2013-06-24



Il n’entrera officiellement en fonction que dans un mois et demi mais nous avons décrypté ses premiers mots de président-élu. Ils donnent une première idée de l’orientation réelle de sa politique pour l’Iran post-Ahmadinejad.

l répond à toutes les questions des journalistes avec le même air bonhomme, un ton calme et réfléchi, arborant un sourire d’aplomb en réponse aux plus gênantes. Mais face aux attentes de la population, le nouveau président iranien Hassan Rohani qui prendra ses fonctions le 3 août, a du pain sur la planche! La liste de ses promesses de campagne est longue et audacieuse. Va-t-il pouvoir les concilier avec les volontés du Guide suprême Ali Khamenei? Quelques éléments de réponse.

Les citations de Hassan Rohani ci-dessous ont été extraites de la conférence de presse du 17 juin 2013 donnée après son élection, d’un discours prononcé au mausolée de l’imam Khomeini le dimanche 16 juin, et des extraits de son site Internet et des débats télévisés entre candidats.

Nucléaire

«Nous pensons que le problème nucléaire ne peut se résoudre que par le dialogue et non par les sanctions et les menaces. Nous avons besoin de dialogue, de confiance mutuelle. Nous allons utiliser les expériences passées. Les droits fondamentaux des Iraniens devront être considérés, et le gouvernement travaillera pour un retrait graduel de ces sanctions brutales.»

Si le nouveau président iranien fait référence aux «expériences passées», c’est parce qu’il a été longtemps le négociateur en chef pour le dossier nucléaire de Téhéran (2003-2005). Hassan Rouhani est bien plus diplomate et subtil dans cette tâche que celui que Mahmoud Ahmadinejad a installé à sa place une fois élu Président, Said Jalili (lui aussi candidat dans cette élection présidentielle).

Pour Hassan Rohani, l’art de la diplomatie est fait de compromis. D’où son surnom de «Sheikh diplomate». Il a même écrit une bible de plus de mille pages dans laquelle il raconte son expérience de négociateur du programme nucléaire iranien. Sous son autorité, le dialogue avec les Occidentaux a été constructif, il a évité les sanctions en acceptant la suspension du programme nucléaire iranien.

Dans ce sens, il s’oppose à la ligne plus dure de Jalili et des personnalités plus proches du Guide qui voient dans le dossier nucléaire un prétexte des Occidentaux pour justifier l’hostilité vis-à-vis de la République islamique. Ces «durs» du régime pensent que les Etats-Unis n’accepteront jamais l’émergence de l’Iran en tant que nation indépendante et rappellent souvent que de premières sanctions économiques ont été prises dès 1979, année de la Révolution islamique. Pour eux, derrière les sanctions se cache une lutte de civilisation entre une civilisation iranienne islamique et la civilisation occidentale. Ce qui explique le caractère âpre des négociations sous Saïd Jalili.

Résultat: un durcissement des sanctions internationales lourd de conséquence sur le quotidien économique des Iraniens, avec une inflation à 30% et un taux de chômage dépassant les 25% pour les jeunes. Le défi à relever pour Rohani sera de faire lever au plus vite ces sanctions. Dans ses discours, il en fait une priorité, assurant que Téhéran fera preuve de «plus de transparence pour montrer que [ses] activités sont conformes aux règles internationales».

«L’enrichissement [d'uranium] continuera… Il existe de nombreuses voies pour créer la confiance [avec le groupe “5+1” soit Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne et Allemagne] autres que de suspendre l’enrichissement.»

Tout en rappelant l’importance du dialogue et de la concession, Hassan Rohani reste ferme. Il s’est prononcé cette fois contre tout arrêt du programme d’enrichissement d’uranium. Le nouveau président iranien va dans le sens du Guide, véritable décisionnaire en matière nucléaire. Et là encore, c’est une leçon tirée de son passé.

En 2003, après avoir provisoirement suspendu l’enrichissement d’uranium, il a certes évité des sanctions contre l’Iran, mais le pays a continué à subir les attaques de l’administration Bush qui ne l’a pas retiré de sa liste des pays de «l’Axe du mal». Une leçon que Téhéran a retenu: éviter de trop donner sans rien recevoir. Dans les mois qui viennent, la souplesse du nouveau président va aussi dépendre du positionnement de ses interlocuteurs américains.

Dialogue avec l’Occident

«Ce dont nous avons besoin, c’est de la modération et du rationalisme; nous devons sortir de l’extrémisme.»

Changement dans le discours, le nouveau président n’est pas du genre à annoncer qu’il faut rayer Israël de la carte. Lui dit plutôt: «Nous ne voulons être l’ennemi de personne.» Dans le style, la rhétorique, il contraste vraiment avec Mahmoud Ahmadinejad, dont le discours belliqueux et les prises de positions avaient enflammé les diplomaties occidentales. Polyglotte, le nouveau président iranien parle l’anglais, l’allemand, le français et le russe, ce qui devrait faciliter les contacts et imposer d’avantage de respect. Le mollah président est aussi diplômé de droit à l’Université calédonienne de Glasgow, ce qui constitue d’ailleurs une fierté pour quelques Ecossais.

«Les Américains doivent expressément déclarer qu’ils n’interféreront plus jamais dans les affaires intérieures iraniennes. Dans un second temps, les droits de notre nation doivent être reconnus par les Américains… Les politiques d’agression unilatérales doivent être abandonnées… [Si ces conditions sont réunies] les bases d’un accord pourront être envisagées…»

Encore une fois, derrière des mots pesés, Rohani entend rester ferme avec le «grand Satan» de Téhéran. Les Américains sont prévenus. Rétablir le contact, sortir l’Iran de son isolement voici l’objectif, sans pour autant renoncer aux droits de la nation iranienne, sous entendus les «droits nucléaires». Son attitude dépendra de celle de ses interlocuteurs américains et occidentaux, c’est ce que résument ses propos.

Egalité des femmes

«Dans un gouvernement d’Espoir et de Prudence [slogan de campagne], hommes et femmes, garçons et filles devraient se sentir libres.»

C’est assez clair, le nouveau président iranien a promis d’avantage de liberté pour les jeunes de son pays. Une voix à prendre en compte puisque les jeunes constituent plus de la moitié de l’électorat iranien. Il a ajouté qu’il ne fallait pas «intervenir autant dans la vie privée et la vie culturelle des gens».

S’il respecte ses promesses, il devrait réduire ou supprimer les Gashte Ershad. Hassan Rohani a aussi promis d’avantage d’égalité pour les femmes, en s’engageant à fonder un ministère qui leur sera consacré.

Autre question, va-t-il faire entrer des femmes dans son cabinet? Mahmoud Ahmadinejad avait été le premier à nommer une Iranienne, Vahid Dastjerdi, au poste de ministre de la Santé, mais celle-ci avait été vite évincée au profit d’un homme après avoir osé émettre des critiques sur la politique de son gouvernement.

En Iran, le nombre des femmes a dépassé celui des hommes dans les universités, mais leur place dans la société est toujours inférieure à celle des hommes à cause d’une série de lois discriminatoires. Elles ne peuvent pas accéder à certains postes comme celui de juge, au motif de leur «émotivité». Cela donne lieu à des hypothèses pseudo-scientifiques farfelues, comme celle qui voudrait qu’une prétendue glande située à l’arrière de leur cerveau stocke ce vivier d’émotivité qui altèrerait leur jugement.

Aujourd’hui, plusieurs figures du féminisme iranien qui défendent l’égalité entre les sexes et qui s’étaient engagées en faveur du mouvement vert se trouvent derrière les barreaux de la prison de Evine. Certaines ont été libérées dimanche soir. Notamment la journaliste Jila Baniyaghoub et l’avocate Nasrine Sotoudeh (bras droit du prix Nobel Shirin Ebadi en Iran). Un geste fort.

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