2015-07-23

Mardi 16 juin 2015, nous avons rencontré dans son bureau bruxellois du Parlement européen, l’eurodéputée française Marie-Christine Vergiat.

Membre de la Délégation française du Front de Gauche / Alliance des Outremers et du groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique (GUE/NGL), Marie-Christine Vergiat est élue eurodéputée de la circonscription Sud-Est (Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse) en 2009.

Réélue en 2014, elle est membre titulaire de la commission « Libertés civiles, justice et affaires intérieures » (LIBE) et de la sous-commission « Droits de l’homme », ainsi que membre suppléante de la commission « Affaires étrangères » (AFET) du Parlement européen. Outre ces commissions, Marie-Christine Vergiat est également membre de la Délégation pour les relations avec le Parlement panafricain et membre suppléante de la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb et l’Union du Maghreb arabe.

Active sur les problématiques liées aux migrations, aux discriminations et aux droits de l’homme et à l’égalité notamment, Marie-Christine Vergiat se définit comme « féministe, altermondialiste, militante de l’égalité et des droits » sur son site internet.

Nous l’avons donc interrogée sur l’actualité européenne, ainsi que sur son expérience d’eurodéputée.

Le dossier hongrois a ainsi fait l’objet de la première question.

Pour rappel, le 10 juin 2015, le Parlement européen a adopté par 362 voix contre 247 et 88 abstentions une résolution sur la situation en Hongrie. Cette résolution fait suite aux déclarations du premier ministre hongrois, Viktor Orbán, qui entend rouvrir le débat sur la peine de mort dans son pays, considérant que « tout n’est pas inscrit dans le marbre ». Les députés européens ont ainsi rappelé que « tout État membre qui rétablirait la peine capitale agirait […] en violation des traités et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » et qu’une telle violation « déclencherait la procédure prévue à l’article 7 », à savoir la suspension de certains droits découlant de l’application des traités pour l’Etat membre en question, y compris les droits de vote au Conseil, qui rassemble les Ministres des Etats membres de l’Union.

Sur la situation en Hongrie, vous avez à plusieurs reprises exprimé vos inquiétudes dans l’hémicycle européen. Êtes-vous satisfaite de la résolution adoptée par le Parlement européen le 10 juin dernier ?

Ce n’est pas la première fois que le Parlement européen adopte une résolution sur la Hongrie. Le Parlement européen s’était déjà saisi de cette question à plusieurs reprises lors de la précédente mandature et j’avais déjà été shadow [rapporteur fictif] de mon groupe. Cette fois-ci, j’aurais tendance à dire que Monsieur Orbán franchit les lignes rouges, notamment lorsqu’il évoque la peine de mort. Il s’agit d’une valeur fondamentale de l’Union européenne puisqu’il est demandé aux Etats membres qui souhaitent rejoindre l’Union européenne d’abolir la peine de mort.

Comme souvent au Parlement européen, le problème vient du fait que les députés acceptent de mettre en cause les Etats qui posent problème en matière de droits de l’homme, à condition que les personnes incriminées ne soient pas de leur groupe politique. C’est ce qui s’est passé avec le PPE [Parti Populaire Européen] sur la Hongrie mais c’est aussi ce que l’on peut voir avec d’autres groupes sur d’autres sujets. Le cas présent est particulièrement emblématique puisque la résolution n’a pas été votée par la plupart des députés du PPE.

Cette résolution est le fruit d’un compromis, mais plutôt sur le centre et la gauche de l’hémicycle. Un compromis qui aurait pu aller plus loin mais qui donne déjà lieu à une bonne résolution. Celle-ci condamne fermement les propos de Viktor Orbán sur la peine de mort, en ne se contentant pas des explications fournies par le PPE, selon lesquelles Monsieur Orbán aurait eu une conversation avec Monsieur Schulz, le président du Parlement européen, et lui aurait expliqué qu’en réalité, il ne souhaitait pas rétablir la peine de mort dans son pays. Quelques jours après ladite conversation, il a d’ailleurs récidivé sur une radio hongroise en expliquant que la décision d’abolir la peine de mort devait redevenir une compétence des Etats membres. Selon lui, ce devrait être à chaque Etat membre de décider de rétablir ou non la peine de mort. S’il tient de tels propos, j’imagine qu’il souhaite rouvrir le débat en Hongrie.

Globalement, la résolution va dans le bon sens. La question qui se pose – et qui s’était déjà posée au moment du rapport Tavares sur la situation des droits fondamentaux et les réformes constitutionnelles en Hongrie, adopté par le Parlement européen le 3 juillet 2013 – est la suivante : Comment mettre en place des mécanismes qui permettraient effectivement de sanctionner ce genre de dérives et d’atteintes aux droits de l’homme par les Etats membres de l’Union européenne ? Pour le moment nous en sommes loin. Il est vrai que même si la Hongrie fait figure de caricature, cette question ne se pose pas uniquement pour cet Etat. Elle se pose dans tous les Etats membres de l’Union européenne à des degrés divers. En France par exemple, ce qui se passe, d’une part, autour du terrorisme avec le vote de la loi sur le renseignement, et, d’autre part, ce qui s’est passé avec les migrants de La Chapelle, montre que l’Union européenne devrait, de temps en temps, rappeler à la connaissance des Etats membres les valeurs européennes – qui, pour moi, ne sont d’ailleurs pas européennes mais universelles – à savoir, celles de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Nous avons beaucoup de progrès à faire. Je dis souvent qu’il suffit de regarder l’évolution des condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme vis-à-vis des pays membres de l’Union européenne pour voir à quel point les droits régressent sur cette partie du continent, y compris dans les pays qui étaient pionniers en la matière et parmi les fondateurs de l’Union européenne.

Vous avez évoqué la loi sur le renseignement en France. Que pensez-vous de la question écrite adressée par vos collègues de l’ALDE (groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe) au président de la Commission Jean-Claude Juncker ?

A noter que les députés Nathalie Griesbeck (France), Sophie in’t Veld (Pays-Bas), Louis Michel (Belgique), Cecilia Wikström (Suède) et Filiz Hyusmenova (Bulgarie) ont adressé en avril dernier à la Commission une question écrite au sujet du projet de loi français sur le renseignement. Ils l’ont ainsi interpellée sur la conformité de ce projet de loi aux droits et valeurs de l’Union européenne, mais aussi au droit de l’Union européenne. Depuis l’interview de Marie-Christine Vergiat, la Commission a répondu et exprimé « de vives inquiétudes d’ordre juridique ».

La démarche du gouvernement français soulève effectivement un certain nombre de questions. Après les attentats du 11 janvier, le Premier Ministre, Manuel Valls, avait indiqué qu’il n’y aurait pas de Patriot Act à la française. En se penchant sur le contenu de la loi sur le renseignement, j’ai plutôt le sentiment que le Patriot Act à la française est achevé et met en place un mécanisme de surveillance généralisée.

Alors même que nous savons dans ce Parlement où nous avons beaucoup travaillé sur ces questions – nous sommes même le Parlement au monde qui a le plus travaillé sur ces questions et qui a le plus fait d’auditions – que tous ces fichages généralisés ne servent à rien. Ce n’est pas de cette façon qu’il faut agir. Il faut cibler les données et non pas les accumuler. Emmagasiner des stocks de données ne sert strictement à rien sauf à créer un système de surveillance généralisée, voire de contrôle social.

Comment faudrait-il alors lutter contre le terrorisme ? Quelle approche adopter ? J’ai cru comprendre que l’option du PNR européen (Passenger Name Record) c’est-à-dire d’un registre des passagers aériens, n’était pas non plus une proposition que vous souteniez.

Le PNR adopte la même logique de collecte de données. Il s’agit simplement de rassurer l’opinion publique. Ce que je dis, et je ne suis pas la seule à le dire au Parlement européen, c’est qu’il faut, d’abord et avant tout, utiliser les outils existants. Nous savons où le bât blesse et nous l’avons vu lors des attentats de Paris et de Copenhague : il n’y a pas assez de coopération policière entre les Etats membres. Les Etats membres veulent bénéficier des informations de leurs collègues sans avoir à partager les leur. Ce sont des moyens humains dont nous avons besoin. Pourquoi les auteurs des attentats de Paris n’étaient-ils plus sous surveillance ? Créer des banques de données ne règlera pas ce type de problèmes.

Le contraste entre le consensus national autour du projet de loi français sur le renseignement et les protestations entendues au niveau européen est saisissant.

Dans la plupart des Etats, les autorités réagissent à chaud par rapport à l’événement. Les gouvernements veulent montrer qu’ils agissent et les parlementaires n’osent pas s’opposer aux mesures qui leur sont proposées pour ne pas prendre l’opinion publique à contre-pied. Il ne faut pas réagir à chaud sur ces questions là. C’est ce que disent beaucoup de députés au Parlement européen.

En la matière, il faut expliquer pour apporter de la rationalité. Les attentats dits « islamistes » sont la cible des mesures prises par les gouvernements en réaction à ce type d’événement. Pourtant, s’ils sont les plus mortifères, ils représentent entre 2% et 4% des attentats terroristes commis sur le sol de l’Union européenne.

Tout cela est de l’ordre de la symbolique et alimente les peurs, les fantasmes, fait monter le racisme, la xénophobie et l’extrême droite en prime.

Pourtant, ce type de discours ne semble pas trouver écho au niveau national.

Malheureusement, nous sommes dans une bataille d’idées sur ces questions là. Il y a une régression. Certaines mesures qui sont proposées aujourd’hui auraient fait bondir il y a 30 ans.

Au Parlement européen, il y a encore de la résistance. Cependant, nous voterons certainement le PNR européen. A titre personnel, je ne le voterai pas mais il y aura une majorité. Cela alors même que le PNR ne sert à rien. Nous avons même pire que le PNR avec le paquet Smart borders [Frontières intelligentes] qui prévoit le fichage de toutes les personnes qui entrent sur le territoire de l’Union européenne.

L’Agenda pour la migration adopté par la Commission le 13 mai vise à remédier aux naufrages et à la crise humanitaire qui se joue en Méditerrannée. Vous avez expliqué à plusieurs reprises que cet Agenda n’était pas à la hauteur pour éviter les morts et résoudre cette crise humanitaire. En quoi n’est-il pas à la hauteur ?

Avec cet Agenda, la Commission européenne fait de la communication. Elle explique que les moyens du sauvetage en mer vont être mis en œuvre et que les opérations Triton et Poseidon conduites par l’Agence Frontex [l’Agence européenne en charge de la gestion de la coopération entre les Etats membres aux frontières extérieures de l’Union] vont être renforcées, passant de 3 à 9 millions d’euros. Pendant de nombreuses années, la Commission nous a pourtant expliqué que Frontex n’avait pas pour objectif le sauvetage en mer. Aujourd’hui, d’un seul coup, les choses changent. Bonne nouvelle.

Ceci étant dit, l’opération militaire et humanitaire italienne Mare nostrum a coûté 90 millions d’euros à l’Italie entre 2013 et 2014. L’Agenda n’est donc pas à la hauteur. La priorité affichée est de détruire les bateaux des passeurs. Monsieur Danjean (PPE, France), qui n’est pas de mon bord politique mais est expert des questions de défense, a expliqué, dans l’hémicycle du Parlement européen, que cela était irréalisable.

Ce sont donc des moyens financiers qui manquent à l’Agenda pour la migration ?

Ce sont des moyens humains et financiers qui manquent. Pourquoi y a-t-il des gens qui meurent en Méditerrannée ? Ces gens qui se noient sont d’abord des Syriens, des Soudanais, des Erythréens, des Somaliens, des Afghans. Ce sont tous des gens qui fuient des pays en guerre ou des dictatures. Ce sont potentiellement des demandeurs d’asile.

Les pays européens ne sont pas tout à fait innocents dans la crise humanitaire internationale qui se joue. Ils ont leurs responsabilités dans ce qui s’est passé dans cette région du monde ; en Irak, puisqu’une partie des Etats européens a soutenu l’intervention américaine, mais aussi en Libye, où la France et l’Angleterre étaient en première ligne. Ces pays ont été destabilisés et les populations montées les unes contre les autres. En Irak, un gouvernement chiite a été mis en place contre les sunnites. Les exactions commises par l’armée américaine, véritable pain béni pour faire monter la pression contre l’Occident, ont contribué à la naissance de l’Etat islamique. A présent, les Etats membres jouent des jeux diplomatiques variables en soutenant les pays du Golfe et la Turquie qui ont adopté des politiques contestables au regard des droits fondamentaux.

De plus, certains expliquent qu’il faut traiter ces problèmes dans les pays d’origine. Nous travaillons sur le processus de Khartoum avec l’Erythrée, l’Ethiopie, le Soudan, la Somalie, l’Egypte et quelques autres. Comment discuter avec ces gouvernements ? Allons-nous demander au gouvernement erythréen d’empêcher que ses ressortissants fuient une dictature ? Qu’allons-nous négocier ? Ce sont des pays corrompus. L’aide au développement ce n’est pas cela. En ce domaine, les Etats européens ont promis, il y a 10 ans à l’ONU, d’atteindre 0.7% du RNB (Revenu National Brut). La moyenne européenne est de 0.29%. La France est dans la moyenne et depuis 3 ans a même diminué son aide au développement.

Que faudrait-il faire selon vous ?

D’abord, il faudrait arrêter de jouer avec les fantasmes. 180 000 à 200 000 personnes qui arrivent par la Méditerrannée, qu’est-ce que cela représente à l’échelle d’un continent de 500 millions d’Européens ? Ce sont des gens qui fuient des conflits, des zones de guerre, des dictatures. Ce sont des demandeurs d’asile. N’est-on pas capable d’accueillir ces gens dignement en permettant une répartition de leur nombre, une solidarité entre les Etats membres et à l’intérieur des Etats membres ? C’est ce que fait l’Allemagne qui est en passe de devenir le deuxième pays du monde pour l’accueil des migrants après les Etats-Unis. L’Allemagne a un problème démographique qui fait qu’à très court terme, il n’y aura pas suffisamment d’Allemands en âge de travailler pour financer les retraites et il y aura un problème de main-d’oeuvre.

A cet égard, les Ministres de l’Intérieur français et allemand ont co-signé une déclaration début juin ; déclaration dans laquelle ils plaident pour une répartition plus équitable des efforts d’accueil des migrants sur le territoire de l’Union européenne.

La France est le cinquième pays en termes d’accueil et le deuxième par sa population. Très loin derrière l’Allemagne. En ce qui concerne les demandeurs d’asile, les deux premiers pays sont l’Allemagne et la Suède. Alors que partout en Europe, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de façon substantielle, en France, ce nombre a diminué de 5% l’année dernière. La patrie des droits de l’Homme n’a pas tellement de leçon à donner en la matière. Je ne suis pas sûre que la France et l’Allemagne aient des intérêts communs. Du point de vue de l’effort réalisé par rapport à sa population, je pense que l’Allemagne est hors concours, bien loin devant la France mais derrière la Suède.

Je trouve que du point de vue des critères, la proposition de la Commission est relativement correcte. Elle tient compte de la population, du PIB, du nombre de chômeurs et de l’effort déjà réalisé par l’Etat membre. Elle pourrait encore être améliorée pour tenir compte des demandes et besoins des intéressés (langues, rapprochement familial, etc).

Le terme de quota, dans les premières annonces, était maladroit. Il a conduit à une levée de boucliers dans les Etats membres. Mais il n’était question d’accueillir que quelques dizaines de milliers de personnes. Cela ne justifiait pas les cris d’orfraie des uns et des autres. Et ce alors même qu’au contraire ce n’est pas à la hauteur de la crise humanitaire mondiale actuelle. 220 000 personnes sont entrées par la Méditerrannée en 2014 ou plus exactement ont été « détectées aux frontières », selon la terminologie de l’agence Frontex.

L’ensemble des Etats européens a signé des conventions internationales. Sont-ils toujours prêts à les respecter ou ne veulent-ils plus les appliquer ? La Convention de Genève prévoit l’accueil des demandeurs d’asile – non pas dans les pays tiers mais sur le territoire européen, mais aussi le sauvetage en mer – qui n’est pas facultatif et constitue une obligation internationale, ou encore le droit de vivre en famille et l’obligation d’accueillir les mineurs isolés. En France, une fillette de trois ans et demi a été contrainte de passer cinq jours en zone d’attente à Roissy début juin, après avoir été séparée de son père. Il y a des conventions internationales qui, dans les faits, ne sont plus appliquées.

Un effort réparti entre les Etats membres est gérable. C’est ce qui a été fait au moment de la crise en ex-Yougoslavie. Des centaines de milliers de personnes ont alors fui leur pays.

Si vous me permettez de revenir sur votre expérience de députée du Parlement européen, qu’est-ce qui a fait que vous avez décidé de vous présenter pour un second mandat en 2014 ?

Je trouve que le mandat européen est un mandat passionnant et frustrant à la fois. Passionnant parce que je suis une européenne convaincue depuis toujours et je trouve que le rêve européen reste une très belle idée. Tout dépend de son contenu. Or, aujourd’hui, nous détruisons l’idée européenne. Pour beaucoup de gens, l’idée européenne signifiait la paix, la démocratie, les droits de l’homme, une Europe sociale. C’est ce qui a été dit au moment du Traité de Maastricht. Où en sommes-nous aujourd’hui ? Tout cela, est détruit progressivement et au nom de l’Europe en plus !

Je pense par ailleurs que, notamment sur les sujets qui me tiennent à cœur, le Parlement européen est un lieu de résistance parce que les majorités y sont beaucoup plus compliquées que dans un parlement national. Des majorités alternatives ont pu être constituées, et des majorités alternatives à gauche. Les libéraux, qui sont dans le bloc majoritaire pour les questions économiques, ne le sont pas sur les questions de droits et de libertés. Il y a donc des majorités qui vont des libéraux jusqu’à la GUE [Gauche unitaire européenne] et qui rassemblent également des députés du mouvement cinq étoiles italien. Il y a ainsi une majorité qui se dégage au Parlement européen sur ces questions-là, sauf lorsque le réalisme politique reprend ses droits et que des députés renoncent à leurs prérogatives et se plient à ce que demande leur gouvernement.

Au cours de vos travaux au Parlement européen, quelle a été votre plus grande réussite ou votre plus grande source de satisfaction ?

Il y a souvent des moments forts et des choses très différentes. Le rejet d’ACTA [Accord commercial anti-contrefaçon] en 2012 a été un moment fort par exemple ; le rejet de l’accord Swift en 2010 qui prévoyait le transfert de données bancaires européennes vers le Département du Trésor Américain dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, même s’il a été voté ensuite ; la résolution sur les Roms en 2010 également ; ainsi que les résolutions sur la Hongrie.

Tous les travaux avec les ONG et les militants des droits de l’homme dans le cadre de la sous-commission « Droits de l’homme » sont aussi des moments forts. J’ai l’impression de les aider par rapport aux horreurs qu’ils vivent, de leur donner un peu de visibilité. En ce moment, je travaille avec l’opposition soudanaise.

Quels sont les autres dossiers qui vous occupent actuellement ?

Je travaille beaucoup sur les migrations en ce moment. J’ai un leitmotiv pour les migrations : « Témoigner, Décrypter, Reconstruire ». Témoigner est important. Je pense qu’il faut donner à voir ce que vivent les migrants et les parcours qu’ils subissent pour arriver chez nous, pour casser ce mythe des migrants qui viennent uniquement pour accéder aux aides sociales européennes. La majorité de ces personnes ne migre pas par plaisir.

Il faut décrypter aussi pour montrer la réalité des migrations. Aujourd’hui il y a un milliard de personnes qui se déplacent à travers le monde, sur une planète d’un peu plus de sept milliards d’habitants. En 1950 il y avait 25 millions de personnes qui se déplaçaient à travers le monde. Aujourd’hui, chaque année, l’augmentation des mouvements internationaux est de l’ordre de 50 millions. Il faut replacer tous ces chiffres à l’échelle appropriée.

Il y a d’un côté les migrants dont les Etats membres de l’Union ne veulent pas et, de l’autre, les expatriés. Lorsqu’il s’agit d’Européens, et notamment des Français, ce sont des « expatriés ». Ce sont pourtant des migrants. Ils partent pour certains avec un statut, ils ont beaucoup de chance, mais ce sont des migrants. Sans oublier que les mouvements migratoires sont autant Sud-Sud que Sud-Nord. Non, nous ne sommes pas envahis par les migrants !

Il faut aussi travailler sur l’Histoire. La France est le premier pays de l’Union européenne dont le solde migratoire a basculé. Nous oublions que pendant des siècles les Européens ont migré vers l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Australie. La France est le premier pays dont le solde migratoire a basculé, aux alentours des années 1880, d’abord avec les migrations intra-européennes avec des Belges et des Allemands qui sont restés proches de la frontière, puis des Italiens, puis des Polonais, des Espagnols, des Portugais. Ces migrants ce sont vus attribuer les surnoms de Polaks, Espingouins, Ritals, Spaghettis ou Portos, tous révélateurs de leur intégration et de la façon dont ils étaient accueillis chez nous. Quelques années auparavant, il s’agissait des Bretons.

Après la Première, mais surtout la Deuxième Guerre mondiale, les gouvernements français ont fait appel aux Maghrébins pour reconstruire le pays. Dans les années 1970, le chômage a commencé à augmenter et l’immigration de travail a été arrêtée. Une porte a tout de même été laissée ouverte pour le regroupement familial et l’immigration a changé « de couleur » si je peux m’exprimer ainsi. Aujourd’hui, majoritairement, leurs descendants sont français. Que devons-nous faire ? Les renvoyer chez eux ? Pourquoi les renverrions-nous plus que les Hongrois ou les Espagnols ?

Il faudrait que les dirigeants n’oublient pas leur propre histoire. Tout cela sert le racisme, la haine de l’autre, la xénophobie, ce qui est insupportable pour moi. Nous pourrions avoir d’autres relations. Nous avons oublié que les pays d’origine des migrants sont des anciennes colonies à qui nous faisons maintenant signer des accords de partenariat économique, des accords de libre-échange pur et dur. Ce n’est pas de cette façon qu’il faut aider au développement de ces pays mais en prenant en compte les intérêts des deux parties et en faisant réellement de la coopération, du donnant-donnant ; pas en allant piller leurs ressources naturelles.

Je crois fermement que d’autres politiques sont possibles et qu’il serait temps de réagir. Pour certains, il s’agit d’une utopie. Mais l’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain. Il faut changer de politique. C’est pour cette raison que je place beaucoup d’espoirs dans le gouvernement grec. Toutes ces politiques depuis quelques années, à l’échelle de l’Union européenne, ne font qu’aggraver les écarts entre les plus riches et les plus pauvres. En Grèce, ce sont les plus pauvres qui ont le plus subi les politiques d’austérité. En Europe, nous n’arrivons même pas à mettre en place une taxe sur les transactions financières au motif que cela risque de détruire l’économie alors qu’il s’agit de taxer les produits financiers les plus spéculatifs.

Pensez-vous que l’émergence d’un mouvement ou d’un parti comparable à Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce soit possible en France ?

En France, nous sommes dans un système institutionnel très pervers dont nous avons renforcé la nocivité ces dernières années en réduisant le mandat présidentiel à cinq ans et en inversant le calendrier électoral entre les présidentielles et les législatives. Nous sommes dans une République monarchiste. Tous les pouvoirs sont entre les mains du Président lorsqu’il a une majorité.

Quelques semaines avant mai 1968, « Tout est calme » disait-on en France. Je me garderai donc bien de faire des pronostics. Personne ne sait ce qui peut déclencher un mouvement de protestation mais ce ne peut pas être artificiel. Ce sont les citoyens qui décident, eux-mêmes, à un moment donné que « trop c’est trop ». L’élément déclencheur n’est pas prévisible.

D’une certaine façon, ce qu’a réussi Syriza, c’est structurer le mouvement social, lui donner des débouchés politiques sans jamais le récupérer. Le parti et ses militants ont accompagné le mouvement social et proposé des solutions alternatives. Pour Podemos et les Indignados, le contexte est un peu différent. Syriza était un parti politique existant qui a su rassembler largement alors que Podemos est un mouvement nouvellement constitué. Chaque pays a son histoire, son expérience politique.

Propos recueillis par Charline Quillérou

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