Speach of arcenciel's CEO - Pierre Issa
Chers amis,
Puisque c’est la Légion d’honneur qui nous réunit aujourd’hui, il est de bon ton de commencer par elle. La république, en instaurant cet ordre, souhaita distinguer ceux qui agissaient en accord avec ses nouvelles valeurs. Le Premier Consul a gravé sur une croix en fer et dans les esprits, la liberté, l’égalité et la fraternité. Par le ruban accordé, il voulait distinguer celui qui, par la foi et l’action, croyait avant tout en l’Homme, quelle que soit sa race, sa religion ou sa nationalité. L’ambassadeur Paoli et la France ont jugé qu’arcenciel, que je représente aujourd’hui, croit et agit selon ces principes. Est-ce justifié ?
Pour ceux qui m’ont connu adolescent et jeune adulte, j’étais plutôt destiné à la Légion étrangère qu’à la Légion d’honneur. Indiscipliné et frondeur, rien ne laissait présager la création d’une association au service de l’Autre. Mais derrière ces manifestations déroutantes, j’étais travaillé en profondeur par une tradition, un paradoxe et une disposition.
La tradition, c’est celle de mes parents et de ma grande famille dont deux des membres que je respecte particulièrement sont avec nous aujourd’hui, mes oncles Philipe Issa et Sami Gemayel. Ils m’ont inoculé, sans que je le sache et de façon définitive, le virus du respect, de l’action et du service au prochain. Cette tradition fut aussi celle de ma famille d’adoption. Raymond Jabre, mon beau-père, a rapidement décelé derrière mon parcours atypique, des principes et une idée qu’il valait la peine de soutenir. Il bénit donc mon mariage avec Claude, qui est devenue avec nos trois filles, mon inspiratrice de chaque jour et mon plus grand soutien dans les moments difficiles, on se sent invulnérable quand on a, à ses côtés, pareil compagnon d’éternité, voilà donc pour la tradition.
Le paradoxe, lui, est ma relation aux pères jésuites. Leur élève d’abord, je fus renvoyé de leur école, parce que mon caractère ne pouvait que troubler la formation de mes camarades. À l’annonce de mon renvoi, tous ceux qui me connaissaient furent désolés. Tous, sauf les pères, et là est le paradoxe. Ils me laissaient faire mon chemin tortueux loin d’eux, sachant pertinemment que l’enfant prodigue qu’ils avaient élevé jusqu’à l’âge de 14 ans, leur reviendrait, fortifié par les épreuves, pour mieux se mettre au service de leur cause, au service de la détresse humaine. Et la suite leur a donné raison : je ne compte plus les multiples associations entre arcenciel, l’université Saint-Joseph, l’Hôtel-Dieu ou la compagnie de Jésus. Mais je cite aussi ma relation de trente ans avec le professeur René Chamussy, l’ami, le prêtre et le mentor.
Enfin, la disposition. Celle-là est mienne, celle de rêver constamment et de me mettre au défi de réaliser mes songes.
Chers amis, arcenciel, était un rêve que je partageais avec Antoine Assaf, quand la guerre civile livrait quotidiennement son lot d’handicapés physiques et qu’aucune structure digne de ce nom n’existait pour leur rendre leur dignité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : fournir à ces personnes les meilleurs soins, et leur donner les possibilités de redevenir des acteurs à part entière de la société. Ce fut notre première mission. Nous avions besoin de moyens, de respectabilité pour en obtenir, et de bonne volonté conjuguée à des compétences, celles des meilleurs. Nous n’avions que nos rêves pour convaincre.
Pour nous faire reconnaitre, nous avions besoin d’un parrain. Le professeur Nabil Hokayem, homme de parole, respecté et respectueux, accepta la présidence de l’association. Il nous donna ainsi la caution morale qui nous ouvrit beaucoup de portes. Quant aux bonnes volontés, elles ne manquèrent pas. Certains, parmi les ouvriers de la première heure, sont toujours là : Georges Xantos, Toni Abou Jaoudé, Fady Moujaess, Elie Zouein, Soumaya Mehfara, Ibrahim Barakat, Omar Fawal, Michel Hanna, Joseph Iran, Elie Hajj, Jean Aboussouan, Levon Nalchayan, André Macaron, Mireille Khoury et beaucoup d’autres.
Mais il faut tout autant rappeler celles des personnes handicapées qui depuis le début crurent en notre sincérité et en notre volonté de réussir. Elie Azzi, Elie Mrad, Camille Ayoub, Fouad Said, Thalia Andriotis, présents avec nous aujourd’hui, nous ont fait confiance et eux aussi ont cru en notre rêve. 32 ans après nos débuts ensemble, leurs réussites professionnelles et familiales sont notre récompense. Pour les soins, nous souhaitions leur offrir les meilleurs et cela coute cher, très cher. Pas tant le matériel que les praticiens dont l’art est souvent inaccessible à ceux qui n’ont pas ou qui ne savent pas. Les professeurs Émile Riachi, qui vient de nous quitter pour un monde meilleur, Nabil Hokayem (encore lui) et docteur Henri Helou, ainsi que la cohorte de médecins qu’ils ont embrigadés, n’ont jamais, au grand jamais, compté ni leur science, ni leur temps avec nous.
arcenciel après la guerre civile, dut assumer son succès. Elle s’engagea dans d’autres batailles, toujours au nom du recouvrement de la dignité des plus fragiles. Un travail législatif, pour pérenniser des acquis aux personnes en difficulté, fut présenté et voté au parlement. Maitre Nicolas Comaty et Hyam Fakhoury en furent les maitres d’œuvre. Nicolas, depuis qu’arcenciel existe et investit plus d’un champ d’action publique, assure tout le soutien légal de nos opérations, et croyez-moi il est considérable.
arcenciel, suite à une réflexion concertée et fidèle à sa mission, a également voulu répondre à trois grands besoins, négligés par les autorités publiques.
D’abord, les adolescents défavorisés. Enfants de la guerre, élevés à la va-vite, sans garde-fou, ils étaient formés et exposés à la violence, aux drogues et à l’exploitation sexuelle. Notre action fut double. Nous instaurâmes des lieux de rencontre au carrefour des banlieues les plus exposées et dans certains villages touchés par le fléau de l’errance. Les jeunes pouvaient y pratiquer des activités récréatives, éducatives, formatrices, exposer leurs angoisses, trouver un compagnonnage apaisé et amical, se restaurer, dormir s’ils le souhaitaient, et surtout apprendre à dialoguer, premier rempart aux actions criminelles. Ce programme existe et fonctionne parce que Biche et plus d’une génération de cadres des scouts du Liban s’y sont totalement investies. Pour la protection des mineurs contre la violence domestique et leur réhabilitation post-traumatique, une structure plus particulière a été mise en place. Viviane Debbas, le président Chucri Sader, Monique Daoud, et tout un groupe de spécialistes, en sont les chevilles ouvrières ; Après s’être développée 5ans durant au sein d’arcenciel, himaya est capable aujourd’hui de voler de ses propres ailes et de s’imposer comme le principal acteur de la protection de l’innocence en danger.
arcenciel a voulu également participer au sauvetage écologique du Liban et de ses ressources naturelles, dont la santé de tous est tributaire. L’association s’est attaquée en premier lieu aux déchets à risque des hôpitaux qui étaient rejetés soit dans la mer, soit incinérés avec les déchets ménagers. Je ne vous apprends rien en vous rappelant le très haut degré de toxicité de ces pratiques. Aujourd’hui nous assurons la stérilisation dans les règles de plus de 90% des déchets à risques des hôpitaux libanais… Cette mission a été confiée à un groupe de scientifiques et de techniciens avec à leur tête Dr. Dominique Salamé, qui l’accomplit au mieux, indifférent à sa dangerosité. Mais la préservation du Liban passe aussi par la valorisation de notre patrimoine, riche, unique, magnifique, et par la lutte contre l’oubli ou la destruction. C’est le travail que mène depuis des années, avec ou sans arcenciel, envers et contre tous, Houda Kassatly, arcenciel participe à cette démarche par la création de structure d’accueil dans diverses régions Libanaises pour encourager l’écotourisme. Le point d’orgue de cet effort s’est matérialisé ici même, à Tanail, dans les chambres d’hôtes et le restaurant libanais que nous avons construit et qui sont des répliques, tant par l’architecture que parles matériaux, de l’habitation traditionnelle de la Bekaa. Pour réaliser ce projet, Fadllalah Dagher, s’est entièrement immergé. Il a beaucoup imaginé, dessiné et surveillé.
Enfin, arcenciel a choisi le secteur économique le plus sinistré pour intervenir : il s’agit de l’agriculture. Ceux qui en vivent, vivent mal, très mal. Ils sont nombreux, préservent encore nos paysages, nous permettent de consommer des produits de qualité et pourtant sont totalement ignorés par l’Etat. Si certains, comme mon ami et collègue Ayoub Kazoun, ont réussi, ils sont peu nombreux et c’est grâce, uniquement, à leurs labeurs et aux risques énormes qu’ils encourent. Les autres forment une masse corvéable à souhait, sans perspective et à la merci des prébendes des chefs des communautés. C’est grâce à des orientations stratégiques et des services, adaptés comme la distribution de la production en circuits courts pour éviter le pillage des intermédiaires, la production de bio pesticides et beaucoup d’autres projets innovants, que nous arrivons à partager l’expérience de la saine gestion des terres du couvent de Tanaïl avec tous ceux qui le souhaitent. Cette opération est l’œuvre gratifiante, mais o combien pénible, du père Michael Zammit, Elia Ghorra, Fady Sarkis et de leurs équipes.
Bien que tout petit, notre pays se particularise par une géographie et surtout un tissu social hétérogènes, complexes et fracturés. Et pourtant, arcenciel arrive à s’intégrer parfaitement dans toutes les régions grâce à l’intelligence du cœur et le militantisme de Nidal Khoury, Abir Abdo, Fadyel Firzli, Emile Saadé et tant d’autres travailleurs, tous issus des communautés qu’ils servent. Ces expériences d’intégration réussies, d’ouverture, d’échange et de respect, nous les avons poussées jusqu’au bout avec la création en 2006 à Lyon, d’arcenciel France. Au-delà du pied de nez fait à l’histoire et de la satisfaction de voir notre petit pays partir à la conquête du monde, peu importe le nord, le sud, l’est ou l’ouest : Axelle Coumert est bien placée pour savoir que, tous nous nous retrouvons autour d’un rêve commun, pour aider, et surtout pour apprendre.
Citer toutes nos actions et la légion de femmes et d’hommes qui ont l’honneur d’être au service des personnes en difficulté serait trop long. Il faut juste savoir que ces multiples activités exigent d’importants budgets. Il est vrai que nous couvrons par certains de nos services et produits jusqu’à 80% de nos besoins de fonctionnement… Il n’en reste pas moins que chaque nouvel engagement exige de nouveaux fonds.
Des individus nombreux, des institutions privées et des ONG tant libanaises qu’étrangères ainsi que des gouvernements de pays amis, nous ont à chaque fois fait confiance. Pour ceux qui le souhaitaient, nous avons toujours exprimé publiquement notre gratitude, j’en profite aujourd’hui pour citer et remercier Lionel Calferini pour l’AFD, Anna-Maria Laurini pour l’UNICEF et Bruno Montariol pour l’UE. Nous les remercions également d’avoir compris que notre indépendance et notre neutralité étaient un actif essentiel.
Aujourd’hui je me dois de remercier publiquement toutes nos entreprises partenaires dont notamment Liban-Post et mon ami Khalil Daoud, qui ne m’a jamais rien demandé de tel, en reconnaissance de tous les services que cette entreprise qu’il dirige nous a rendu. Parler d’arcenciel sans évoquer Philippe Jabre et sa magnifique association serait l’amputer d’un important pilier. Les principes et les buts poursuivis par l’APJ et arcenciel sont harmonieux et facilitent la coopération dans plus d’un domaine. J’aimerais aussi, même si je dois me faire taper sur les doigts, dire un mot sur Michel Eddé, son fils Salim, son gendre Phillipe Hélou et l’ensemble de leur famille qui, tout comme Philippe Jabre, ont toujours répondu à l’appel, ils ont même le plus souvent précédé l’appel. Par ailleurs, et sur plus d’un sujet, je les ai souvent consulté et je m’en suis toujours félicité.
Il me faut pour terminer, évoquer sans les détails, le parcours du combattant qu’est le nôtre au sein de l’administration Libanaise, du gouvernement et du parlement, depuis que nous sommes appelés à agir sur le plan national. Que de projets pourriraient encore dans des tiroirs si des hommes politiques intègres, comme nos amis Michel Pharaon et Nabil de Freige, n’étaient intervenus sans faiblir jusqu'à obtenir gain de cause. Ils ont été particulièrement virulents quand une injustice commise au début des années quatre-vingt-dix a failli, vingt ans plus tard ôter à Tanail sa spécificité culturelle d’ouverture et d’accueil. Les ex et actuels maires de Zahlé, Assaad Zogheib et Joseph Maalouf ont été également à la pointe de ce combat.
Les pères jésuites m’ont enseigné que les derniers seront les premiers, alors à tout seigneur tout honneur, mes frères Joseph et Amine nous ont toujours accompagnés avec leur efficacité, leur dévouement, leur érudition et surtout avec leur discrétion légendaire.
C’est donc grâce à vous, mes amis, mes collègues, ma famille, à vous ma cohorte de légionnaires du bonheur que je reçois cette Légion d’honneur en ce lieu que j’apprécie tant.
Chers amis, je vous remercie de tout cœur de vous être déplacés si loin, mais que voulez-vous, nul n’échappe à son enfance et le couvent de Tanaïl, où nous sommes tous réunis aujourd’hui, est le seul lieu que je n’ai cessé de fréquenter en cinquante-sept ans d’existence. Monsieur l’Ambassadeur, vous m’excuserez, vous particulièrement, mais après tout nous sommes ici, autant qu’à la résidence des pins, en territoire français. Et qui sait, les lambris de vos salons là-bas proviennent peut-être des bois du couvent d’ici. Je vous remercie ainsi que la France pour cette distinction, mais comme le dit si justement G. Cesbron « à force d’accepter les honneurs, on finit par croire qu’on les mérite…» Je vous remercie donc, ainsi que la France, pour cette distinction qui revient avant tout à arcenciel et à tous ses membres anonymes.