2015-07-27

            La lutte contre la fraude et pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne ont récemment acquis une place importante dans l’agenda européen. Il s’agit de contrôler l’utilisation de l’argent public de manière à renforcer la confiance des citoyens en luttant contre la fraude. En effet, le budget de l’Union européenne est en partie financé par un pourcentage du Revenu national brut (somme des revenus perçus et du solde des flux de revenus primaires avec le reste du monde) de chaque État membre. Les ressources apportées au budget européen par les États membres proviennent donc des contribuables nationaux. Pour rappel, le budget européen représente seulement 1% du Revenu national brut de l’Union dans son ensemble et s’élève à 145 milliards d’euros pour 2015. Selon les estimations, la fraude sur le budget européen serait de l’ordre de 500 millions à 3 milliards d’euros par an. Les États membres gèrent 80% des fonds de l’Union européenne et sont les principaux responsables de la lutte contre la fraude.

Dans sa communication du 26 mai 2011 sur la protection des intérêts financiers de l’Union européenne par le droit pénal et les enquêtes administratives, la Commission européenne justifie sa stratégie antifraude par le fait que depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, « l’Union européenne et les États membres ont l’obligation de combattre toute forme d’activité illégale affectant les intérêts financiers de l’Union. » L’article 325 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit en effet que « l’Union et les États membres combattent la fraude et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union par des mesures […] qui sont dissuasives et offrent une protection effective dans les États membres, ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union. » Partant, la communication de la Commission souligne que « la protection des fonds européens grâce à une action juridique efficace et uniforme dans l’ensemble de l’Union doit devenir une priorité pour les autorités nationales. » Il s’agit de renforcer les moyens de lutter contre le détournement des fonds européens.

Cet objectif est d’autant plus difficile à atteindre que la grande variété des systèmes et des traditions juridiques européens complique la protection des intérêts financiers de l’Union contre la fraude. Sans compter que le niveau de protection des intérêts financiers de l’Union par le droit pénal varie considérablement d’un État membre à l’autre. Les sanctions applicables à la fraude vont ainsi d’amendes légères à de longues peines de prison, tandis que les législations nationales ne prévoient pas systématiquement de sanctions en cas de corruption de fonctionnaires ou de titulaires de fonctions publiques. Exemple symptomatique de cette absence d’uniformité européenne, la Convention de 1995 relative à la protection des intérêts financiers de l’Union européenne et ses actes liés (c’est-à-dire les différents protocoles et la Convention du 26 mai 1997), qui contiennent les premières dispositions en matière de protection pénale des intérêts financiers de l’Union, n’ont été pleinement mis en œuvre que par cinq États membres, alors même que tous les ont ratifiés. Les difficultés de mise en œuvre rencontrées par les États membres concernent notamment « les différences notables dans la définition des infractions de fraude et de corruption », et « le manque de considération pour les spécificités de la législation » de l’Union européenne.

A cela s’ajoute le fait que cette tâche soit rendue difficile dans la mesure où les délits portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne nécessitent souvent des enquêtes et des procédures couvrant plusieurs États membres. Pour l’heure, ces enquêtes sont menées par les ministères publics des États membres, dans le cadre de leur législation pénale respective. A cet égard, la Commission fait remarquer dans sa communication que « les autorités nationales compétentes ne semblent pas toujours disposer des ressources juridiques suffisantes et des structures appropriées qui leur permettraient d’engager des poursuites judiciaires adéquates dans les affaires affectant l’Union ». Elle déplore également que les autorités judiciaires nationales n’ouvrent pas systématiquement d’enquête pénale à la suite d’une recommandation de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) ; que les affaires de fraude au budget de l’Union fassent trop souvent l’objet d’un examen sommaire avant d’être classées sans suite ; que les enquêtes pénales impliquant plusieurs États membres aient tendance à être très longues et soumises à des normes différentes en matière de preuve, ce qui réduit les probabilités de condamnation ; mais aussi la longueur des actions pénales. Or, « chaque fois que les intérêts financiers de l’Union subissent un préjudice, tous les citoyens, en tant que contribuables, deviennent des victimes et la mise en œuvre des politiques de l’Union est compromise » fait valoir la Commission dans sa communication de 2011.

Pour y remédier, la Commission entend faciliter l’action des procureurs et des juges contre les fraudeurs où qu’ils se trouvent dans l’Union, y compris à l’étranger, à travers un renforcement des instruments existants, comme le Réseau judiciaire européen en matière pénale (RJE) ou le Réseau européen de formation judiciaire (REFJ). Le RJE a été créé le 29 juin 1998 par l’action commune 98/428/JAI du Conseil. Il s’agit d’ « un réseau de points de contact judiciaires entre les États membres » de l’Union européenne. Cela signifie que dans chaque État membre, une ou plusieurs personnes sont désignées comme « points de contact », comme intermédiaires, et chargées de faciliter la coopération judiciaire entre les États membres. Créé en 2000, le REFJ quant à lui « élabore des normes et des programmes de formation, coordonne les échanges et les programmes de formation judiciaire et renforce la coopération entre les organismes de formation nationaux ». RJE et REFJ sont donc des instruments de coopération judiciaire à l’échelle de l’Union européenne. En cela, ils constituent des outils importants de lutte contre la fraude et de protection des intérêts financiers de l’Union. Ceci étant, le premier instrument de lutte contre la fraude demeure l’Office européen de lutte antifraude (OLAF).

L’Office européen de lutte antifraude

a) Protéger les intérêts financiers de l’Union

L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) est le bras armé de l’Union européenne en matière de protection de ses intérêts financiers. L’OLAF est une entité indépendante créée par la décision 1999/352/CE du 28 avril 1999 et intégrée à la Commission européenne. Il « exerce les compétences de la Commission en matière d’enquêtes administratives externes en vue de renforcer la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés européennes, ainsi qu’aux fins de la lutte antifraude concernant tout autre fait ou activité d’opérateurs en violation de dispositions communautaires ». De même, il est chargé d’effectuer des enquêtes administratives internes destinées, non seulement, « à lutter contre la fraude, contre la corruption et contre tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers des Communautés » mais aussi « à rechercher les faits graves, liés à l’exercice d’activités professionnelles, pouvant constituer un manquement aux obligations des fonctionnaires et agents des Communautés […], des dirigeants des organismes ou des membres du personnel des institutions, organes et organismes ». Cette fonction d’enquête s’exerce en toute indépendance. Ainsi, l’OLAF a remplacé la task force « Coordination de la lutte antifraude » (UCLAF) créée en 1988, et a repris l’ensemble de ses attributions. L’Office s’est donc vu chargé d’apporter le concours de la Commission à la coopération avec les États membres, de préparer les initiatives législatives et réglementaires de la Commission en vue des objectifs de la lutte antifraude, ainsi que des activités opérationnelles de la Commission en la matière. A l’origine, le directeur de l’OLAF était désigné par la Commission, après concertation avec le Parlement européen et le Conseil, pour une période de cinq ans, renouvelable une fois. La décision 2013/478/UE de la Commission du 27 septembre 2013 a amendé la décision 1999/352/CE pour inclure de nouvelles dispositions. Il n’est plus question du « directeur » de l’Office mais du « directeur général », nommé pour sept ans, et dont le mandat n’est pas renouvelable. La protection de l’euro contre le faux-monnayage a également été ajoutée à la liste des attributions de l’OLAF. Actuellement, c’est Giovanni Kessler qui occupe cette fonction, et ce depuis le 14 février 2011. En sa qualité de directeur général de l’OLAF, celui-ci est responsable de l’exécution des enquêtes.

b) Le comité de surveillance de l’OLAF

L’article 4 de la décision de 1999 instituant l’OLAF prévoit la création d’un comité de surveillance pour exercer « un contrôle régulier sur l’exécution de la fonction d’enquête de l’Office ». A la demande du directeur général de l’OLAF, d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union ou même de sa propre initiative, le comité de surveillance transmet des avis, voire des recommandations, au directeur général concernant les activités de l’OLAF, sans interférer dans le déroulement des enquêtes en cours. Il « suit en particulier l’évolution concernant l’application des garanties de procédure et la durée des enquêtes, au vu des informations transmises par le directeur général ». De cette façon, le comité permet de renforcer l’indépendance de l’Office. Il se réunit au moins dix fois par an et adresse un rapport annuel aux institutions de l’Union européenne. Ses membres se composent de cinq experts indépendants « ayant l’expérience de hautes fonctions judiciaires ou d’enquête ou de fonctions comparables en rapport avec les domaines d’activité de l’Office », nommés par le Parlement européen, le Conseil et la Commission pour cinq ans. Actuellement, il s’agit de Herbert Bösch (ancien membre du Parlement européen), Johan Denolf (Directeur au sein de la Police Fédérale belge), Catherine Pignon (Procureure Générale près de la Cour d’Appel d’Angers), Tuomas Pöysti (Président de la Cour des comptes finlandaise) et Dimitrios Zimianitis (Procureur près du tribunal de première instance d’Athènes). Le comité de surveillance désignant son président, Tuomas Pöysti occupe cette fonction depuis le 4 novembre 2014.

c) La réforme de l’OLAF

En mars 2011, la Commission a proposé une réforme de l’OLAF en vue de « renforcer l’efficience, l’efficacité et la responsabilité de l’OLAF, tout en préservant son indépendance en matière d’enquêtes. » De cette manière, la Commission entendait « aider l’OLAF à exploiter pleinement son potentiel ». Cette proposition s’est concrétisée par l’adoption du nouveau règlement OLAF le 11 septembre 2013, renforçant la coopération entre l’Office et les autorités des États membres, ainsi que son contrôle démocratique. Chaque État membre a désigné un service AFCOS, c’est-à-dire un service de coordination antifraude national indépendant, chargé de coordonner le partage d’informations entre les autorités nationales de lutte contre la fraude et l’OLAF. De même, la réforme a introduit l’obligation pour l’Office d’enquêter à charge et à décharge, de manière « objective et impartiale ». Si le Parlement européen avait proposé d’insérer un article portant création d’un code de procédure pour les enquêtes de l’Office, l’article 17.8 du règlement de 2013 prévoit que « le directeur général adopte des lignes directrices concernant les procédures d’enquête applicables au personnel de l’Office ». C’est également le directeur général qui a à charge la mise en place d’une procédure interne de consultation et de contrôle, « y compris un contrôle de la légalité, ayant trait notamment au respect des garanties de procédure et des droits fondamentaux des personnes concernées ainsi que du droit national des États membres concernés ».

d) Une bataille institutionnelle : OLAF vs comité de surveillance

Cette réforme n’a pourtant pas résolu le conflit institutionnel qui oppose l’OLAF et son comité de surveillance. Dans son rapport d’activité pour l’année 2014 , le comité de surveillance fait état d’un certain nombre de dysfonctionnements au sein de l’OLAF. Au sujet des enquêtes menées par l’Office, le comité a souligné que sur décision du directeur général de l’OLAF, le 1er février 2012, 423 dossiers avaient été ouverts simultanément. Les travaux du comité de surveillance l’ont conduit à la conclusion selon laquelle l’OLAF n’avait « mené d’évaluation appropriée des informations entrantes pour aucun des dossiers analysés », que « pour la vaste majorité des dossiers, il n’existait pas la moindre trace d’une activité d’évaluation », et enfin que le directeur général de l’OLAF avait « ouvert tous les dossiers en question sans établir au préalable l’existence d’une suspicion suffisamment grave de fraude, de corruption ou de tout autre activité illégale ayant une incidence sur les intérêts financiers de l’Union, ce qui est contraire au prescrit juridique en vigueur ». De surcroît, le comité a indiqué que l’OLAF n’avait pas tenu compte des trois recommandations formulées dans l’avis n°1/2014 du comité de surveillance. A savoir que le directeur général de l’OLAF n’avait pas établi de lignes directrices concernant l’application des principes de sélection et, au lieu de revoir les indicateurs financiers, il les avait supprimés. Il est également apparu qu’aucun dialogue ne semblait avoir été engagé avec les parties prenantes au sujet des indicateurs financiers et d’un suivi éventuel des dossiers pour lesquels il existait des soupçons de fraude suffisants mais qui avaient été rejetés sur la base des priorités de la politique d’enquête et des principes de sélection. Enfin, le directeur général de l’OLAF n’avait pas transmis au comité de surveillance d’évaluation de l’application des priorités précédentes de la politique d’enquête ni de synthèse des retours d’informations fournis par les parties prenantes, alors qu’il s’y était engagé. Le comité de surveillance a également exprimé de vives préoccupations quant à sa capacité à exercer son mandat de surveillance, du fait d’un manque de clarté de ce mandat.

L’ensemble de ces préoccupations a été relayé par les députés dans une Résolution du 10 juin 2015 ainsi qu’au cours des débats qui ont précédé son adoption. Bart Staes (Belgique, Verts/ALE), membre de la commission du contrôle budgétaire du Parlement européen, a ainsi dénoncé les pratiques de l’OLAF consistant à enquêter alors qu’il n’y avait pas de soupçon d’infraction, à négliger ce que dit le comité de surveillance ou encore le fait que le comité de surveillance soit empêché d’exercer ses activités, n’ait pas suffisamment accès aux informations, qu’il n’y ait pas de base juridique pour l’interception de communications téléphoniques, que la durée des enquêtes soit manipulée pour faire croire que les enquêteurs travaillent plus vite, ou encore les pressions exercées sur le secrétariat de l’OLAF. Quasi-unanimement, les eurodéputés ont exhorté la Commission à intervenir en présentant un plan d’action concret pour régler ces disputes institutionnelles. En revanche, certains membres du groupe des Socialistes et Démocrates, à l’image de Inés Ayala Sender (Espagne), Boguslaw Liberadzki (Pologne), Georgi Pirinski (Bulgarie) ou Caterina Chinnici (Italie), ont dénoncé un débat prématuré et partiel dans la mesure où seule la position du comité de surveillance avait été considérée. « Nous estimons que ce débat est précipité. Il n’aborde qu’une partie des problèmes. Il ne connaît pas véritablement le rapport annuel de l’OLAF et l’OLAF est l’organisme central dont nous devons parler. Nous considérons comme précipité le débat sur le comité de surveillance avant d’avoir invité le directeur général de l’OLAF » a expliqué Madame Ayala Sender. Cela d’autant plus que bon nombre de ses collègues députés ont tiré à boulets rouges sur Giovanni Kessler, directeur général de l’OLAF.

En guise de réponse, la Commission, représentée par son Commissaire grec, Dimitris Avramopoulos a rappelé que l’OLAF ne partageait pas l’analyse du comité de surveillance selon laquelle l’ouverture de ces dossiers allait à l’encontre des prescriptions juridiques sur l’ouverture d’une enquête. Au sujet des relations entre l’OLAF et le comité de surveillance, « nous voulons faciliter ces relations, nous voulons rendre l’OLAF plus efficace » a-t-il affirmé, avant d’ajouter : « L’objectif de la Commission est bien évidemment de faciliter, de promouvoir de bonnes relations et un dialogue constructif. Toutefois, il convient de noter que l’OLAF et le comité de surveillance sont deux organes indépendants qui maintiennent un dialogue et travaillent pour poursuivre un seul et même but. La Commission peut proposer son aide à titre consultatif mais c’est à l’OLAF et à son comité de surveillance de mettre au point des méthodes qui permettront une coopération saine et constructive. » Ceci étant, la Commission va proposer un plan d’action pour mettre fin aux lacunes mises en évidence dans le rapport 2014 du comité de surveillance. Loin d’apaiser les débats, l’intervention du Commissaire a suscité de vives réactions. C’est donc sans surprise que la résolution commune au Parti populaire européen, à la Gauche unitaire européenne et aux Verts a été adoptée par 448 voix contre 197 avec 53 abstentions. Quatre résolutions avaient été déposées par différents groupes politiques mais la résolution commune a balayé celle du groupe des Socialistes et Démocrates. Si cette résolution « souligne avec force qu’il incombe à l’OLAF de se conformer aux prescriptions juridiques qui régissent l’ouverture d’une enquête », le Parlement européen « estime qu’il est regrettable que le comité de surveillance ait constaté qu’il était impossible de déterminer si les priorités de la politique d’enquête avaient été correctement identifiées et si leur application avait eu des conséquences positives ou négatives pour la lutte contre la fraude et la corruption ». De même, il « déplore le fait que le comité de surveillance ne soit pas en mesure d’exécuter pleinement son mandat ». Face à un tel constat, les députés invitent « instamment la Commission à faciliter les négociations entre l’OLAF et le comité de surveillance en élaborant, d’ici au 31 décembre 2015, un plan d’action pour la modification des modalités de travail de manière à permettre au comité de surveillance de remplir son mandat dans des conditions satisfaisantes ». Le Commissaire Avramopoulos a promis que son institution transmettrait une réponse détaillée à la résolution adoptée.

e) Rapport d’activité 2014 de l’OLAF

En attendant, l’OLAF a publié son rapport d’activité 2014 et c’est un tout autre son de cloche. Giovanni Kessler s’est félicité du fait que le bilan des activités d’enquête de l’OLAF en 2014 confirme les excellents résultats enregistrés l’année précédente. L’Office a ainsi reçu le plus grand nombre d’allégations de fraude (1 417) depuis sa création, et conduit 234 investigations, ce qui représente une augmentation de 60% par rapport à ses activités d’avant la réforme. L’ensemble des dossiers traités a donné lieu à 397 recommandations. L’OLAF a ainsi recommandé le recouvrement de 901 millions d’euros pour le budget de l’Union européenne, soit le montant le plus élevé jamais recommandé. En moyenne, la durée de traitement des affaires a été ramenée à 21 mois et le rapport 2014 indique que l’Office poursuit la réduction de cette durée. Enfin, Monsieur Kessler fait valoir dans l’avant-propos de ce rapport que l’OLAF a conclu plusieurs investigations complexes en 2014, notamment dans le domaine des fonds structurels, de la douane, du commerce ainsi que de la contrebande. Ce travail important conduit à une meilleure protection de l’argent des contribuables européens et permet de faire en sorte que les fonds européens financent des projets qui créent de la croissance et de l’emploi en Europe, peut-on lire dans le rapport. Ceci étant, le directeur général souligne que le succès de l’OLAF dans la lutte contre la fraude est conditionné par la coopération avec les États membres ainsi que les institutions de l’Union européenne.

Protection des intérêts financiers de l’Union dans le cadre du programme de Stockholm

Dans cette optique de protection des intérêts financiers de l’Union, un certain nombre de mesures destinées à prévenir ou détecter tout usage irrégulier des fonds du budget de l’Union ont été prises par les institutions. Cela notamment dans le cadre du programme de Stockholm adopté le 11 décembre 2009 par le Conseil européen qui réunit les chefs d’Etat ou de gouvernement des États membres. Ce programme constituait la feuille de route de l’Union européenne dans le domaine de la justice, de la liberté et de la sécurité pour la période 2010-2014.

Le volet « criminalité économique et corruption » du programme de Stockholm a conduit la Commission à inscrire dans son programme de travail la confiscation et la récupération d’avoirs illicites et la construction d’une politique globale de lutte contre la corruption ainsi que d’une stratégie de lutte contre la fraude. Considérant que « dans une Europe ouverte, il est nécessaire d’empêcher les criminels de profiter de notre système économique », la Commission prévoyait, dans son programme de travail pour 2011, de proposer des mesures, dès l’année suivante, comprenant « un cadre relatif à la confiscation et la récupération d’avoirs illicites et des communications relatives à une politique globale de lutte contre la corruption et à une stratégie de lutte contre la fraude ».

a) La lutte contre la corruption

Le 6 juin 2011, la Commission a adopté la décision C(2011) 3673 final instituant un mécanisme de suivi de l’Union européenne en matière de lutte contre la corruption. Ce mécanisme, qui prend la forme d’un rapport anticorruption, consiste à évaluer périodiquement la situation au sein de l’Union en matière de lutte contre la corruption, cerner les tendances et les meilleures pratiques, formuler des recommandations générales visant à orienter la politique de l’Union, formuler des recommandations adaptées aux besoins et enfin, aider les États membres, la société civile et les autres parties prenantes à recenser les points faibles, à mener des actions de sensibilisation et à dispenser des formations sur la lutte contre la corruption. Ce rapport est publié tous les deux ans par la Commission à partir de 2013 et s’accompagne « d’analyses par pays qui contiennent des recommandations adaptées aux besoins de chaque État membre ». Le premier rapport anticorruption a été publié par la Commission le 3 février 2014. Les conclusions indiquent que « la corruption n’épargne aucun État membre et coûte près de 120 milliards d’euros par an à l’économie de l’Union européenne ». En dépit des mesures prises par les États membres, « les résultats obtenus sont inégaux et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour prévenir et sanctionner la corruption », peut-on lire dans le communiqué de presse. Le rapport révèle que, de manière générale, les risques de corruption sont plus élevés aux niveaux régional et local, dans la mesure où les garde-fous et les contrôles internes tendent à être moins stricts qu’au niveau central. De même, la promotion et la construction immobilières en zone urbaine, les soins de santé et les marchés publics sont des secteurs exposés. Il en va de même pour les entreprises publiques qui connaissent généralement une surveillance déficitaire, ce qui accroît leur vulnérabilité face à la corruption.

b) Le gel et confiscation des produits du crime

Le 12 mars 2012, la Commission a présenté une proposition de directive concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne. Cette proposition a donné lieu à l’adoption de la directive 2014/42/UE du 3 avril 2014. Conformément aux recommandations du programme de Stockholm, le recouvrement des avoirs joue un rôle central dans la protection des intérêts financiers de l’Union européenne. La crainte de perdre des biens acquis de manière illicite est souvent plus forte que la crainte des sanctions pénales elles-mêmes. De plus, la Commission considère que les fonds publics perdus du fait d’activités criminelles doivent être à nouveau mis à la disposition de projets publics lorsqu’ils sont récupérés. Avant l’adoption de cette directive, le cadre juridique de l’Union en matière de gel, de saisie et de confiscation des avoirs se composait de l’action commune 98/699/JAI et des décisions-cadres du Conseil 2001/500/JAI, 2003/577/JAI, 2005/212/JAI et 2006/783/JAI. Les rapports de la Commission sur la mise en œuvre de ces décisions-cadres ont montré « que les régimes existants de confiscation élargie et de reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation ne sont pas pleinement efficaces. Les différences entre les législations des États membres constituent en effet une entrave à la confiscation. » Pour y remédier, la directive de 2014 établit des règles minimales et prévoit une définition large des biens qui peuvent faire l’objet d’un gel ou d’une confiscation. Elle n’empêche cependant pas les États membres de prévoir des pouvoirs plus étendus dans leur droit national. De plus, le cadre juridique en vigueur avant l’adoption du texte ne prévoyait pas de règles contraignantes en matière de confiscation de biens transférés à des tiers. La Commission entendait donc autoriser la confiscation de ces biens.

c) La lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union

La Commission a également soumis au Conseil et au Parlement européen, le 11 juillet 2012, une proposition de directive relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union au moyen du droit pénal. La proposition entendait établir « les mesures nécessaires pour prévenir et combattre la fraude et les autres activités illégales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union en définissant des infractions et des sanctions pénales » dans la mesure où « l’Union se doit de protéger l’argent du contribuable de la manière la plus efficace possible, en exploitant toutes les possibilités offertes par le traité sur l’Union européenne ». Or, comme évoqué précédemment, les États membres ont adopté des règles divergentes qui créent des écarts dans les niveaux de protection prévus par leurs régimes juridiques respectifs. L’analyse d’impact qui accompagne la proposition de directive de la Commission révèle que « de telles divergences ont une incidence négative sur l’efficacité des politiques de l’Union visant à protéger ses intérêts financiers ». Définir des infractions communes à l’échelle de l’Union européenne permettrait d’y remédier. Il s’agit de lutter, non seulement contre la fraude au sens strict, mais aussi contre la corruption, le blanchiment de capitaux et l’entrave aux procédures de passation de marchés publics. Ce sont donc les profits réalisés au détriment du budget de l’Union qui sont visés par la proposition législative. La Commission voit dans l’uniformisation de la protection des intérêts financiers un moyen de renforcer la crédibilité des institutions, organes et organismes de l’Union et la légitimité de l’exécution budgétaire.

Plus concrètement, la proposition définit les « intérêts financiers de l’Union » comme « l’ensemble des recettes perçues et des dépenses exposées qui relèvent : du budget de l’Union [et] des budgets des institutions, organes et organismes institués dans le cadre des traités ou des budgets gérés et contrôlés par eux. » En vue de la protection de ces intérêts financiers, le texte prévoyait que les États membres prennent les mesures nécessaires pour pénaliser un certain nombre de comportements. Parmi ces comportements figure l’utilisation ou la présentation de « déclarations ou de documents faux, inexacts ou incomplets », ayant pour effet, soit la perception ou la rétention indue de fonds provenant du budget de l’Union ou des budgets gérés par l’Union ou pour son compte, soit la diminution illégale de ressources du budget de l’Union ou des budgets gérés par l’Union ou pour son compte.

Le 6 juin 2013, le Conseil (qui rassemble les Ministres des États membres) a adopté son orientation générale sur la proposition de directive de la Commission. Concernant l’objet du texte, le Conseil considère que celui-ci « vise à établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions ». De même, un nouvel article prévoit que « les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour que soit considéré comme circonstance aggravante le fait qu’une infraction pénale visée à la directive soit commise dans le cadre d’une organisation criminelle ». Du côté du Parlement européen, la commission du contrôle budgétaire avec la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures ont adopté le rapport d’Ingeborg Grässle (PPE, Allemagne) et de Juan Fernando López Aguilar (S&D, Espagne) le 25 mars 2014. Les députés considèrent que l’objet du texte devrait aussi être d’offrir « une protection effective et équivalente dans les États membres ainsi que dans les institutions, organes et organismes de l’Union et renforcer la crédibilité des institutions et de l’action de l’Union ». Par ailleurs, les parlementaires ont introduit une définition plus large de la notion « d’intérêts financiers de l’Union » intégrant les actifs et les engagements ainsi que les activités d’emprunt et de prêt. Le rapport adopté établit une distinction entre la corruption passive et la corruption active, lorsqu’elles sont intentionnelles et précisé la notion de « détournement », à savoir « l’acte d’un agent public consistant à engager ou dépenser des fonds ou à s’approprier ou utiliser des biens d’une manière contraire aux fins prévues pour ces derniers et portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». Comme le Conseil, les députés ont estimé qu’il y avait lieu de considérer le cas des infractions commises dans le cadre d’une organisation criminelle comme une circonstance aggravante plutôt que d’y voir une infraction pénale différente. Le rapport a également introduit un nouvel article prévoyant que les États membres appliquent en droit pénal interne le principe non bis in idem selon lequel « une personne qui a été définitivement jugée dans un État membre ne peut être poursuivie pour les mêmes faits dans un autre État membre ». En matière de coopération, pour les eurodéputés, celle-ci ne devrait pas se limiter à la coopération entre les États membres et la Commission mais couvrir aussi la coopération entre les États membres eux-mêmes. Sur la base de ce rapport, le Parlement européen a adopté sa position sous la forme d’une résolution votée par 577 voix favorables, 36 contre et 28 abstentions le 16 avril 2014. Les négociations se poursuivent et la procédure législative suit son cours.

De même, l’Union européenne cherche à favoriser une coopération et une coordination étroites et régulières entre les autorités compétentes des États membres de manière à améliorer l’impact à long terme des dépenses et éviter les doubles emplois. Les actions visant à fournir une meilleure information, à dispenser une formation spécialisée, et à apporter une assistance technique et scientifique contribuent à protéger les intérêts financiers de l’Union et, ainsi, à atteindre un niveau équivalent de protection dans l’ensemble de l’Union. Le Parlement et le Conseil ont donc adopté le 26 février 2014 le règlement n°250/2014 établissant un programme pour la promotion d’actions dans le domaine de la protection des intérêts financiers de l’Union européenne, le programme Hercule III.

Qu’est-ce que ce programme ? Le programme « Hercule » pour la promotion d’actions dans le domaine de la protection de ses intérêts financiers a été établi par la décision n°804/2004/CE du Parlement européen et du Conseil pour la période 2004-2006. Par la décision n°878/2007/CE , ce programme a été prolongé pour la période 2007-2013. La troisième phase, « Hercule III », couvre la période 2014-2020. Ce programme a permis de renforcer les actions de l’Union et des États membres en matière de lutte contre la fraude, la corruption et tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, notamment la contrebande et la contrefaçon de cigarettes. Afin de poursuivre, voire de développer ces actions, le Parlement et le Conseil ont adopté un nouveau programme, « en tenant compte également des nouveaux défis à relever dans un contexte d’austérité budgétaire ». Entré en vigueur le 21 mars 2014, Hercule III va apporter un soutien aux actions menées par les États membres ainsi qu’à leur développement à hauteur de 104.9 millions d’euros sur sept ans. Il s’agira de contribuer « au renforcement de la coopération et de la coordination transnationales au niveau de l’Union, entre les autorités des États membres, la Commission et l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et, en particulier, à l’efficacité et l’efficience des opérations transfrontières ». Le troisième volet du programme vise à contribuer à « une prévention efficace de la fraude, de la corruption et de tout autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, en proposant une formation commune spécialisée au personnel des administrations nationales et régionales, ainsi qu’à d’autres parties prenantes ». La répartition des fonds est la suivante :

Type d’action

Part du budget en %

Assistance technique aux États membres

70 au moins

Formation

25 maximum

Toute autre action

5 maximum

En juillet 2015, la Commission a ainsi lancé trois appels à projet pour des actions dans les domaines : « Assistance technique », « Formation, séminaires et conférences » et « Formation juridique ». A noter tout de même que le taux de cofinancement pour les subventions octroyées au titre du programme n’excède pas 80 % des coûts éligibles.

Création d’un Parquet européen : européaniser la lutte contre la fraude

Le 17 juillet 2013, une proposition de règlement portant création du Parquet européen a été transmise par la Commission au Conseil. Cette proposition trouve son fondement dans l’article 86 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui donne au Conseil la possibilité d’instituer un Parquet européen « compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d’infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union ». A cet égard, le titre du communiqué de presse accompagnant la proposition de la Commission est évocateur : « Protéger l’argent du contribuable contre la fraude ».

a) Une valeur ajoutée européenne

Pour mener à bien cette mission de protection de l’argent du contribuable, « le Parquet européen sera une institution indépendante, soumise au contrôle démocratique », précise le communiqué. Comme nous l’avons déjà évoqué, la Commission justifie la nécessité d’un Parquet européen par le fait qu’en l’état actuel des choses, le niveau de protection est très inégal d’un État membre à l’autre. Le taux de recouvrement demeure ainsi très bas et aucune autorité européenne n’existe dans ce domaine qui a pourtant une dimension transfrontalière. Les efforts dispersés des États membres de l’Union, ajoutés aux problèmes de coordination, de coopération et d’échange d’informations que doivent surmonter l’OLAF et les agences Europol (Agence européenne en matière de répression de la criminalité) et Eurojust (Agence chargée de la coopération judiciaire), empêchent que la lutte contre la fraude soit effective, uniforme et dissuasive sur le territoire de l’Union. Au regard de ces difficultés et d’après l’article 86 pré-cité, l’Union européenne est donc légitime pour agir.

Ceci étant, ces disparités ne seront pas totalement réglées avec l’établissement d’un Parquet européen dans la mesure où le Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni bénéficieront a priori d’une clause d’exemption ou opt-out, conformément à ce que prévoit le traité de Lisbonne. Ces trois pays ne seront pas concernés par les activités du Parquet européen, sauf s’ils en décident autrement. Dans le cas du Royaume-Uni, le doute n’est pas de mise puisque celui-ci ne cesse de clamer qu’il ne rejoindra pas la structure.

b) Une structure décentralisée

Du point de vue du contenu, la proposition de la Commission prévoit l’établissement d’un Parquet européen en tant qu’organe de l’Union doté d’une structure décentralisée. Cette structure, s’appuyant sur les systèmes judiciaires nationaux, serait composée d’un procureur européen et de procureurs européens délégués. L’indépendance du Parquet européen constitue un élément important de la proposition. Elle se matérialise notamment par la remise d’un rapport annuel sur les activités générales du Parquet au Parlement européen, au Conseil et à la Commission européenne. Parmi les objectifs, on remarquera celui de « contribuer au renforcement de la protection des intérêts financiers de l’Union et à la poursuite du développement de l’espace de justice, et renforcer la confiance des entreprises et des citoyens européens dans les institutions de l’Union, tout en respectant l’ensemble des droits fondamentaux consacrés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ». Il s’agit d’établir un système cohérent, efficace et efficient pour l’instruction et la poursuite des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union européenne.

c) Des négociations difficiles dans le cadre d’une procédure législative spéciale

La proposition de la Commission, le 17 juillet 2013, a déclenché la procédure législative. L’article 86 TFUE prévoit qu’en la matière, « le Conseil statue à l’unanimité, après approbation du Parlement européen ». Il s’agit là de ce que l’on appelle une procédure législative spéciale. La proposition de la Commission a ainsi été transmise au Conseil où les négociations sont toujours en cours. Le Parlement européen n’est pas co-législateur comme c’est le cas dans la procédure législative ordinaire. Il pourra accepter ou refuser le texte du Conseil mais ne pourra l’amender. En cas de rejet, l’acte ne sera pas adopté. Cette procédure n’empêche pas le Parlement de formuler des recommandations. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait dans sa Résolution du 12 mars 2014 . Ainsi, les eurodéputés ont fait observer « que la création d’un Parquet européen est de nature à apporter une valeur ajoutée particulière à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, pour autant que tous les États membres y prennent part, étant donné que les intérêts financiers de l’Union et, par conséquent, les intérêts des contribuables européens doivent être protégés dans tous les États membres ». Le Parlement a, par ailleurs, demandé « au Conseil de l’associer étroitement à ses travaux législatifs à travers un échange continu d’informations et une consultation de tous les instants ».

Au regard des avancées des négociations, le Parlement européen a adopté le 30 avril dernier un rapport intérimaire par 487 voix pour, 165 contre et 33 abstentions. Dans ce rapport de Monica Macovei (PPE, Roumanie), les députés européens ont insisté sur l’indépendance du Parquet européen. A cet égard, ils ont émis des réserves sur la possibilité d’une structure collégiale envisagée par le Conseil. S’il est crucial que le Parquet soit protégé de toute pression politique, établir un organe collégial composé d’un membre par Etat et placé sous l’autorité d’un procureur général n’est pas sans conséquence. De plus, la nécessité de fixer des règles pour la répartition des compétences entre les juridictions nationales et le futur Parquet européen ainsi que de clarifier ses relations avec Eurojust et l’OLAF figurent parmi les recommandations du rapport Macovei. Au cours des débats, les parlementaires ont fait valoir que si le Conseil demeurait sourd à leurs recommandations, ils refuseraient d’approuver le projet de règlement. Cela d’autant plus que le Conseil, une fois de plus, n’était pas représenté dans l’hémicycle strasbourgeois, comme l’a déploré Ingeborg Grässle (PPE, Allemagne). Věra Jourová, Commissaire en charge de la Justice, des Consommateurs et de l’Egalité des genres, a indiqué aux députés que la Commission tenait beaucoup à ce que la mise en place du Parquet européen soit possible d’ici 2016, même si les négociations au Conseil demeuraient difficiles. Après cinq trilogues, qui sont des réunions tripartites rassemblant des représentants de la Commission, du Conseil et du Parlement européen, « nous avons beaucoup de mal à faire avancer les choses avec les États membres mais nous avons besoin d’un Parquet européen » a abondé l’eurodéputée Ingeborg Grässle. Pour Sylvia-Yvonne Kaufmann (S&D, Allemagne), le rapport intérimaire est un message clair adressé aux États membres, « nous n’entendons pas leur donner carte blanche, nous voulons une procédure transparente » a-t-elle expliqué, avant d’ajouter que le Parlement européen devait être associé au choix des personnels de ce futur Parquet européen. Louis Michel (ADLE, Belgique), de son côté, s’est montré plus sévère à l’égard des États membres qui selon lui « se réfugient derrière le principe de souveraineté pour ne rien faire » et jouent « un double jeu ». Il semble donc qu’une majorité de députés soit favorable à l’établissement d’un Parquet européen, sous certaines conditions. N’en déplaise à Timothy Kirkhope (ECR, Royaume-Uni) pour qui il faudrait avant tout optimiser les outils déjà disponibles tels que l’OLAF, Eurojust, Europol et le projet de directive sur la protection des intérêts financiers de l’Union. « Une autre loi, une autre agence avec une politique à taille unique pour régler des problèmes diverses, ce n’est pas la meilleure solution » a-t-il indiqué.

Le Conseil a, quant à lui, adopté le 15 juin 2015, les 16 premiers articles de la proposition de création d’un Parquet européen. Ces articles concernent notamment l’organisation et le fonctionnement de la structure ainsi que la délégation de certaines affaires à des procureurs nationaux. Le doute subsiste toujours sur le nombre exact d’États membres qui y participeront.

Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme

Si la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont des activités qui ne portent pas spécifiquement sur la protection des intérêts financiers de l’Union, celles-ci contribuent cependant à leur sauvegarde.

a) 24 ans de lutte contre le blanchiment de capitaux

La directive 91/308/CEE du 10 juin 1991 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, constitue la première étape de la lutte contre le blanchiment au niveau communautaire. Le texte trouve son fondement dans le constat qu’à cette date « le blanchiment de capitaux a une influence évidente sur le développement du crime organisé en général et du trafic de stupéfiants en particulier ». Ceci étant, « des mesures adoptées exclusivement au niveau national, sans tenir compte d’une coordination et d’une coopération internationales, auraient des effets très limités ». Il s’agit, pour la communauté européenne d’alors, de tenir compte des recommandations du groupe d’action financière internationale (GAFI) sur le blanchiment de capitaux en les intégrant dans sa propre législation. Le GAFI est un organisme international créé en 1989 pour « examiner et élaborer des mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux » ; mandat qui sera étendu en 2001 pour inclure la lutte contre le financement du terrorisme.

Conformément à ce qui figure sur le site internet de l’organisation, le GAFI a pour objectif « l’élaboration des normes et la promotion de l’efficace application de mesures législatives, réglementaires et opérationnelles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et les autres menaces liées à l’intégrité du système financier international ». Des recommandations ont ainsi été publiées en 1990 puis révisées en 1996, 2001, 2003 et 2012, en vue d’harmoniser les règles existantes au niveau mondial. L’adoption de la première directive anti-blanchiment le 10 juin 1991 se justifie ainsi par le fait que « toute action de la Communauté devrait […] tenir compte des recommandations du groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux, mis en place en juillet 1989 ». La directive définit le blanchiment de capitaux comme « la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne qui est impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes », mais aussi, « la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou de droits relatifs dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité », ou « l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens en sachant, au moment de la réception de ces biens, qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité » ainsi que la tentative ou participation à l’un de ces trois actes. L’article 2 stipule que les « États membres veillent à ce que le blanchiment de capitaux […] soit interdit ».

Dix ans plus tard, la directive 2001/97/CE du 4 décembre 2001 a modifié la première directive anti-blanchiment afin de l’adapter aux nouvelles pratiques criminelles liées au blanchiment de capitaux ainsi qu’à la mise à jour des recommandations du GAFI de 1996. Le régime de lutte contre le blanchiment qui concernait auparavant uniquement le produit des infractions liées au trafic de stupéfiants et les professions financières est étendu. De plus, les États membres doivent veiller à ce que les établissements concernés exigent l’identification de leurs clients pour toute transaction dont le montant atteint ou excède 15 000 euros.

La troisième directive anti-blanchiment, la directive 2005/60/CE du 26 octobre 2005  « établit le cadre destiné à protéger la solidité, l’intégrité et la stabilité des établissements de crédit et autres établissements financiers, ainsi que la confiance dans l’ensemble du système financier, contre les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ». Cette harmonisation minimale est, là encore, fondée sur les recommandations du GAFI qui ont été adaptées et développées en 2003. Ceci étant, la nouvelle directive vise à combler les lacunes de la directive 91/308/CEE modifiée qui, par exemple, « donne relativement peu de précisions quant aux procédures à appliquer » en matière d’identification du client. Il y a donc lieu « d’introduire des dispositions plus spécifiques et plus détaillées sur l’identification du client et de tout bénéficiaire effectif et la vérification de leur identité ». La troisième directive anti-blanchiment a abrogé et remplacé la directive 91/308/CEE modifiée par la directive 2001/97/CE.

b) La quatrième directive anti-blanchiment

Le 5 février 2013, la Commission européenne a transmis au Parlement européen et au Conseil une proposition de directive relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, ou quatrième directive anti-blanchiment, ainsi qu’une proposition de règlement sur les informations accompagnant les virements de fonds. Les objectifs principaux des mesures contenues dans la proposition de directive sont « de renforcer le marché intérieur en réduisant la complexité des opérations transfrontières; de protéger la société de la criminalité et du terrorisme; de préserver la prospérité économique de l’Union européenne en permettant aux entreprises d’opérer dans un environnement efficient; et de contribuer à la stabilité financière en protégeant la solidité, le bon fonctionnement et l’intégrité du système financier ». Le caractère évolutif des activités criminelles et « la nature changeante du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme – d’autant plus changeante que la technologie et les moyens à la disposition des criminels évoluent constamment – impose d’adapter en permanence le cadre juridique devant permettre de contrer ces menaces ». Le GAFI a ainsi révisé ses normes et formulé de nouvelles recommandations en février 2012. Dès lors, la Commission a engagé son propre réexamen du cadre européen et adopté en avril 2012 un rapport sur l’application de la troisième directive. Actuellement, le GAFI compte 36 membres parmi lesquels la Commission et 15 membres de l’Union européenne dont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. Le 16 décembre 2014, un accord est intervenu entre le Parlement et le Conseil sur les textes de la directive et du règlement. Le Conseil l’a entériné en avril 2015 tandis que le Parlement européen a approuvé cet accord à l’occasion de la session plénière du 20 mai. La quatrième directive anti-blanchiment abroge et remplace la directive 2005/60/CE.

La proposition de la Commission précisait que les États membres devaient veiller à ce que les sociétés et les trusts obtiennent et conservent des informations sur leurs bénéficiaires effectifs. Les députés européens ont introduit une disposition selon laquelle les États membres devront « tenir des registres centraux reprenant les informations liées aux propriétaires « effectifs » finaux de sociétés et autres entités légales, ainsi que de fiducies (trusts) ». Est propriétaire effectif celui qui « détient ou contrôle une entreprise ainsi que ses activités, et autorise, en fin de compte, les transactions ». Ces registres seront accessibles sans restriction aux autorités compétentes ainsi qu’à leur cellule de renseignement financier. Les personnes ou entités ayant un « intérêt légitime » comme les journalistes d’investigation par exemple, y auront également accès ; à charge pour les États membres de définir qui sont ces personnes ou entités. Celles-ci pourront dès lors avoir accès au nom des propriétaires ultimes, à leur mois et année de naissance, leur nationalité, leur pays de résidence et à des détails sur la propriété. Ceci étant, les informations des registres centraux sur les trusts seront uniquement accessibles aux autorités et aux « entités soumises à des obligations ». Pour Krisjanis Karins (PPE, Lettonie), co-rapporteur sur la directive anti-blanchiment, ces registres constituent un « outil puissant qui aidera dans la lutte contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale flagrante ». Un État membre pourra même décider de rendre ces registres publics.

Le texte clarifie également les dispositions relatives aux personnes politiquement exposées, à savoir « celles qui présentent un risque de corruption plus élevé que la normale en raison de la position politique qu’elles occupent, comme les chefs d’État, les membres de gouvernement, les juges des cours suprêmes, les membres de parlement, ainsi que les membres de leur famille ». Des mesures supplémentaires devraient ainsi être mises en place en cas de relations commerciales risquées avec ces personnes.

Le champ d’application de la directive est également étendu dans la mesure où celle-ci concerne les transactions en liquide d’un montant supérieur ou égal à 10 000 euros, et non plus 15 000. La proposition de la Commission prévoyait même d’abaisser ce seuil à 7 500 euros. Les prestataires de jeux d’argent devront aussi accorder une attention particulière aux transactions d’un montant supérieur à 2 000 euros.

Parallèlement, les députés ont approuvé le règlement sur le transfert de fonds dont l’objectif est d’accroître la traçabilité des payeurs et bénéficiaires et de leurs avoirs. Pour Jean-Marie Cavada (ADLE, France), « l’Union s’inscrit, à n’en pas douter, au premier plan de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ces prochaines années. » Les États membres disposent de deux ans pour transposer la directive dans leur législation.

Lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

Si la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne concernent pas directement la protection des intérêts financiers de l’Union, comme la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, celles-ci contribuent à leur sauvegarde.

a) Le plan d’action de la Commission pour renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales

Par définition, la fraude et l’évasion fiscales ont un caractère transfrontalier. Cette caractéristique confère à l’Union européenne une valeur ajoutée dans la lutte contre ces activités, quand bien même cela relève des compétences des autorités nationales. Un État membre à lui seul ne peut lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales. L’Union a donc établi un plan d’action à cet effet en décembre 2012, basé sur la coopération et l’échange d’informations, mais aussi sur des accords avec plusieurs pays voisins. L’action européenne s’inscrit donc dans un cadre international. A l’occasion de la présentation de ce plan d’action, Algirdas Šemeta, alors Commissaire européen chargé de la fiscalité et de l’union douanière, de l’audit et de la lutte antifraude a déclaré : « Près de mille milliards d’euros sont perdus chaque année dans l’Union en raison de la fraude et de l’évasion fiscales. Il s’agit non seulement d’une perte scandaleuse de recettes bien nécessaires, mais aussi d’une menace pour la justice fiscale. Si les États membres doivent renforcer les mesures nationales de lutte contre la fraude fiscale, des solutions exclusivement unilatérales ne suffiront pas. » Il a ainsi appelé à « une attitude ferme et cohérente de l’Union à l’égard des fraudeurs du fisc et de ceux qui leur facilitent la tâche ».

Le plan d’action de la Commission visait d’une part, à mieux utiliser les instruments existants et faire progresser les initiatives en cours, et d’autre part, à présenter de nouvelles initiatives. Dans le pr

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