De nombreux pays s’interrogent sur la viabilité économique des biocarburants: les faibles prix du pétrole font qu’il faut souvent des subventions importantes pour convaincre les producteurs de biocarburants de ne pas cibler les marchés alimentaires, plus rentables et en forte expansion. Photo:CIFOR/Jeff Walker
Cet article a été initialement publié dans l’édition de septembre-octobre 2013 du journal Bioenergy Insight.
Une grande partie de l’optimisme initial sur la contribution des biocarburants à la sécurité énergétique, à l’atténuation du changement climatique et au développement rural a laissé place au scepticisme sur leur viabilité économique et leur mauvaise publicité concernant l’accaparement de terres et les destructions environnementales connexes.
Avec un discours très polarisé entre le «pour» et le «contre», le débat a été peu nuancé et rempli d’hypothèses peu pertinentes. Le secteur des biocarburants en est encore à ses balbutiements. Les suppositions rejoignent-elles donc vraiment les examens plus approfondis, ou les biocarburants sont-ils prématurément abandonnés?
À ce jour, les faits semblent indiquer que les interactions entre l’économie des biocarburants et les forêts, la production alimentaire et les droits des pauvres en milieu rural sont réellement complexes et ne devraient pas être trop généralisées et simplifiées. Plutôt que de rejeter simplement les biocarburants, il faudrait accorder plus d’attention à l’élaboration de mécanismes appropriés pour tirer parti des perspectives de développement de ce secteur, tout en réduisant ses coûts potentiels.
Le contexte du développement des biocarburants de première génération
Pour répondre aux changements du contexte mondial, plusieurs pays ont établi des objectifs de consommation et de production pour les biocarburants. Ceci s’inscrit dans le cadre du processus global vers une plus grande intégration des sources d’énergie renouvelables existantes et la promotion d’une économie à faible émission de carbone. De grands marchés, comme ceux de l’Union européenne, des États-Unis et du Brésil, exigent actuellement des mélanges de biocarburants.
Pour garantir que les biocarburants mélangés correspondent aux objectifs environnementaux de l’Union européenne et des Etats-Unis, ils doivent répondre à des critères stricts de durabilité. Néanmoins, les opposants soutiennent que ces mesures sont insuffisantes pour assurer une protection contre toute une série d’effets potentiellement négatifs de telles politiques. Par exemple, la stimulation de la demande en cultures soi-disant «flexibles» (qui peuvent être utilisées à des fins multiples, y compris alimentaires), peut, selon certains arguments, convertir des cultures vivrières en culture pour la consommation énergétique, ce qui menacerait l’autosuffisance alimentaire et la stabilité des prix.
En outre, beaucoup estiment que, si les changements indirects de l’utilisation des terres (iLUC) étaient comptabilisés, de nombreux biocarburants n’atteindraient pas les objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES), qui ne considèrent généralement que les changements directs de l’utilisation des terres. En réponse à cette critique, l’Union européenne a imposé en 2013 de nouvelles mesures, comprenant une limite sur la quantité de biocarburants à base d’aliments qui peut être utilisée, ainsi que des critères supplémentaires relatifs aux GES émis par les iLUC.
De plus, de nombreux pays commencent aussi à s’interroger sur la viabilité économique des biocarburants. En effet, les prix bas du pétrole exigent souvent des subventions importantes pour assurer que les producteurs de biocarburants ne ciblent pas de préférence les marchés alimentaires plus rentables, la demande des marchés alimentaires étant en forte expansion.
Les biocarburants ne font qu’ajouter aux pressions existantes sur les forêts
Ces préoccupations doivent cependant être relativisées. Bien que la production totale de biocarburants ait plus que décuplé entre 2000 et 2010, seulement 9% des huiles végétales produites au niveau mondial sont utilisés pour la fabrication de biocarburants.
Dans de nombreux pays, l’éthanol est produit principalement à partir du surplus de mélasse et non à partir du jus de canne, qui est habituellement réservé à la production de sucre. Par conséquent, la relation entre les biocarburants et les changements indésirables d’utilisation des terres, tels que la déforestation, n’est bien souvent pas automatique, ni proportionnelle aux pressions des autres marchés finaux. Ces-derniers sont fortement influencés par la demande en produits alimentaires et par l’augmentation de la consommation de viande dans les pays émergents, tels que l’Inde et la Chine.
Par conséquent, compte tenu de l’utilisation limitée des cultures clés dans la production de biocarburants, le débat sur ses conséquences se base sur un univers de projections. En outre, bien que des efforts analytiques importants aient été entrepris jusqu’à présent, l’estimation des effets des iLUC sur la conversion des forêts est difficile à établir dans la pratique et nécessite encore un ajustement méthodologique important. De plus, la recherche suggère que les émissions de GES, générées par la conversion des terres pour les matières premières de biocarburants, peuvent prendre des décennies ou même des siècles à s’inverser. Mais à ce jour, l’empreinte environnementale précise des biocarburants demeure inconnue.
Les impacts sociaux et économiques des biocarburants
L’impact socio-économique local de la culture des matières premières de biocarburants est extrêmement variable et dépend souvent du type de matière et de l’ampleur et de la nature du changement de l’utilisation des terres. Par exemple, de grandes plantations génèrent de nouvelles opportunités d’emploi et de revenu et offrent aux petits exploitants la possibilité de participer aux marchés mondiaux de produits grâce à des programmes d’agriculture contractuelle.
En revanche, de nombreuses plantations ont tendance à déplacer les systèmes locaux de production dans des zones où les droits de propriété ne sont pas suffisamment sécurisés, ce qui diminue les revenus locaux, exacerbe l’insécurité alimentaire et perturbe les relations sociales traditionnelles. Il est difficile d’attribuer ces effets, tout comme ceux sur l’environnement, à un marché final spécifique.
Bien que l’Union européenne et les États-Unis aient adopté des exigences relativement strictes en matière de durabilité environnementale, des critères sociaux sont largement absents. La Commission européenne a, par exemple, fait valoir que «l’inclusion de critères sociaux soulève des problèmes techniques, des problèmes administratifs et des problèmes liés au droit international et il n’est (donc) pas recommandé d’inclure des critères sociaux dans le schéma de développement durable».
L’argument sous-jacent à l’exclusion repose sur l’hypothèse que les impacts sociaux ne peuvent pas être facilement attribués à un type de biocarburant spécifique et, par conséquent, toute ingérence pourrait constituer une violation des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ceci met en évidence les complexités politiques et juridiques pour instaurer des directives sociales sur les produits commerciaux.
Parce qu’il y a des réticences à réglementer les questions sociales extra-territoriales, il risque d’y avoir un déséquilibre là où des critères environnementaux stricts contraindront les producteurs à rechercher des terres qui ont une importance environnementale moindre, mais qui sont plus susceptibles de contenir d’autres usages de terre à valeur socio-économique.
Des voies différentes sont possibles, mais sans être identiquement faisables
Dans les conditions actuelles, il reste clairement des questions sans réponse au sujet de la durabilité des biocarburants et des arbitrages difficiles entre les différentes options politiques. Cependant, de nouvelles voies sont explorées qui pourraient atténuer ces incertitudes et dilemmes. Dans le cas des technologies de première génération (1G), les émissions issues du changement de l’utilisation des terres dominent la trajectoire des émissions, si ces émissions ont lieu, tandis que les trajectoires des plus faibles émissions utilisent du bois et des résidus agricoles comme matières premières. Ces-dernières exigent cependant des technologies de conversion de deuxième génération (2G) qui demeurent trop chères. Les biocarburants 2G ne proviennent pas de cultures vivrières comme les 1G, mais de cultures ligneuses, de résidus, déchets et cultures agricoles telles que le panic érigé. Ils pourraient réduire la concurrence entre la nourriture et les carburants. Dans de nombreux cas, ils ne changeront pas significativement les usages de terres d’un point de vue socio-économique.
Néanmoins, bien que les biocarburants 2G peuvent contribuer à réduire les émissions de GES, ils peuvent aussi potentiellement exercer des pressions sur les forêts. En outre, les biocarburants 2G n’ont pas actuellement des prix compétitifs en raison des coûts élevés de la conversion des produits ligneux, non-comestibles, en carburant. Bien que n’offrant pas de solutions simples, avec l’aide des progrès technologiques à court terme, les biocarburants 2G peuvent servir au fil du temps à améliorer certains des risques environnementaux et sociaux liés au développement des biocarburants 1G.
Un puzzle complexe pour améliorer la gouvernance de l’utilisation des terres
Les complexités techniques, politiques et économiques liées au développement d’une économie de biocarburants viable et véritablement durable révèlent l’interdépendance des enjeux mondiaux environnementaux et sociaux, l’instabilité des marchés internationaux de matières premières et surtout la nécessité d’améliorer la gouvernance des terres et des forêts à de multiples échelles.
Un des premiers besoins à cet égard est d’ajuster de manière plus efficace les initiatives de gouvernance publique et d’entreprise. La deuxième nécessité est de relier les réalités locales aux processus mondiaux, comme un moyen pour progresser vers l’établissement d’une gouvernance plus inclusives, à acteurs et à échelles multiples.
Au-delà des réglementations imposées dans des sociétés de consommation comme l’UE et les Etats-Unis, certains pays producteurs commencent à jouer un rôle important, comme en témoigne par exemple le progrès réalisé au Brésil pour améliorer les lois d’aménagement du territoire et pour renforcer les mesures d’incitation à réduire la déforestation en Amazonie.
Malheureusement, dans de nombreux cas, les systèmes nationaux de gouvernance dans les pays producteurs sont mal équipés pour faire face efficacement aux pressions des marchés et des groupes d’investisseurs influents, mais aussi pour traiter des enjeux, qui nécessitent l’adoption de réformes complexes de la gestion des usages de terres et des structures d’incitation coûteuses. Ces lacunes pourraient potentiellement être compensées par des bonnes gouvernances d’entreprise, avec une autorégulation des acteurs privés à travers des systèmes de certification volontaires.
De meilleures combinaisons doivent être explorées afin de renforcer les synergies entre les secteurs public et privé, et pour veiller à ce que les processus mondiaux soutiennent le développement local, à la fois durable et inclusif.