2016-07-14

Alors que Dimitris Avramopoulos était récemment entendu par la commission LIBE au lendemain de la présentation par la Commission européenne, le 7 juin dernier, d’un plan d’action sur l’intégration, un aspect-clef de cette stratégie a tout particulièrement suscité l’intérêt des eurodéputés : la révision du régime de la carte bleue européenne, ou Blue Card, pour les migrants dotés d’un degré de qualification élevé. Que ce soit par le biais de Sylvie Guillaume (S&D), Nathalie Griesbeck (ALDE) ou de Mariya Gabriel (EPP), nombreux étaient ceux à souligner la nécessité d’adapter cet instrument à la réalité de terrain. Il s’agit de faire sensiblement évoluer un mécanisme devenu, de son adoption jusqu’à aujourd’hui, et par la force des choses (i.e. par volonté des capitales), impropre à répondre à ses principaux objectifs. En somme, l’attente suscitée par cette proposition de réforme est simple : comment promouvoir la Blue Card européenne, outil primordial de la politique économique de l’UE sur le long terme, au détriment des instruments concurrents dont disposent déjà les entreprises au niveau national ?

Critiques initiales et réticences des États-membres à se fondre dans un idéal harmonisé

La Directive du 25 mai 2009 introduisant la Blue Card européenne se voulait initialement, et de manière fort ambitieuse, une alternative viable à la Green Card américaine. Dans un contexte hautement compétitif de brain-drain, où il s’agit de rivaliser avec des ensembles régionaux tels que les Etats-Unis, le Canada ou l’Australie, le schème de carte bleue européenne vise non seulement à cibler les travailleurs étrangers hautement qualifiés ; mais encore à tenter, non sans mal, d’effacer les disparités subsistant entre États-membres dans ce domaine. Il avait été utilement invoqué qu’un tel système pourrait en partie pallier le vieillissement de la population européenne, en particulier dans le champ des travailleurs qualifiés, et ainsi constituer un apport non-négligeable à notre système de wellfare. Pour autant, et malgré ses nombreux mérites, il s’agit de rappeler au préalable que l’esquisse présentée dès 2007 d’une Blue Card (BC) était loin, bien loin, d’emporter un assentiment unanime de la part des États-membres. Aussi, si l’Espagne, la France ou l’Italie s’étaient très tôt rangés au soutien d’un instrument louable visant à accroître la croissance et la compétitivité de l’UE, d’autres, tels que le Danemark, l’Irlande ou le Royaume-Uni, avaient tout aussi promptement fait savoir leur volonté d’opt-out de ce projet, arguant de la perte de souveraineté en matière migratoire qu’entraînerait une pareille initiative et du risque de vagues de migrants qui en résulterait.

Contrairement à la Green Card dont elle voulait largement s’inspirer, il faut encore remarquer que sa consœur européenne ne pouvait être amenée à couvrir de la même manière les besoins de tous les États-membres. En effet, à la différence de la situation prévalant Outre-Atlantique, les besoins spécifiques en main d’œuvre qualifiée d’une entité (ici nationale) donnée sont nécessairement – et sensiblement – distincts d’une autre. De la sorte, certains ont pu voir dans cette directive une tentative d’imposer par le haut une priorisation sectorielle ne correspondant pas aux attentes nationales en matière de demande et d’offre d’emplois hautement qualifiés : là était, une fois encore, opposé l’argument de la souveraineté nationale. Similairement, de nombreuses voies s’étaient alors élevées pour arguer de la préférence nationale : il paraissait assez présomptueux de la part de la Commission d’escompter des capitales un ralliement aveugle autour de cette proposition alors que l’ensemble régional se voyait confronté à la plus grave crise économique et financière de sa jeune histoire et qu’il s’agissait désormais de lutter en priorité contre une envolée des taux de chômages domestiques. Cette crainte d’une centralisation trop accrue, dans un domaine pourtant par définition si sensible, explique donc avec recul le peu de volontarisme des États-membres à adhérer à la logique portée par la Blue Card.

Adoptée finalement le 25 mai 2009, on pouvait déjà au terme de sa lecture identifier trois séries de problèmes qu’allait nécessairement induire la directive sur le long terme. Ainsi tout d’abord, comme utilement relevé par la directrice du Migration Policy Institute Europe, Elizabeth Collett, de la vocation par trop généraliste de ce schème, qui ne visait aucunement à remplacer les vingt-sept systèmes nationaux de migrations économique, mais bel et bien à compléter ceux-ci. En outre, la Blue Card Directive conférait aux États-membres un droit de regard exclusif en termes d’établissement de quotas nationaux de migrants (« labour market test ») pouvant aspirer à ce mécanisme : à cet égard, la directive ne créait aucunement de droit à l’admission. Se posait enfin la question de la définition et de la reconnaissance des diplômes/qualifications concernés par l’acception de « high skilled education », dans la mesure où de nombreux États-membres ne reconnaissent pas à l’identique les diplômes issus des pays-tiers (et qu’il n’existe pas au surplus de système européen harmonisé en la matière).

Doublons, diversité de transpositions et échec de la vocation première de la Blue Card

Comme mentionné à l’instant, la Blue Card Directive était originale en ce qu’elle avait vocation à suppléer – pour ne pas dire idéalement supplanter – des schèmes nationaux déjà existants. Tous les États-membres disposaient en effet déjà à l’horizon 2007-2008 de politiques-clés visant à capter des groupes en particulier au sein des Highly Skilled Migrants même si, comme noté par un rapport de la Commission, seuls dix d’entre eux élargissaient alors leur champ-cible en-dehors des « scientifiques, artistes ou professeurs d’universités ». Lucie Cerna, analyste rattachée à l’OCDE, discernait à cet égard les différentes approches adoptées par les gouvernements à l’endroit de la Blue Card Directive, lorsqu’il s’était agit de transposer celle-ci : entre ceux qui la jugeait utile en guise de seul complément d’une politique nationale déjà existante ; ceux qui, ne disposant pas de cette dernière, y voyait une occasion salutaire d’enfin se doter d’un mécanisme adéquat et ceux qui, tout à l’inverse, firent vœux d’opt-out pour lui préférer un recentrage exclusif sur le national.

Cette diversité, légitime d’apparence, a pourtant indirectement contribué à l’émergence de deux phénomènes corrélatifs qui ont enterré l’ambition d’harmonisation portée par la Directive de 2009. En l’affaire, les États-membres ont usé au maximum de la très large discrétion dont ils disposaient pour transposer la mesure en droit interne (flexibilité qui avait d’ailleurs pour grande partie conditionné son adoption). Dans un domaine où les États-membres semblent faire montre d’une réticence extrême à concevoir la nécessité d’une réflexion non pas seulement tournée sur eux-mêmes, mais conçue à l’endroit d’un marché du travail pris dans son ensemble, à l’échelle européenne, il apparaissait difficile d’empêcher l’émergence d’une forme de compétition informelle entre schèmes nationaux et système Blue Card. Partant, par jeux de transposition, les conditions d’accès aux premiers ont souvent et bien volontairement été facilitées par-rapport au second. Ainsi, lors de l’opération de visa shopping éventuellement opérée par les migrants économiques, le permis « concurrent » national apparaissait plus favorable (ce qu’espérait en partie endiguer la Blue Card Directive).

Coexistence problématique avec les schèmes nationaux mise à part, c’est bel et bien en définitive l’hétérogénéité des transpositions effectuées qui a le plus durement affecté l’esprit de la Directive. Selon Sona Kalantaryan et Iván Martin, chercheurs au Migration Policy Centre, cette variété explique que l’on ait aujourd’hui quelques vingt-sept interprétations et autant d’adaptations nationales correspondantes de la Blue Card ; constat particulièrement criant lorsqu’on trouve à comparer les critères d’admission et les conditions ou droits afférents qui différent presque systématiquement d’un État-membre à l’autre. Lucie Cerna insistait déjà sur le grand danger que présupposait une telle diversité en matière de mobilité et d’approche en termes de droits détenus par les Highly Skilled Migrants. L’importante diversité quant à la définition et aux conditions d’admissions des HSM freine indéniablement leur mobilité intra-UE et favorise une inégalité certaine, selon que les migrants considérés postulent à la Blue Card dans un État-Membre plutôt que dans un autre. Le seuil minimum requis, la durée de validité du permis ou les délais de procédures ne font pas exception. Par ailleurs, la complexité et la lenteur variable des procédures n’encourage pas l’attraction des principaux sujets ciblés par cette initiative. À ce titre, l’auteure précitée arguait que les ressortissants de pays-tiers intéressés n’était pas seulement contraint à des restrictions de frontières en-dehors de l’UE mais également au sein de celle-ci.

Ces nombreuses lacunes avaient conduit milieu académique comme Commission à évoquer dès 2014 une refonte souhaitable du système pour tenter, cette fois, de rendre à ce mécanisme sa qualité première d’instrument harmonisé. Assurément, le défaut d’attractivité de la Blue Card a trouvé traduction dans le très faible nombre de candidatures (et d’attributions octroyées par là même) pendant la période 2011-2014. Comme noté par Kalantaryan et Martin, seule l’Allemagne semble en avoir fait un usage pertinent au service de sa politique migratoire économique. Mais comparé aux besoins cruciaux à l’avenir de certains secteurs en matière de main d’œuvre qualifiée, on est loin d’y répondre utilement par ce biais : il ne fait pas sens d’envisager cette politique sur le court-terme, c’est impérativement sur le long-terme qu’il va s’agir de tabler, comme rappelé dernièrement par le Commissaire Avramopoulos.

Pour ce faire, plusieurs pistes étaient déjà avancées afin que la Blue Card recouvre une véritable valeur ajoutée par-rapports aux équivalents nationaux : accès à tout le marché du travail européen, abaissement des critères d’éligibilité relatifs aux minimums salariaux requis, abaissement des coûts jugés trop importants pour toutes les parties prenantes (défavorisant au passage sensiblement les PME au détriment des grandes entreprises) ou amélioration des droits attachés à la Blue Card (notamment en matière de réunion familiale ou de demande ultérieure de résidence permanente). Avec les priorités politiques établies par Jean-Claude Juncker puis l’adoption en mai 2015 de l’Agenda européen en matière de migration, on pouvait décemment espérer que la politique menée par Bruxelles à l’endroit de la migration économique allait recouvrir de sa superbe : à tout le moins, la nécessité de recourir à la Blue Card pour doper l’attractivité de l’UE et assurer à terme un solide apport à sa compétitivité a été maintes fois soulignée. Dans un rapport du 23 mars 2016, le Parlement européen pressait ainsi la Commission d’adopter une révision ambitieuse du mécanisme : l’annonce faite le 7 juin dernier matérialise donc cette volonté.

Proposition du 7 juin 2016 : réforme sans grand soir ou révision (trop) téméraire ?

Le texte en question appelle largement à transcender la vision minimaliste qu’ont certains États-membres de cette thématique, en les incitant à prendre conscience que l’UE doit agir comme un tout dans cette compétition internationale de brain-drain et non au coup-par-coup. Dans cette optique, il faut agir en accordance avec toutes politiques visant à consolider et approfondir la logique du Marché unique. Améliorer la mobilité entre les emplois dans les différents États-membres, faciliter les conditions d’admission et les procédures relatives à celle-ci, renforcer le panel de droits attachés à ce mécanisme (incluant la mobilité intra-européenne) tout en préservant en substance une certaine marge de manœuvre nationale, sont autant de dispositions qui en constituent les grandes lignes. Pour sûr, une première lecture a de quoi laisser songeur, et dans un bon sens du terme. En matière d’avancées consacrées par-rapport au régime actuel, on peut ainsi relever de manière non-exhaustive :

Chapitre I – General Provisions

La Commission souhaite idéalement renverser la logique qui jusqu’alors présidait dans la fonction occupée par la Blue Card au sein des États-membres : les schèmes nationaux seront désormais perçus comme subsidiaires à celle-ci et non plus l’inverse. Ici prend forme le souhait précité de Jean-Claude Juncker de voir ce mécanisme devenir l’outil principal d’admission des Highly Skilled Migrants provenant des pays-tiers (Article 1). Sujette à critiques ces dernières années, la définition retenue des higher qualifications couvertes par la Blue Card est formellement étendue : le niveau de compétences requises reste identique, mais les États-membres sont désormais tenus, au surplus des qualifications académiques, de reconnaître les qualifications professionnelles comme alternatives à cet impératif (Article 2).

Quant aux individus potentiellement concernés, on vise là encore une extension par-rapport au texte de 2009 : l’accès à la Blue Card est désormais ouvert aux HSM dont, par chaîne familiale, un membre de la famille est déjà citoyen de l’UE. Similairement, la candidature est rendue possible pour les bénéficiaires du régime de protection internationale tombant sous la « Qualification Directive ». Mention est faite toutefois de la nécessité d’un recrutement éthique, en lien avec des accords internationaux auxquels a souscrit l’UE, pour protéger des secteurs-clefs des pays en voie de développement, principaux lésés par ce phénomène de brain-drain. En outre, et dans la droite lignée de l’article 1, la proposition proscrit donc aux États-membres de conserver des schèmes nationaux ciblant le même groupe de travailleurs hautement qualifiés que ceux visés par la Blue Card : les autorités nationales doivent désormais obligatoirement promouvoir la carte bleue européenne dans un tel cas (Article 3). Les États-membres restent toutefois libres d’adopter des conditions plus favorables dans le cadre de ce sésame, notamment en matière de droits ou de modalités et procédures relatives à certaines situations (comme celle d’inactivité temporaire – Article 4).

Chapitre II – Conditions of admission

S’agissant des critères d’admission, le contrat de travail requis pour un postulant à la Blue Card n’a plus à être d’une durée minimum de douze mois mais de six seulement, contrairement à ce que posait la directive de 2009 (Article 5 par.1(a)). De plus, le salaire spécifié au sein de ce même contrat doit être égal à un seuil déterminé par les États-membres, compris dans une fourchette de 1.0 fois minimum à 1.4 fois maximum le salaire annuel moyen constaté dans l’État-membre auprès duquel est effectué la demande (autrefois d’un minimum de 1.5 sans comporter de plafond maximum). Ces différents tempéraments interviennent, là encore, en réponse à des critiques récurrentes sur la période 2011-2014, alors que l’on reprochait l’impossibilité pour les États-membres d’adapter ces seuils (à la baisse) pour répondre plus aisément à la situation délicate de certains secteurs d’activité potentiellement visés par la Blue Card (Article 5 par. 2).

Nous l’évoquions plus haut dans cet article, si la Directive de 2009 consacrait une possibilité illimitée pour les États-membres de fixer des quotas nationaux de personnes susceptibles d’être admises à la procédure de la Blue Card (« labour market test »), la proposition souhaite ôter cette marge. Les autorités nationales seraient dorénavant seulement autorisées à y recourir lorsque le marché du travail considéré se trouve sujet à une forte instabilité, conditionnant un taux de chômage sectoriel ou régional élevé (Articles 6 et 7).

Chapitre III – EU Blue Card and procedure

La période de validité de la Blue Card est fixée à vingt-quatre mois sauf si le contrat couvre une période inférieure, auquel cas le permis doit être équivalent à cette dernière plus trois mois. Dans la précédente directive, les États-membres pouvaient discrétionnairement choisir d’établir celle-ci dans un délai variant entre un an et quatre mois. En outre, les candidatures à la Blue Card peuvent être formulées sur le territoire de l’UE (si la présence sur le territoire est légale) et, maintenant, en-dehors de celui-ci. L’ancienne directive ne rendait obligatoire que la première option. La proposition réduit également le délai de notification de la décision qui passe de quatre-vingt-dix à soixante jours après le dépôt de la candidature par l’intéressé, solutionnant également une critique récurrente du schème (Articles 8 à 11).

Une autre innovation, quoiqu’optionnelle, est apportée à cet égard par le texte du 7 juin : l’introduction d’un système d’« employeurs reconnus », dont la qualité est établie au niveau national. Quand celle-ci a été reconnue par un État-membre à un employeur potentiel, la procédure d’admission se trouve encore accélérée, puisqu’elle tombe à trente jours seulement en plus de bénéficier d’autres facilités (Article 12). On peut cependant craindre a priori qu’un tel procédé ingénieux ne profite pas véritablement aux PME mais plutôt aux grandes entreprises bien implantées ça et là à travers l’Union.

Chapitre IV – Droits

Tandis que la directive de 2009 régulait strictement l’accès au marché de l’emploi des Highly Skilled Migrants, la Blue Card révisée conférerait un accès total pour ses détenteurs aux postes auxquels ils peuvent prétendre. Si les conditions d’admissions doivent continuellement être remplies au cours de la durée de validité de la carte bleue européenne, ses bénéficiaires peuvent également désormais exercer une activité salariée en parallèle de leur occupation principale (Article 13 et 14). En matière de réunion familiale, les droits sont rehaussés : les États-membres ne peuvent toujours pas imposer de délai ou mesures supplémentaires avant que la réunification ne soit autorisée, mais – nouveauté – les membres de la famille concernée recevront leur permis en même temps que la délivrance de la Blue Card au titulaire. Par ailleurs, ces membres familiaux pourront jouir d’un traitement équitable en termes d’accès illimité au marché du travail sauf en cas, comme contenu à titre exceptionnel dans les articles 6 et 7, d’un quota posé par l’État-membre visant un secteur donné (Articles 15 et 16).

Tout en conservant le cadre préexistant s’agissant de l’octroi d’un permis de résidence à long-terme pour les bénéficiaires de la Blue Card, le texte propose quelques ajustements. Cette autorisation peut être accordée si le détenteur a, soit eu une résidence continue pendant trois ans dans un même État-membre ; soit s’il a, au cours de la validité de sa carte bleue (ou autre permis de résidence) emménagé dans d’autres États-membres, cumulé cinq années de résidence continue dans ces pays. Cette modification, relevant sans doute en apparence du détail, concoure en réalité à inscrire la Blue Card comme vecteur d’intégration des migrants économiques dans leur(s) pays d’accueil et donc de répondre à la logique d’une politique, non plus d’utilité temporaire, mais bel et bien axée sur le long terme (Article 17 et 18).

Chapitre V & VI – Mobility between Member States & Final Provisions

Véritable pierre d’achoppement au sein de la Directive de 2009, la mobilité intra-UE est désormais établie de plein droit par un nouvel article consacré spécifiquement en ce sens : en vue de faciliter les déplacements que peuvent fréquemment être amenée à effectuer les HSM, l’article 19 autorise les détenteurs à une mobilité effective entre États-membres pour autant que celle-ci se rattache à l’activité exercée et qu’elle soit limitée à une période précise. Aussi, un État-membre dans lequel souhaiterait se rendre un HSM pour raison professionnelle n’a pas à exiger de documents ou procédures complémentaires de celui-ci, si ce n’est une Blue card déjà attribué par un autre État-membre (que ce dernier applique pleinement l’acquis de Schengen ou non, sauf cas prévu à l’article 22). Similairement, il devient grâce à cette nouvelle mobilité plus facile de s’implanter dans un second État-membre pour un titulaire Blue Card (et sa famille – Articles 20 et 21). Enfin, la Commission souhaite améliorer foncièrement la visibilité et la publicité faite par les États-membres de ce mécanisme auprès des intéressés car celle-ci était jugée trop, souvent à dessein, discrète par le passé (Articles 23 à 26).

On pourrait, à l’image du contexte de crise post-2008 qui prévalait lors de son adoption première, se poser la question du timing dans lequel intervient cette proposition. Si les intentions de celle-ci sont vertement méritoires, on peut toutefois interroger sa pertinence future en une heure indéniablement teintée de repli et de résurgence des thématiques identitaires. Dans un contexte de chômage structurel élevé, il semble clair que les gouvernements soient dans l’immédiat davantage pressés – à des fins éminemment électorales – à trouver une solution aux millions de chômeurs nationaux plutôt qu’à faciliter l’accès au marché de l’emploi de migrants provenant de pays-tiers, fussent-ils hélas des plus compétents. Assurément, et bien qu’en adéquation avec l’acception majoritairement admise de la notion de souveraineté, conférer autant de marge d’appréciation aux Etats-membres en matière de politique migratoire rend irrémédiablement la gestion de cette problématique tributaire des aléas politiques internes, l’exposant par voie de conséquence à la pression grandissante des formations populistes europhobes.

Pareillement, on pourrait questionner l’association des pays-tiers à ce mécanisme et l’intégration de ce dernier dans le cadre des partenariats de développement. Non sans une certaine dose de cynisme, il paraît en effet contestable de continuer à exhorter dans un premier mouvement ces pays à développer leur capacité d’innovation puis tenter, dans un second, d’en capter les principaux artisans via la Blue Card. D’aucuns critiquaient déjà en ce sens une forme moderne de colonisation, voire de relents paternalistes, qu’entretenait la Directive de 2009 sans prévoir de traitement équitable des pays lésés du brain-drain à la table des négociations (le texte n’indiquait aucunement comment minimiser un tel risque). Certains, à l’instar de Yasin Kerem Gümüs, ont ainsi avancé que l’UE devait œuvrer à renforcer le pan de l’éducation en vue de combler les différences entre offres et demandes au sein de son propre marché et apprendre à travailler de concert avec les pays-tiers pour lutter contre ce brain-drain ou, à défaut, tenter d’indexer celui-ci sur une logique éthique exclusivement circulaire. D’autres encore plaidaient pour l’ouverture d’une possibilité d’opt-out pour les pays-tiers, identique à celle dont disposent les États membres de l’Union envers la Blue Card. On peut à cet égard déplorer que l’actuelle proposition de révision n’y fasse que trop brièvement référence ; d’autant qu’un tel mécanisme, judicieusement utilisé, pourrait – certes indirectement – s’avérer précieux au soutien de récentes initiatives telles que, par exemple, le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (destiné à lutter contre les causes profondes de la migration illégale) initié au Sommet de La Valette en novembre 2015.

Adoptée à la Pyrrhus en 2009, la Blue Card Directive n’a donc pas tenu ses promesses, loin s’en faut. Si le projet initial de doter les États-membres d’un mécanisme supplétif harmonisé en matière de captation des migrants hautement qualifiés était ambitieux, sa transposition, multiple et biaisée dans les ordres internes, a largement contribué à mettre à bas toute possibilité de faire de ce modèle une alternative viable aux schèmes nationaux. En somme, la logique initiale a largement été dévoyée par des autorités nationales plus que jamais réticentes à une imposition par le haut d’une politique migratoire ciblée. Par sa proposition déposée le 7 juin 2016, la Commission semble avoir tirée les leçons de cet échec. Mais trilogue oblige, il ne nous reste plus désormais qu’à fatalement espérer qu’un maximum d’avancées contenues en son sein résistent à leur passage au Parlement et, surtout, au Conseil. Car en définitive, et dans un domaine où traditionnellement, le particulier supplante le commun et où la raison s’efface au détriment de l’émotion instrumentalisée, il y a fort à parier que ce ne sera pas chose aisée.

Maxime Rollin

Pour en savoir plus :

Articles cités

Elizabeth Collett, The Proposed European Blue Card System : Arming for the Global War on Talent ?, Migration Information Source, Washington, Migration Policy Institute, 2010.

Lucie Cerna, « Understanding the diversity of EU migration policy in practice : the implementation of the Blue Card initiative », Policy Studies, 2013, Vol. 34, No. 2, p. 180-200.

Sona Kalantaryan et Iván Martin, Reforming the EU Blue Card as a Labour Migration Policy Tool ?, Migration Policy Centre, 2015.

Yasin Kerem Gümüs, « EU Blue Card Scheme : The Right Step in the Right Direction ? », European Journal of Migration and Law, 2010, No. 12, p. 435-453.

Directives / Rapports

Commission européenne, Making Europe More Attractive to Highly Skilled Migrants and Increasing the Protection of Lawfully Residing and Working Migrants, 23 octobre 2007, p. 1.

Council Directive 2009/50/EC of 25 May 2009 on the conditions of entry and residence of third-country nationals for the purpose of highly qualified employment (OJ L 155, 18.6.2009, p. 17).

Communication du 22 mai 2014 sur la mise en œuvre de la Directive 2009/50/EC, COM (2014) 287.

Parlement européen, Report on the situation in the Mediterranean and the need for a holistic EU approach to migration, 23 mars 2006, 2015/2095 (INI).

European Commission, Proposal oits attachés à la Blue Parlement européen Card pour doper l’la carte bleue européention des droits attachés à la BlueProposal for a Directive of the EP and of the Council of 7 June 2016 on the conditions of entry and residence of third-country nationals for the purpose of highly skilled employment, COM (2016) 378 final.

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