2016-07-25

C’est incroyable. Avant, les événements en Syrie occupaient les premières pages des journaux. Maintenant, pas une ligne, ou presque, sur ce qui se passe à Idlib ou à Alep. La situation y est pourtant dramatique.

Idlib, c’est la grande ville du nord de la Syrie. Elle est en train de sa préparer au pire. Le Conseil de la ville vient de décider d’évacuer tous les patients vers les hôpitaux des autres villes et villages de la province. Six hôpitaux en tout vont être évacués par les Casques blancs, l’idée étant de laisser la place pour les urgences. Le Conseil a pris cette décision sur la base des informations dont il dispose: il s’attend à ce que la ville soit massacrée.

Sur Facebook, j’ai vu que quelqu’un avait publié un dialogue qu’il a eu avec sa soeur. Lui est en Turquie, il est médecin. Il s’appelle Ahmad. Sa soeur est à Idlib: elle et sa tante sont paniquées mais elles ne savent pas dans quel village se réfugier. En lisant leur échange, j’ai écrit à Ahmad que mon appartement dans mon propre village était vide et que je le tenais à sa disposition. Il ne m’a pas encore répondu.

D’ailleurs, l’offensive a déjà été lancée contre Idlib. Il y a eu cet accord, ou plutôt cette feuille de route signée entre les Russes et les Américains. Jusqu’à présent, les Etats-Unis se refusaient à coopérer avec les Russes. Et surtout, ils étaient contre les bombardements contre le front Al Nosra, dont les troupes sont implantées dans des zones mixtes, c’est à dire où on trouve également des combattants modérés, sans parler des civils.

Les Etats-Unis jugeaient que seul Deich devait être bombardé. Maintenant, ils sont d’accords pour que les Russes attaquent autant Deich que Al Nosra. Ils se sont mis d’accord pour échanger des renseignements militaires. En contrepartie, les Américains comptent sur les Russes pour faire pression sur le régime pour la mise en place d’un gouvernement de transition. Et cette feuille de route prévoit que les Syriens n’ont dorénavant plus le droit de participer aux bombardements.

Confrontés à nouvelle situation, les Européens se sont réunis pour dire qu’ils étaient d’accord avec cette entente, sous réserve que le gouvernement de transition soit instauré dans les six mois, et que ni Bachar al-Assad, ni ses adjoints, ni aucuns de ceux qui ont occupé des rôles importants au sein du régime ne puissent se présenter.

Que penser de ce rapprochement entre Russes et Américains? Il va peut-être dans la direction d’une solution. Bien entendu, elle n’a plus rien à voir avec la cause que nous soutenions. Mais qu’est-ce qu’il nous reste à attendre d’autre qu’une solution qui mettent un terme à l’hécatombe?

De tout cela, combien de journaux occidentaux ont parlé? Les médias sont vraiment ma dernière déception, je ne sais pas si il peut y en avoir de pire encore. Pourquoi ne parle-t-on plus de la Syrie? Après Nice, Bruxelles ou Paris, c’est comme si les journaux avaient abandonné leurs valeurs. Où est la liberté d’expression dont ils se faisaient les défenseurs? Où est le quatrième pouvoir? J’ai l’impression qu’on leur a donné des instructions, que les politiques leur ont dit de laisser tomber la Syrie. Sinon, comment comprendre qu’on ne parle plus, ou si peu, des bombardement à Idlib? Des massacres en cours à Alep? Ou des « bavures » de la coalition: des dizaines et des dizaines de civils ont été tués à Manbij dans les bombardements de la coalition.

Et quand je m’interroge, cela ne concerne pas que les médias occidentaux. Al Jazeera aussi ne rend plus compte de ce qui se passe dans mon pays.

Il y a pire encore que la non information: la déformation. Comme avec cette histoire de ce jeune, Issa, qui a été égorgé par un groupe rebelle au motif qu’il était un espion à la solde du régime. Son égorgement est un crime, c’est incontestable. Mais le fait est que ce jeune homme avait pris son parti: il avait choisi de combattre au côté du gouvernement. Et surtout, il n’avait pas douze ans comme on l’a écrit ici, mais 19 ans. Pendant que les médias occidentaux se déchaînaient sur cette histoire, on a oublié ce qui se passait à Idlib, Manbij ou Alep. Les médias sont complètements absents, et il suffit d’une information pas sûre comme celle qui a circulé à propos de ce soit disant enfant, et ils en font des tonnes.

On a tendance à dire que le monde d’aujourd’hui est un village. Cela présente de nombreux avantages, mais en même temps, on peut faire circuler une information fausse à toute vitesse en utilisant tous les moyens de la communication moderne.

Je venais de partager ces réflexions avec une amie de Genève, quand j’ai été appelé sur mon téléphone, par une autre amie, Syrienne, cette fois. Elle fait partie des femmes représentantes de la société civile que De Mistura, le médiateur des Nations Unies pour la Syrie, tient à intégrer aux pourparlers qui tournent en rond depuis si longtemps. Au téléphone, mon amie m’a dit qu’elle dînait avec d’autres représentants de la société civile, réunis à Genève ces jours. Elle m’a invité à les rejoindre, et je me suis dit: « Pourquoi pas, c’est l’occasion de rencontrer des gens nouveaux ». Et puis soudain, j’ai entendu des chants dans mon téléphone. Je lui ai dit: « Mais que faites-vous? ». Elle m’a répondu: « Nous faisons la fête! Allez vient, rejoint-nous, nous sommes dans un restaurant juste devant le jet d’eau ». Faire la fête à Genève?!? Quand on est censé représenter la société civile syrienne? J’ai trouvé cela terriblement anormal, d’une indécence qui m’a bouleversé. Alors j’ai décliné l’invitation: « Désolé, non, je ne peux pas .»

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