages sociaux, culturels et environnementaux. Les défenseurs de l’environnement et les associations de paysans réclament que justice soit faite et que les dommages causés soient réparés mais surtout que le projet Minas Conga ne voie pas le jour. Car les activités d’extraction mettront sans doute un terme à des siècles de présence indigène dans cette région reculée des Andes. Des peuples ancestraux qui seront contraints à l’exode rural et iront gonfler les villes, ajoutant de la pauvreté à la pauvreté et de l’indigence à l’indigence.
Et le président dans tout ça ? N’avait-il pas promis que, s’il était élu, il choisirait l’« eau » à la place de l’« or » ? Quelques mois après sa prise de fonction, le discours se veut plus mesuré : « Nous refusons les positions extrêmes ! (…) L’eau et l’or ? Nous proposons une position raisonnable : et l’eau et l’or ». Ce qui est sous-entendu dans cette déclaration, c’est que le projet minier verra le jour. Conséquence : de l’or pour les multinationales étrangères et l’oligarchie nationale et plus rien ou presque pour les populations indigènes. Se sentant trahies par ce revirement du nouveau président en qui elles avaient fondé leurs espoirs, les organisations paysannes organisent une grève générale qui paralyse la ville de Cajamarca. La réponse du président à ceux qui ont en partie permis sa victoire électorale ? Il décrète l’état d’urgence et envoie les forces armées réprimer les mouvements contestataires. Lorsqu’en juillet 2012, il réaffirme son soutien au projet minier, les manifestations qui en découlent tournent au drame : cinq morts et une trentaine de blessés du côté des manifestants.
Ces répressions brutales des mouvements sociaux et indigénistes soulignent deux choses. Premièrement, que les peuples originaires sont toujours, dans beaucoup d’endroits d’Amérique du sud, victimes de violences et de répressions comme c’est le cas des Mapuches au Chili qui se battent sans relâche pour ne pas être expulsés de leur terre. Cette répression des indigènes péruviens est d’autant plus cruelle et révoltante qu’elle est menée par un président appartenant à une famille andine d’Ayacucho. Il semble que le fils ait choisi de tourner le dos à ses ancêtres, favorisant du même coup les multinationales étrangères, ces « monstres hybrides des temps modernes » selon l’expression d’Eduardo Galeano. Deuxièmement, que les luttes pour la reconnaissance du droit des indigènes à conserver leurs terres, volées d’abord par les colons espagnols puis par les oligarchies nationales, restent plus que jamais d’actualité. Cette trahison au plus haut sommet de l’État montre bien que certains présidents, une fois arrivés au pouvoir, sont subitement atteints d’amnésie. Ils oublient d’où ils viennent, leur origine ethnique et surtout grâce à qui ils ont pu accéder au pouvoir. C’est le cas pour Ollanta Humala mais également pour Barack Obama, plus prompt à céder aux pressions des puissances d’argent que d’honorer et de servir les minorités que l’Histoire avait rendues à l’état d’esclavage et de servitude. Le programme de rupture avec l’ancien ordre impérialiste et néolibéral n’est plus à l’ordre du jour. Place aux investisseurs privés : « L’industrie minière responsable doit devenir un levier de notre développement grâce à l’investissement privé » déclarera le président. Le Pérou continue donc son rôle de serviteur des intérêts nord-américains.
Bien évidemment, ces décisions sont du goût des multinationales, des marchés financiers, des gouvernements occidentaux. Le pillage continue. Certains économistes et journalistes libéraux verront dans ce revirement du président péruvien une prise de conscience de la fameuse « réalité ». Réalité de la mondialisation, réalité du marché, réalité économique en somme. Néanmoins, l’attitude du président s’apparente plus à une abdication plutôt qu’à une prise de conscience de la réalité. Abdication face aux multinationales, face à l’oligarchie nationale, face au FMI et à la Banque Mondiale. Cette inféodation face aux diktats des tenants de l’économie capitaliste condamne 58,8% des gens à la pauvreté dans les zones rurales, là où justement l’extraction minière, principale richesse du pays, bat son plein. Et les avantages offerts aux multinationales ne s’arrêtent pas là : les engagements pris en terme de protection du patrimoine naturel et archéologique ont été purement et simplement supprimés.
De leur côté, les paysans, issus en majorité des communautés quechua et aymara ne seront plus consultés par les entreprises minières lorsque ces dernières auront pour projet l’exploration de nouvelles mines, comme c’était le cas auparavant. Conséquence des décisions prises par le nouveau président : les conflits sociaux se multiplient et la répression s’accentue. Les paysans, fer de lance de la contestation, se sentent abandonnés des pouvoirs publics qui ne savent répondre que par la violence, la brutalité et parfois le meurtre aux revendications pourtant légitimes de ces « damnés » de la terre. Mais, comme nous pouvons le constater, la bataille s’avère très inégale. En effet, on a d’un côté une multinationale omnipotente, appuyée par un État répressif qui n’hésite pas à user de tous les moyens pour faire taire les manifestants, et de l’autre des associations paysannes, soutenues par des ONG qui n’ont que leur courage et leur détermination à faire valoir dans cette lutte qui semble perdue d’avance. Plus de cinq cents ans de lutte pour les peuples indigènes du Pérou, pour lesquels malheureusement l’histoire semble se répéter inlassablement, avec son lot de brutalités et d’horreurs.
De leur côté, les médias occidentaux se sont montrés très discrets, voire muets, sur les événements qui secouent le pays andin. Pas un mot ou presque sur la répression policière et militaire. Pourtant, les chiffres sont effrayants : d’après un rapport de la Commission Inter-américaine des Droits de l’Homme (CIDH), depuis 2011, année de l’arrivée d’Ollanta Humala au pouvoir, 24 manifestants ont été assassinés et 649 personnes ont été blessées. Pas plus d’information sur les dégâts environnementaux provoqués par les multinationales. Non, ils préfèrent s’attarder sur la forte croissance économique que connaît le pays, une croissance qui cache en réalité de fortes inégalités sociales et géographiques, parmi les plus élevées d’Amérique latine. Des inégalités dont les victimes s’avèrent être les... indigènes bien sûr, encore et toujours, pour qui croissance et boom des exportations riment avec expulsions et répressions.
Mais au-delà du fait que les médias soutiennent, défendent et promeuvent l’idéologie dominante, ce qui explique leur engouement face aux politiques instaurées au Pérou, une autre question se pose : pourquoi n’évoquent-ils jamais la répression féroce dont sont victimes les manifestants ? Y aurait-il des choses que les médias notamment hexagonaux aimeraient occulter, une vérité dérangeante ? La réponse se trouve dans les accords de coopérations en matière de sécurité signés par les gouvernements français et péruviens. Des accords qui ont pour but d’enseigner aux forces de sécurité péruviennes le fameux « savoir-faire » français. En 2012 déjà, deux gradés de la gendarmerie française se sont rendus au Pérou afin d’enseigner à leurs homologues les mesures à prendre en cas d’émeute et de rébellion.
Le « savoir- faire » à la française, tiens donc, ce dernier n’a t-il pas été enseigné à d’autres forces répressives d’un pays soi-disant « ami » de la France ? En 2011, alors que le peuple tunisien se soulevait contre le dictateur Zine-El Abidine Ben Ali, demandant la fin du régime autoritaire et l’avènement d’un nouvel État fondé sur la liberté et la justice sociale, la ministre des affaires étrangères, Michelle Alliot Marie avait proposé au despote sur la sellette d’envoyer des CRS afin d’aider les forces de l’ordre à mater les manifestants. La France, pays des « droits de l’homme » selon l’histoire officielle, ne fait pas dans la demi-mesure lorsqu’il s’agit d’aider des pouvoirs autoritaires à écraser des mouvements contestataires. Oubliés les discours prônant la non-ingérence dans les affaires internes des États étrangers. Oubliés les déclarations à la gloire de l’État de droit. Oubliés les appels à respecter la démocratie et les droits de l’homme. Quand des intérêts économiques et géopolitiques sont en jeu, les belles paroles laissent place à l’exercice du pouvoir, pouvoir impérialiste et néocolonial. Des États rongés par une hypocrisie et un dualisme sans égal.
Les médias dominants dans tout ça ? Quelques lignes à se grignoter dans le Figaro qui « informe » sur son site le 4 novembre 2013 que « Le ministre français de la Défense,Jean-Yves Le Drian s’entretiendra aujourd’hui avec le président du Pérou Ollanta Humala, lors d’une visite au cours de laquelle seront signés plusieurs accords en matière de sécurité et de défense ». Pas un mot sur la présence de militaires français dans le pays.
Un autre pays de la région bénéficie lui aussi de l’amour et de l’enthousiasme des médias. Ce pays s’avère être le Mexique et sa petite clique au pouvoir. Depuis que le pays s’est engagé voilà plus de trente ans sur la voie néolibérale, il n’a cessé d’être encensé par la presse et les gouvernements occidentaux. Libéralisation de l’économie, soumission aux États-Unis, privatisation à marche forcée... Le cocktail du FMI et de la BM a été appliqué à la lettre et ce, pour le plus grand bonheur des marchés financiers et des investisseurs étrangers. L’inféodation du Mexique aux multinationales étrangères a atteint son paroxysme lorsque, le 20 décembre 2013, le président Enrique Pena Nieto annonça une reforme constitutionnelle dans le but de privatiser le pétrole du pays au profit d’entreprises étrangères. Pemex, l’entreprise d’État qui conservait jusqu’alors un monopole sur ce pétrole, fut vidée de sa substance et reconvertie en vulgaire sous-traitant du ministère de l’énergie. Lazaro Cardenas, père de l’État moderne mexicain et qui avait fait du pétrole un bien national inaliénable en écartant les multinationales prédatrices en 1938, a sans doute dû se « retourner dans sa tombe ».
Comme vous pouvez l’imaginez, cette décision a provoqué un flot ininterrompu d’applaudissements et de félicitations de la part des multinationales, des marchés financiers, des gouvernements occidentaux, sans oublier des médias. Une nouvelle chasse au pétrole était désormais ouverte. Le Washington Post, dans son éditorial du 16 décembre 2013, saluait avec enthousiasme cette réforme du président mexicain : « Alors que l’économie du Venezuela implose et que la croissance du Brésil stagne, le Mexique est en train de devenir le producteur de pétrole latino-américain à surveiller et un modèle de la façon dont la démocratie peut aider un pays en développement ». Ou encore le Financial Times qui chantait les louanges de cette initiative du président : « le vote historique du Mexique en faveur de l’ouverture de son secteur pétrolier et gazier aux investissements privés, après soixante-quinze ans de soumission au joug de l’État ». Faire du pétrole, ressource stratégique mondiale, un bien public au service du peuple s’apparente selon le Financial Times à « une soumission au joug de l’État ». Pas très étonnant au fond de la part d’un journal libéral. Mais il aurait quand même pu s’efforcer de montrer le développement impulsé par l’État après que ce dernier ait pris les rênes de l’industrie pétrolière. Ce fait important dans l’histoire du Mexique a été passé aux oubliettes. Occultation volontaire sans doute.
Sur le plan économique, afin de justifier sa décision de privatiser le pétrole, l’argument du président Nieto a consisté à répéter ce que disent constamment les libéraux quand il s’agit de privatiser des pans entiers du secteur public. « L’État n’a plus les moyens », « il faut dégraisser le mammouth » en l’occurrence l’État mais aussi et toujours « L’État n’est pas compétent ». Il faut donc transférer ses activités au secteur privé, plus efficace et qui investira plus, nous dit-on. Mais ces arguments relèvent souvent du mythe comme en Argentine par exemple, après que le président Menem eut décidé la privatisation de l’entreprise nationale pétrolière Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF) au profit du géant espagnol Repsol, très actif en Amérique du Sud. Bilan de cette privatisation : désinvestissement au profit d’une hausse des dividendes versés aux actionnaires, augmentation des prix, déficit de la balance énergétique... Ce qui en avril 2012 a poussé la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, réélue avec 54% des voix l’année précédente, à exproprier 51% des actions d’ YPF (1) avec l’objectif de rééquilibrer la balance énergétique puis commerciale du pays et d’œuvrer au développement de la nation albiceleste grâce à l’argent des exportations. Sans surprise, les médias sont montés au front comme le Financial Times qui applaudissait la privatisation au Mexique et qui, là, qualifiait l’expropriation d’acte de « piraterie ». Le gouvernement espagnol de son coté, enragé, a qualifié cette décision d’ « arbitraire » et a menacé l’Argentine de représailles. Le deux poids, deux mesures... Un exemple parmi d’autres qui montre la duplicité des médias.
Mais revenons au Mexique. L’enchantement exprimé par la presse capitaliste à l’égard des politiques néolibérales imposées dans la nation aztèque s’accompagne d’un profond silence à propos des impitoyables violations des droits de l’homme. Dans son éditorial cité plus haut, le Washington Post faisait l’éloge de la « démocratie » mexicaine qui serait, selon le journal, un atout pour le « développement » du pays. Les médias dominants occidentaux sont-ils vraiment les mieux placés pour parler de démocratie ? Certainement pas. Allons voir la fameuse « démocratie » mexicaine de plus près. Tout d’abord, s’agissant de la privatisation du pétrole, notons que le président Nieto n’a aucunement consulté son peuple sur une réforme pourtant capitale pour l’indépendance économique du Mexique. L’esprit démocratique aurait été d’organiser un référendum sur cette ignoble privatisation. Au lieu de ça, un vote vite fait bien fait à l’Assemblée Nationale et le tour était joué. Cette réforme faite dans le dos du peuple par une élite politique qui rassemble les trois principaux partis sous le nom de « Pacte pour le Mexique » a une nouvelle fois mis en lumière l’atomisation du débat public et le mépris croissant des élites à l’égard du peuple. Car, comme le souligne John Mill Ackerman, chercheur à l’institut de recherches juridiques de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), le « Pacte a simultanément approfondi le fossé entre le monde politique et la société ». Cette privatisation du pétrole a nourri beaucoup de colère chez le peuple mexicain. Car elle ne profitera qu’à deux camps : les multinationales étrangères et l’oligarchie politico-économique nationale au pouvoir.
L’enquête annuelle Latinobarometro confirme la tendance autocratique qu’a prise la démocratie mexicaine. Elle révélait en 2013 qu’à peine 21% des Mexicains se déclaraient « satisfaits » de leur démocratie...le pire résultat en Amérique Latine. Ça, le Washington Post se garde de le dire. Tout comme ce silence sur les relations qu’entretiennent les partis dominants avec les cartels de la drogue. Le récent massacre des 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa à Iguala dans l’État de Guerrero est un exemple frappant qui démontre la complicité entre le pouvoir d’État et le pouvoir des cartels. Alors que les étudiants, qui avaient manifesté pour la survie de leur école, se trouvaient à bord d’un bus, ils furent arrêtés par la police puis emmenés dans un lieu secret pour être remis à une organisation criminelle dans le but de les faire disparaître. Depuis maintenant plusieurs années, les étudiants des écoles normales rurales luttent sans relâche pour faire vivre leurs écoles. En effet, le désengagement de l’État dans les services publics menace la vie de ces institutions, des écoles nées au lendemain de la grande révolution mexicaine de 1910-1917. Leurs créations eurent pour objectif d’offrir aux jeunes issus des campagnes l’opportunité de poursuivre des études universitaires. Mais également de permettre aux jeunes instituteurs issus de la classe paysanne de pouvoir enseigner. Ces écoles qui ont une empreinte importante dans la société mexicaine ne cessent de recevoir les foudres des néolibéraux qui veulent faire de l’école non plus un bien public pour tous mais une marchandise comme une autre. L’État terroriste mexicain a ainsi fait appel aux criminels pour faire disparaître ces étudiants qui devenaient gênants et qui risquaient de gagner à leur cause le reste de la société mexicaine, fatiguée de subir les décisions d’une caste politique corrompue et violente.
Selon Rafael Barajas et Pedro Miguel, journalistes mexicains, la connivence entre le pouvoir politique et les barons de la drogue fait du Mexique un « narco-Etat ». Cet acoquinement entre les deux pouvoirs, intimement liés, s’explique notamment par leur dépendance mutuelle. En effet, selon l’agence de sécurité Kroll, ce sont entre 25 et 40 milliards de dollars provenant de la drogue qui alimenteraient l’économie mexicaine. Un argent indispensable pour un État néolibéral au sein duquel le secteur financier occupe une place prépondérante. Une somme plus importante que celle tirée des exportations de pétrole qui représentent 25 milliards de dollars. L’État mexicain ne peut donc plus vivre sans cet argent provenant de la drogue. On comprend tout de suite mieux pourquoi l’impunité envers les organisations criminelles est de mise. Comme le soulignent les journalistes mexicains, « les narcotrafiquants ne peuvent agir sans la coopération des hommes politiques et des fonctionnaires à tous les niveaux ». Et le président Nieto est loin d’être épargné. Une partie de la presse a en effet révélé le lien potentiel entre ce dernier et les narcotrafiquants. Il aurait reçu, toujours selon les informations de la presse mexicaine, des millions de dollars afin de financer sa campagne électorale, l’une des plus dispendieuses de l’histoire. (2)
Enfin, notons la terrible répression policière et militaire qui s’abat en permanence sur ceux qui osent défier l’ordre injuste et violent qui prévaut au Mexique. Une des cibles privilégiées des différents pouvoirs en place a été les journalistes. Depuis 2010, plus de 100 d’entre eux ont été assassinés, 12 dans le seul État de Guerrero, là où ont disparu les étudiants.(3) Critiquer le pouvoir en place ou, pire, oser révéler ses liens avec les barons de la drogue, c’est s’auto-condamner à mort. Être journaliste critique du pouvoir dans ce pays, c’est vivre avec la peur. La peur de l’enlèvement, la peur du viol, la peur de la mort. Dans un reportage réalisé par la chaîne d’information Telesur dans l’État de Guerrero, une journaliste témoigne (4) : « l’État de Guerrero est un État très compliqué. Tu peux être menacé par les narcotrafiquants, par le maire, par les militaires... Tu n’as aucune garantie » avant de dénoncer la complicité des médias dominants mexicains avec le pouvoir notamment au sujet d’Ayotzinapa : « La télévision est devenu le moyen par lequel le pouvoir se légitime ».
Aujourd’hui au Mexique, le simple fait de revendiquer tel ou tel droit en allant manifester est suffisant pour se retrouver soit derrière les barreaux soit dans une des centaines de fosses communes que l’on trouve dans le pays. L’insécurité règne et le pouvoir installe une peur quotidienne. Et les chiffres sont là (5) : 57 899, c’est le nombre d’enquêtes préliminaires pour homicide volontaire ouvertes depuis l’arrivée au pouvoir d’Enrique Pena Nieto le 1er décembre 2012. Le nouveau président mexicain est un habitué des répressions. Lorsqu’il était gouverneur de l’Etat de Mexico, il avait donné l’ordre en 2006 de mater les manifestants de San Salvador Atenco qui luttaient pour ne pas être expulsés de leurs terres. Cette violence impitoyable s’applique également envers ceux (qui ne pensent pas ou) qui osent montrer leur désaccord politique et idéologique avec le pouvoir en place. En août 2014, l’organisation Nestora Libre qui défend les prisonniers politiques a annoncé que plus de 350 personnes avaient été mises derrière les barreaux depuis décembre 2012, et ce pour des motifs politiques. Face à ce constat alarmant, doit- on encore considérer le Mexique comme un pays démocratique où règne un État de droit ? Évidemment, non. Mais cet État terroriste, présidé par un homme tout aussi violent et cruel, ne semble pas déranger certains présidents occidentaux. En effet, la France lui a remis récemment la grand-croix de la Légion d’honneur. Elle faisait ainsi honneur à la politique néolibérale impulsée par le président Nieto. Comme dans le cas du Pérou, la France, tout comme la majorité des pays impérialistes et néocoloniaux, a décidé de fermer les yeux sur les atrocités qui secouent le Mexique. La presse également, même si elle a évoqué les événements d’Ayotzinapa, est restée discrète sur les liaisons qui unissent l’État mexicain et les narcotrafiquants. Cela signifie que, tant qu’un pays sert les intérêts économiques, énergétiques et géopolitiques des multinationales, il pourra commettre les pires exactions, assassiner à tout va, torturer comme bon lui semble, emprisonner arbitrairement sans être jamais épinglé ni par les gouvernements ni par les médias occidentaux. Le message pourrait être le suivant : « Laissez-nous vous piller et vous pourrez torturer ». En revanche, lorsqu’il s’agit de présidents qui ont refusé de se soumettre à l’impérialisme occidental, tous les coups sont permis.
Quand on parle du Venezuela, de la Bolivie ou de l’Equateur, le procédé journalistique se veut violent, caricatural, mensonger... La docilité des médias envers les États complaisants à l’égard de l’idéologie dominante laisse place à la désinformation et à la diffamation des gouvernements progressistes. La méthode est simple : pour le Pérou et le Mexique, on applaudit les réformes néolibérales en occultant les conséquences sociales désastreuses et on cache la répression et les atteintes aux droits de l’homme. Pour les nations progressistes, c’est l’inverse : on masque les réussites sociales, politiques et économiques et on met en exergue les prétendues atteintes à la « démocratie » et à la « liberté d’expression ». Cette hypocrisie et cette médiocrité journalistique tendent à plomber la démocratie et à donner une vision manichéenne de l’histoire et de l’actualité en célébrant les pantins des pouvoirs occidentaux et en débinant ceux qui s’y opposent.
Car dans une société vraiment démocratique, les médias qui ne seraient plus aux mains des puissances de l’argent informeraient de manière objective les citoyens sur les différentes expériences politiques et socio-économiques menées dans le monde. Malheureusement, nos commentateurs et autres spécialistes nous ont habitués à l’information partiale, voire parfois aux invectives concernant les présidents de gauche de la région. C’est le cas par exemple de l’État plurinational de Bolivie dirigé par son digne président Evo Morales. Le cas de la Bolivie est symptomatique de l’hypocrisie et du dualisme flagrant de la presse. Les politiques économiques et sociales ambitieuses instaurées par Morales depuis son arrivée au pouvoir en 2005 sont en totale opposition avec celles imposées par le président péruvien. Le traitement médiatique s’avère être également très différent...
Lorsque Morales prend le pouvoir en 2005, il trouve un pays ravagé par des années de néolibéralisme. La nation andine compte plus de 38% de personnes en situation d’extrême pauvreté. Le chômage et l’indigence rongent les villes et les campagnes sont frappées par la faim et la mort. Les populations indigènes sont, comme toujours depuis 1492, les plus sévèrement touchées. Les gouvernements qui se sont succédé, tous semblables, ont suivi la même politique et servi les mêmes intérêts : ceux de l’oligarchie nationale dont ils sont issus ainsi que ceux des multinationales étrangères comme BP, Bechtel ou encore Total qui se gavent de milliards de dollars grâce au pétrole et au gaz. La Bolivie, tout comme les autres pays d’Amérique Latine qui avaient suivi le chemin néolibéral, est alors encensée par les institutions financières internationales et qualifiée de « bon élève ». Mais ces politiques inhumaines imposées par le FMI et la Banque Mondiale éveillèrent dangereusement l’esprit de révolte du peuple bolivien.
Le coup de grâce survint en 2000 lorsque le président Hugo Suarez décida de privatiser l’eau et de la concéder dans certains secteurs comme Cochabamba à des entreprises privées telle que la multinationale états-unienne Bechtel . Et, comme si cela ne suffisait pas, le président Lozada imposa en 2003 la privatisation du gaz avec la bénédiction des multinationales et de la Banque Mondiale, cette odieuse Banque Mondiale qui avait menacé de stopper l’aide au développement si la Bolivie ne privatisait pas son gaz. Les privatisations enflammèrent la société bolivienne qui se souleva. Les manifestations qui suivirent furent violemment réprimées par les forces de l’ordre, rappelant ainsi les heures noires des dictatures militaires des années 1960-1970.
Cette violence d’État et les conséquences sociales désastreuses qu’ont provoquées les mesures économiques néolibérales marquaient le glas de la caste au pouvoir. Tout comme au Pérou, l’arrivée au pouvoir d’un indigène suscita alors d’immenses d’espoirs. Cet ancien éleveur de coca, syndicaliste que rien ne destinait à un tel destin a entamé non sans difficultés une révolution démocratique, sociale et économique qui fait de la Bolivie un exemple pour des millions de personnes qui aspirent à un autre modèle que celui imposé par l’Occident.
Au niveau politique tout d’abord, une nouvelle constitution vit le jour comme au Venezuela. Celle-ci consacrait pour la première fois l’intérêt général sur celle de l’oligarchie nationale, une oligarchie qui avait vécu pendant des décennies sur la misère et l’exploitation du peuple. Une nouvelle constitution entrée en vigueur en 2009 a mis définitivement fin à l’ « État colonial, républicain et néolibéral au profit d’un État unitaire social de droit plurinational communautaire ». Ce fut le premier affront fait au système de domination capitaliste. Puis, qui dit fin de l’« État colonial et néolibéral » dit fin d’une économie basée sur l’hyper profit des multinationales étrangères grâce au pillage des ressources naturelles et fin d’un modèle économique qui ne sait que prôner la privatisation et le désengagement de l’Etat. A l’arrivée au pouvoir de Morales, 82% des bénéfices liés au pétrole et au gaz allaient remplir les coffres-forts des transnationales. De son côté l’État bolivien, lui, ne recevait que 18% de cette manne. Face à cet état de fait humiliant, le chef de l’État bolivien fit voter une loi en 2006 qui allait changer la donne. C’est la fameuse loi sur les hydrocarbures. Désormais l’État touchera grâce à cette loi 82% des bénéfices et les multinationales 18%.
La reprise en main par l’État bolivien des principales sources de richesses du pays a permis de lancer de vastes programmes sociaux grâce notamment aux pays de l’ALBA tel que Cuba qui a envoyé des milliers de médecins dans la nation andine. Grâce à la compétence reconnue mondialement des professionnels cubains, plus de 600000 boliviens ont ainsi pu être soignés, notamment dans le cadre de la mission Milagro qui a pour but de soigner les maladies des yeux. Enfin en 2008, la Bolivie a été déclarée « territoire libre d’analphabétisme » par l’Unesco, devenant ainsi le troisième pays sud-américain, après Cuba et le Venezuela, à l’éradiquer. Ces politiques économiques et sociales ambitieuses et courageuses ont permis de réduire la pauvreté de 25%, d’augmenter le salaire minimum réel de 87% et de baisser l’âge de la retraite, ce dernier passant de 60 à 58 ans pour les hommes et de 60 à 55 ans pour les femmes. Deuxième revers pour l’économie dominante.
Enfin, sur le plan international, la Bolivie s’est grandement écartée de l’orbite des États-Unis. Membre de l’ALBA, le pays a profondément accru ses relations diplomatiques, commerciales et politiques avec les pays du sous-continent. Il a été un acteur majeur, avec Cuba ou encore l’Équateur, de la nouvelle intégration régionale impulsée par le défunt président Chavez. De plus, le gouvernement bolivien a considérablement développé ses relations avec le géant chinois, ce qui n’a pas manqué d’agacer la Maison Blanche qui voyait une nouvelle nation d’Amérique du Sud lui échapper. Troisième revers pour l’empire occidental, notamment états-unien.
Cette politique volontariste qui a remis l’État au centre du jeu a permis à Morales d’être réélu deux fois de suite. En 2009 tout d’abord, il recueille plus de 63% des voix puis, tout récemment en octobre dernier, plus de 61% des voix. Ce plébiscite a néanmoins très peu retenu l’attention des médias et des observateurs occidentaux. A part quelques lignes dans la presse et une rapide annonce dans les journaux télévisés, rien ou presque n’a filtré sur cette élection. Serait-ce parce que la Bolivie a pris un autre chemin que celui prôné par les idéologues néolibéraux ? Ou bien parce que l’exemple bolivien, équatorien ou encore argentin pourrait donner des idées à ceux qui en Europe souffrent des politiques d’austérité ? C’est un peu tout cela. Mais ce qui fait aujourd’hui la misère et le drame du journalisme, c’est le manque d’information criant sur les politiques novatrices des pays qui ont refusé de se soumettre aux diktats de l’idéologie dominante. Les médias-partisans préfèrent plutôt dénoncer le « populisme » de ces présidents, voire leur gestion « autoritaire ». L’analyse, l’enquête, la recherche ont été abandonnées du travail journalistique au profit de la caricature, du mensonge et de l’intérêt portés à la forme.
Comme le 3 juillet dernier lorsqu’une dépêche de l’AFP reprise aussitôt par de nombreux médias français annonça que le président bolivien « avait autrefois l’habitude de se soigner en buvant son urine ». La décence et le bon sens incitent à ne même pas commenter cette annonce. Puis, suite à son élection en octobre dernier, on a eu droit à un festival de jugements péjoratifs sur la personne du président, le Parisien affirmant par exemple que l’exercice du pouvoir en Bolivie est « parfois jugé autocratique par les observateurs ». Quels observateurs ? Sans doute ces fameux « experts » qui viennent répandre leurs mensonges et leur propagande sur les plateaux télés. Le quotidien révéla également que Morales a « parfois du mal à s’exprimer en espagnol ». Véritable mépris à l’encontre du président bolivien car le sous-entendu est évidemment qu’étant Indien et ayant vécu dans la misère, Morales n’a pas l’élocution aisée. N’y aurait- il pas là un certain racisme de la part des médias dominants à l’encontre du président indigène ? Une forme de dédain ? La réponse est dans la question.
Enfin, le très sérieux quotidien pointe du doigt le troisième mandat du président bolivien en affirmant que ce dernier est en « contradiction avec la constitution qui n’en permet que deux successifs ». Jusque là, c’est vrai, sauf que le journal oublie une petite précision pourtant capitale. En 2013, un arrêt de la cour suprême décide que, puisque la nouvelle constitution date de 2009, le premier mandat débuté en 2005 n’entre pas en ligne de compte. Dans la tête des lecteurs, l’élection de Morales apparaît donc comme illégale. C’est malheureusement ce genre de désinformation qui alimente la méfiance de certains citoyens européens envers les présidents progressistes latino-américains.
Toutefois, il faut rappeler que la Bolivie est loin d’être un cas isolé. Venezuela, Équateur, Argentine, tous ces pays qui ont choisi avec plus ou moins de radicalité d’opter pour un changement de politique économique ont également reçu les foudres des « chiens de garde » du système. On ne compte désormais plus les attaques répétées contre l’ancien président Hugo Chavez accusé de tous les maux, traité de « dictateur », de « populiste ». Toutes ces invectives ont eu pour but de décrédibiliser la figure de l’ancien président. Ce fut en vain car, pour les citoyens conscients et bien informés (ce qui est rare de nos jours), Chavez fut tout sinon la description qui en était donnée par les « spécialistes » et autres « médiacrates ».
Nouvelle constitution redonnant une véritable indépendance économique et politique au pays, nationalisation des secteurs-clés de l’économie, comme l’énergie et les transports, établissement d’une démocratie participative à travers notamment le référendum révocatoire à mi-mandat, programmes sociaux ambitieux qui ont permis de réduire considérablement la pauvreté et d’éliminer l’analphabétisme, forte augmentation du nombre d’étudiants à l’université, construction de milliers de logements, membre fondateur avec Cuba de l’ALBA... La liste des succès est encore longue. Pourtant, nos chers médias lorsqu’ils se sont intéressés au Venezuela ont préféré balayer d’un revers de la main les réussites de cette révolution authentique et historique. Insécurité, alliances « douteuses » avec l’Iran, « antiaméricanisme », fermeture de chaînes de télé, voilà le lot des accusations portées contre le commandante.
Étudions le cas de l’insécurité. Il est vrai qu’elle est encore très présente au Venezuela mais elle n’est pas apparue avec Chavez comme le martèlent plus ou moins implicitement des quotidiens comme Le Monde ou Libération qui sont devenus des experts en mensonges et en propagande. Le Venezuela a en effet souvent connu une forte insécurité notamment à cause du trafic de drogue. Mais la nouvelle insécurité qui est née après l’élection de Chavez est davantage liée aux tentatives de déstabilisation et de coups d’État de la part de l’opposition de droite et d’extrême droite qu’à la « dérive autoritaire du président ». En effet, l’opposition a énormément fait appel aux paramilitaires fascistes colombiens qui ont fait entrer des milliers d’armes sur le sol vénézuélien. De plus, l’aide financière de Washington aux opposants a eu pour but de semer la terreur et de créer le chaos au Venezuela dans le but de justifier une intervention militaire états-unienne. Coup d’État du 11 avril 2002, blocage de l’économie en 2003 et, plus récemment, manifestations violentes d’étudiants en février 2014 avec l’assassinat du jeune et prometteur député chaviste, Robert Serra. Le cocktail est le même que celui utilisé contre Salvador Allende.
Les médias dans tout ça ? Dans leur style habituel, ils cataloguent le camp du président comme étant « diable » et celui de l’opposition comme étant « saint ». Un manichéisme qui rend ce type de « journalisme » médiocre et indigne. Lors de la présidentielle de 2012, les médias occidentaux se plaisaient à présenter le candidat Capriles comme « jeune », « dynamique », ayant fait ses études aux Etats-Unis. Mais on se gardait bien en revanche de rappeler qu’il avait activement participé au coup d’État d’avril 2002 en attaquant l’ambassade de Cuba. Une soudaine amnésie s’était subitement emparée des médias...
Tout comme en février dernier, lorsque les médias tombés dans un angélisme dont ils ont le secret décrivaient les courageux manifestants qui « bravaient la répression » du président Maduro. Bien sûr, dans tout pays démocratique, le droit de manifester est un droit fondamental. Mais lorsque ce dernier se transforme en un raz de marée de violences, de meurtres, de tentatives d’instaurer le chaos et l’ingouvernabilité, il est normal que les forces de l’ordre interviennent. Alors, il y a bien pu y avoir du côté des policiers bolivariens des excès et une violence disproportionnée mais il ne faut pas oublier que les chefs des étudiants, Lorent Saleh et Gabriel Valle, avaient récemment été expulsés de Colombie pour possession d’armes et faisaient activement partie de l’extrême droite fasciste vénézuélienne qui ne cessait d’appeler à la violence. Ces étudiants n’étaient donc pas tous venus dans un esprit pacifique mais plutôt pour en découdre avec les forces de l’ordre et ainsi montrer au monde entier la fameuse « dictature vénézuélienne ». Et, malheureusement, ceci a en partie fonctionné. Les médias occidentaux, sans même parfois authentifier les photos postées sur les réseaux sociaux par les étudiants, les ont relayées immédiatement en dénonçant la terrible « répression » qui sévissait au Venezuela. Petite précision : on apprendra quelque temps après que de nombreuses photos relayées ainsi par les manifestants étaient des images de répressions d’autres pays comme le Chili ou l’Égypte. Sans commentaire …
Quant à la supposée fermeture de la chaîne de télé RCTV, la presse a également pris un malin plaisir à dénoncer les atteintes à la fameuse « liberté d’expression ». Chavez se serait donc levé un beau matin et aurait décidé arbitrairement de fermer une chaîne qui était critique à son égard. Voilà en gros ce que disaient les médias dominants. La réalité est un peu différente : RCTV faisait partie des nombreuses chaînes privées qui émettent au Venezuela et, depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez, n’avait cessé de le diffamer, de l’insulter, de le caricaturer en singe à cause de sa peau mate et de son origine sociale et, plus grave encore, avait carrément appelé au meurtre du président. Voilà la raison qui a poussé Chavez à ne pas renouveler la licence de cette chaîne. Les médias avaient bizarrement « oublié » de pointer du doigt les plans cyniques de la chaîne. Décidément l’amnésie est une maladie incurable chez nos chers « journalistes ».
Enfin, on pourrait également mentionner le cas équatorien où le silence est également de mise concernant les réussites économiques, sociales et politiques de ce pays. Et lorsque le président Rafael Correa réélu triomphalement débarque en France en novembre 2013, rencontre le président français et donne une conférence à la Sorbonne, les journalistes disparaissent des écrans radars. Pas une ligne ou presque évoquant le discours donné (en français) par le chef d’État de l’Équateur. En tant que citoyens, nous sommes en droit de nous interroger sur le silence coupable de la presse. Y avait-il dans le discours du président des choses que les citoyens ne devaient pas savoir ? Oui, en effet, les mots du président auraient sans doute pu faire réfléchir les citoyens sur les politiques d’austérité qu’on leur impose ainsi que sur le refrain incessant du « poids de la dette ». Car Correa sait de quoi il parle. L’Equateur tout comme l’Argentine fut aussi frappé de plein fouet par les politiques néolibérales. Et qui dit politiques néolibérales dit austérité à perpétuité et accroissement de la dette. Mais, au lieu de continuer dans l’impasse austéritaire qui condamnait son peuple à la misère à vie, Rafael Correa, économiste, décida d’aller à contre-courant des injonctions du FMI et de la Banque Mondiale.
S’agissant de la dette tout d’abord, il décida de lancer un audit et découvrit qu’un tiers de la dette équatorienne était illégitime. C’était une dette qui avait été contractée par les anciens oligarques au pouvoir pour leur propre profit. L’argent prêté avait été accordé en violation avec les règles du droit international. Un argent dont le peuple n’avait jamais vu la couleur et n’en avait aucunement profité. Le drame de l’Équateur est que ce pays avait remboursé des dizaines fois sa dette à cause des taux d’intérêts usuriers ! C’est ce que risque de faire la Grèce si elle continue sur le chemin de l’austérité. La nouvelle constitution équatorienne adoptée au suffrage universel en 2008, à travers notamment l’article 290, stipule les points suivants : 1. On ne recourra à l’endettement public que si les rentrées fiscales et les ressources provenant de la coopération internationale sont insuffisantes. 2. On veillera à ce que l’endettement public n’affecte pas la souveraineté nationale, les droits humains, le bien-être et la préservation de la nature. 3. L’endettement public financera exclusivement des programmes et projets d’investissement dans le domaine des infrastructures, ou des programmes et projets qui génèrent des ressources permettant le remboursement. On ne pourra refinancer une dette publique déjà existante qu’à condition que les nouvelles modalités soient plus avantageuses pour l’Équateur. 4. L’« étatisation » des dettes privées est interdite. Que les gouvernements occidentaux empêtrés dans le remboursement de la dette en prennent de la graine !
Quant à l’austérité, elle fut abandonnée par Correa au profit d’une politique de relance et de redistribution massive. Encore une fois, comme dans le cas de la Bolivie et du Venezuela, l’État a été remis au centre du jeu. Et les résultats sont similaires. Réduction de la pauvreté, baisse significative de l’analphabétisme, augmentation des budgets de santé et d’éducation qui rendent ces derniers gratuits, nationalisation des secteurs stratégique de l’économie, baisse du chômage... La raison du silence des médias est là ! Il ne fallait surtout pas donner le sentiment aux peuples qu’une autre politique était possible. Heureusement que des médias comme l’Humanité ou le Monde diplomatique étaient là pour nous informer de cette conférence. « L’Europe endettée reproduit nos erreurs », voilà le message d’alerte qu’avait lancé le président équatorien à ce vieux continent qui n’a jamais paru aussi vieux qu’aujourd’hui... Les médias devaient sans doute être trop occupés à s’intéresser aux batailles politiciennes des partis ou à évoquer une énième fois le « risque Front National ». Misère médiatique...
Cette étude comparée du traitement médiatique qui concerne l’Amérique Latine est effrayante. Elle démontre à quel point les médias dominants occidentaux usent de multiples artifices pour dépeindre une réalité faussée. Dans la presse, l’amnésie devient monnaie courante. On occulte des vérités dérangeantes. « Informer », nous répètent les barons des médias. Ces derniers sont aujourd’hui plus à l’aise dans leur costume d’agents de désinformation et de propagande que de nobles acteurs de l’information. S’ils aiment tant le journalisme, alors pourquoi ne passent-ils pas plus de temps à évoquer les assassinats quotidiens de leurs homologues mexicains au lieu d’encenser un président qui « vend les bijoux de famille » ? Pourquoi n’évoquent- ils presque jamais les conséquences sociales et environnementales des politiques néolibérales dans la région ? Pourquoi continuent-ils à s’acharner sur des dignes présidents qui ont sorti une grande partie de leur peuple de la misère et de l’ignorance ? Ce silence médiatique est grave notamment lorsque ces fameux barons osent se targuer d’accomplir leur devoir démocratique en informant. La raison de ce silence est sans aucun doute due à la connivence entre les pouvoirs économique et médiatique. Le premier dominant le second.
Quant au pouvoir politique, son silence sur les violations des droits de l’homme en dit long sur son cynisme et son hypocrisie. La démocratie et les droits de l’homme sont aujourd’hui des domaines à géométrie variable. Leur importance varie selon le degré de soumission d’un pays aux ordres des gouvernements impérialistes. Plus le pays en question sera docile et inféodé aux puissances occidentales, plus ces dernières fermeront les yeux sur les violations de l’État de droit. En revanche, plus un pays tentera de s’émanciper de l’ordre capitaliste dominant, plus il sera menacé d’un coup d’État et de déstabilisation. Œuvrer pour le développement de son pays en nationalisant les secteurs- clés de son économie est et a toujours été perçu depuis Washington, Paris ou encore Madrid comme un affront vis-à-vis de l’Occident. D’Allende à Chavez en passant par Sankara en Afrique, tous les moyens ont été utilisés pour se débarrasser de ces présidents dangereux pour l’ordre économique capitaliste. En revanche, comme l’a montré le président Francois Hollande la semaine dernière en recevant le boucher Abdel Fatah Al Sissi, les pays capitalistes se sont toujours montrés très souples voire complices avec ceux qui ouvraient le pays aux transnationales et qui, dans le même temps, torturaient leur population. Mobutu, Pinochet, Franco, tous ces criminels ont bénéficié de l’aide des pays qui se présentaient et qui continuent à se présenter pourtant comme des modèles de démocratie et de défenseurs des droits de l’homme. Nous vivons aujourd’hui dans des sociétés où les classes dominantes tentent d’enfermer les citoyens dans un moule conservateur où l’avènement d’un autre modèle de civilisation serait impossible. La tyrannie de la pensée unique a fait que de plus en plus de gens se retrouvent dans une situation de passivité et d’inaction permanentes face à un pouvoir qui écrase et impose sa vision du monde et des choses. Voilà pourquoi les puissances impérialistes occidentales feront tout ce qui est en leur pouvoir pour faire tomber des présidents et des peuples qui ont refusé la soumission et l’humiliation.
Il est donc dans notre devoir de citoyens de nous battre pour que surgisse une presse libre et indépendante. Lutter pour montrer la véritable réalité des révolutions démocratiques latino-américaines. Combattre ceux qui font de la propagande et du mensonge leur fonds de commerce. Les médias sont devenus des moyens pour asservir les peuples, faisons en sorte qu’ils deviennent au contraire des leviers d’émancipation et de libération.
Notes :
(1) José Natanson, Et Buenos Aires retrouva du pétrole, Le Monde diplomatique, Juin 2012 (2) Roberto Gonzales Amador et Gustavo Castillo, « Indicios de lavado de dinero con las tarjetas de Monex ». La Jornada, 12 juillet 2012 (3) http://www.telesurtv.net/news/Croni... (4)Ibid (5) www.sinembargo.mx
Source :
Investig’Action
Publié par : http://www.michelcollon.info