Titre : Quand le Libre se mêle de démocratie
Intervenants : (de gauche à droite sur la photo) Lionel Allorge, Tangui Morlier, Laurent Peuch, Nicolas Pettiaux
Lieu : Bruxelles, RMLL 2013
Date : 8 juillet 2013
Durée : 57mn
Média : Lien vers la vidéo
Licence : CC BY-SA 3.0
Tangui Morlier : Bonsoir à tous, merci d’être venus pour cette table ronde intitulée « Quand le libre se mêle de démocratie ? »
Il se trouve que depuis nonante-six et la création de l'April, en France et dans un certain nombre de pays européens, la communauté du libre s'est organisée pour essayer d'adresser des peines démocratiques et les adresser auprès de décideurs publics. Et durant ces quasiment vingt ans de plaidoyer politique autour du libre, on a vu ce plaidoyer se professionnaliser à travers l'exemple plus précis de l'April, mais également investir des champs nouveaux. On a pu voir petit-à-petit les thèmes principaux du logiciel libre résumés par l'April autour des quatre dangers du logiciel libre, investir de plus en plus la problématique des biens communs ou par exemple de l'Open Data plus récemment. Et on a vu aussi qu'en fait, le logiciel libre avait des processus de prise de décisions qui n'avaient pas à pâlir des processus de prise de décision démocratiques dans la vie physique.
Donc ce qu'on vous propose durant cette table ronde, c'est de faire un petit historique. Déjà, on verra pourquoi le logiciel libre pourrait être bon pour la démocratie. On fera un petit tour de table de ce qui a été réalisé en France, au niveau européen et en Belgique autour des plaidoyers du logiciel libre. Et puis après, on reviendra sur deux expériences. L’expérience de Memopol , un logiciel libre qui permet de mieux comprendre ce que font les parlementaires, notamment au Parlement européen, puis l’expérience de Regards Citoyens qui vise à utiliser des données publiques pour mieux expliquer comment fonctionnent les institutions démocratiques et peut-être commencer, à travers le logiciel libre, à faire une petite Update sur la démocratie et peut-être lui permettre de mieux interagir dans le monde numérique d'aujourd'hui.
Ce que je vous propose, c'est qu'on commence par Lionel qui va nous expliquer en quoi le logiciel libre est bon pour la démocratie parce que ce n'est peut-être pas forcément quelque chose qui est acquis par tout le monde et notamment par les décideurs publics qu'on peut rencontrer.
Lionel Allorge : Merci. En fait on peut revenir un peu sur la démarche de l'April. Quand l'April démarre, c'est une association qui fait de la promotion du logiciel libre. C'est-à-dire, en gros, qu'on essaie d'expliquer aux gens à quel point le logiciel libre nous semble intéressant, etc. Et assez rapidement cette démarche s'est heurtée au fait qu'il y avait au niveau européen puis français, puisque l'April est une association française, il y avait des décisions prises, des lois, des règlements qui venaient empêcher l'utilisation légitime du logiciel libre. Et c'est à partir de ça et notamment d'une loi européenne qui s'appelle EUCD, qui date de 2005 si je ne me trompe pas, qu'on est arrivé à se dire qu'il fallait avoir une démarche auprès des responsables politiques, auprès de nos représentants, parce que c’étaient eux qui votaient des lois et ces lois, ils n'en ont même pas forcément conscience eux-mêmes, pouvaient avoir des effets très négatifs sur l'utilisation des logiciels libres, puisqu'on se trouve aujourd'hui dans une situation où on a certains logiciels libres qui deviennent interdits d'utilisation à cause de certaines lois votées au niveau européen et qui ensuite deviennent des lois dans les différents pays de l'Union Européenne.
Tangui Morlier : En quoi c'est mal d'interdire le logiciel libre dans la démocratie? En quoi le logiciel libre répond à des attentes démocratiques?
Lionel Allorge : Le logiciel libre, vous l'avez peut-être entendu dire par celui qui a forgé le concept de logiciel libre, qui s'appelle Richard Stallman : quand il vient en France, il s'amuse à nous expliquer qu'il peut résumer le logiciel libre en trois mots, il utilise la devise de la République française qui est liberté, égalité, fraternité. On retrouve cette idée-là dans le logiciel libre : que le logiciel libre est d'abord quelque chose qui permet de créer une égalité entre les utilisateurs et les développeurs, qui permet d'avoir la liberté d'utiliser le logiciel comme on le souhaite, et qui permet en plus de partager le savoir entre ceux qui ont déjà acquis une certaine expérience et d'autres pas.
Et donc il y a un parallèle entre ce qui se veut être la démocratie, notamment telle qu'elle a été pensée en France, et le logiciel libre. Et ça, au départ, c’était quelque chose qui pouvait être assez théorique et on a, je pense, vécu au niveau de l'April une espèce de révolution au sens où, à partir d'une association qui était surtout organisée pour des informaticiens, par des informaticiens, on a été obligés de s'intéresser à ce que faisait le monde politique. Et je pense que vraiment ça a été, moi ce que j'ai vu d'évolution majeure à l'April ces dernières années, ça a été de dire on ne peut pas juste rester dans notre coin, et faire nos logiciels et expliquer à quel point nos logiciels sont bien ; il va falloir qu'on aille dans le monde politique au sens large, c'est-à-dire la vie de la cité, pour voir comment ça peut se faire qu'on ait, nous, des solutions qui peuvent être utiles à la démocratie.
C'est une démarche qui a mis un peu de temps à se faire, en tous cas chez nous, parce qu'au départ beaucoup de gens ne comprenaient pas pourquoi des informaticiens venaient se mêler de vie publique. Et donc ça a été une sorte de démarche de hackers de dire comment on peut rentrer dans le système démocratique, comment ça fonctionne, beaucoup d'entre nous, moi le premier, ne savaient pas exactement comment fonctionnait le Parlement français, le Parlement européen, donc il a fallu découvrir tout ça, pour voir comment nous, on pouvait apporter des solutions à ces gens-là sur la manière de faire fonctionner des lois, de décider des lois qui devaient être votées.
Tangui Morlier : Et du coup quels sont les sujets que l'April a pu traiter cette année, notamment, qui a été relativement riche il me semble, aussi bien au niveau européen que français ?
Lionel Allorge : Tout à fait. Au niveau européen, on a surtout actuellement des décisions qui sont prises, non pas directement en faveur des logiciels libres, mais sur les formats de fichiers et ce qu'on appelle l'interopérabilité, qui est un mot compliqué pour dire qu'on doit pouvoir, avec n'importe quel logiciel, pouvoir relire des données sans être lié à un logiciel précis. Ça a beaucoup d'importance au niveau européen parce que c'est le seul moyen de garantir la pérennité des données à long terme, et donc d’être sûrs que si un logiciel disparaît, même un logiciel libre, on pourra demain continuer à lire les données qui ont été produites pas ce logiciel.
Donc il y a des avancées au niveau du Parlement européen dans ce domaine, et puis au niveau français. Comme vous le savez, il y a une nouvelle majorité en France depuis un peu plus d'un an maintenant, donc il y a eu plusieurs projets de loi proposés aux parlementaires français, et dans ces projets de loi, on a vu apparaître des amendements favorables au logiciel libre et notamment, récemment, dans des lois sur l’Éducation Nationale. Alors, en France, ça marche avec deux chambres : vous avez les députés et les sénateurs, et au niveau des sénateurs vous avez des sénateurs qui ont demandé que soient inclus les logiciels libres dans la loi et que, pour l’Éducation, il y ait une préférence donnée au logiciel libre sur les autres logiciels.
C’était évidemment très favorable pour nous. Malheureusement, cet amendement qui avait été déposé n'a pas été retenu par le gouvernement qui l'a fait supprimer et qui l'a fait remplacer par une version beaucoup plus légère qui ne donnait plus la préférence au logiciel libre.
Mais par contre, le deuxième projet de loi qui en train de se voter en ce moment concerne l'enseignement supérieur, donc les universités. De nouveau, les sénateurs ont demandé à ce qu'il y ait une priorité donnée au logiciel libre dans l'enseignement supérieur en France. Et on espère bien, et on a pris contact avec un certain nombre de députés et de sénateurs, en France, pour faire en sorte que cet amendement soit voté et qu'on puisse conserver dans la loi cette préférence au logiciel libre, ce qui serait à ma connaissance une première en France.
Tangui Morlier : Sans doute une double première : déjà, que la loi mentionne le mot logiciel libre, que son existence soit reconnue par les institutions, ce qui va faciliter beaucoup de choses ; et puis après, cet aspect préférentiel.
Lionel Allorge : Préférentiel parce qu'on se doute bien que si nos étudiants sont confrontés à de l’informatique préférentiellement libre, ça veut dire qu'ensuite, ils pourront faire des choix on espère plus larges, plus éclairés, plutôt que ce qui se passe en ce moment où souvent ils sont confrontés, dès le départ, à des logiciels propriétaires, ou privateurs, et une fois qu'ils sont dans ce modèle-là, ils sont dans un modèle qui ne leur permet plus d'échanger le savoir comme on peut le faire avec des logiciels libres. On pense que ça pourrait ensuite avoir un effet bénéfique sur, je dirais, tout l'ensemble de la société.
Tangui Morlier : Alors Nicolas, toi tu agis plus précisément en Belgique, est-ce que tu peux nous raconter un petit peu ton expérience de l'initiative lepacte.be ? Est-ce que ça a donné quelques résultats aussi positifs que ceux que viennent de nous énoncer Lionel tout de suite ?
Nicolas Pettiaux : Quelques résultats. L'initiative lepacte.be a commencé en 2009, pour résumer en quelques mots pour ceux qui ne connaîtraient pas : cette initiative a pris le pendant, adapté à la Belgique de ce qui s'appelle candidats.fr. Donc une initiative qui veut encourager les députés, ou les candidats aux postes de député, à signer un engagement d'utilisation ou de mise en œuvre préférentielle de logiciels. Nous avons en 2009 introduit ceci dans le monde politique belge francophone sous le nom de candidats.be. Nous avons contacté presque tous les candidats aux élections et un grand nombre a signé à ce moment-là, en particulier trois, les trois présidents des trois partis qui se sont retrouvés à former le gouvernement. Vous savez que le système belge, à la différence du système français, est un système proportionnel, donc on fait toujours des coalitions. En l’occurrence, pour être précis, il s’agissait du parti socialiste, du parti CDH [Centre démocrate humaniste] et du parti Écolo. Nous n'avions pas obtenu la signature du président du parti réformateur et d'une certaine manière, ce n'était pas trop grave puisqu'il s'est retrouvé dans l'opposition.
Tangui Morlier : Est-ce que c'est grâce au pacte, tu penses ?
Nicolas Pettiaux : Non !
Tangui Morlier : Non ? OK ! C'est dommage !
Nicolas Pettiaux : Ce n'est sûrement pas grâce au pacte. Je crois qu'il n'y avait pas d'effet, mais ce qui s'est passé, c'est que nous étions très étroitement en discussion, oui ?
Public : inaudible'''
Nicolas Pettiaux : Je n'ai parlé malheureusement que de la Belgique francophone. Je parlerai un petit peu après, si vous voulez, de ce qui s'est passé du côté néerlandophone, où il s'est passé beaucoup moins de choses, où c’était beaucoup plus difficile.
Suite aux contacts que nous avions, avant les élections, avec les bureaux de ces trois partis, nous avons très activement permis, et c'est déjà une action à mon avis, que naisse un document favorable aux logiciels libres et aux standards ouverts, en l’occurrence les déclarations politiques régionales et communautaires 2009 - 2014, qui sont les documents par lesquels les gouvernements s'engagent dans une politique de route pour la législature à venir. Donc pour les cinq années qui terminent l'année prochaine, le gouvernement de la région wallonne et le gouvernement de la communauté Wallonie-Bruxelles sont engagés à mettre en œuvre des logiciels libres à différents niveaux. L'engagement n'est pas très précis, mais c'est un engagement global.
Vous savez qu'en Belgique on vote très souvent. On a remis le paquet en 2010 pour rappeler aux gens qu'on avait voté et que ceux qui s'étaient engagés, ce serait bien qu'ils mettent en œuvre, et qu'à d'autres niveaux de pouvoir, ils s'engagent à nouveau, parce qu'on vote à différents moments, à différents niveaux de pouvoir. Il y a de nouveau eu quelques personnes qui ont signé le pacte. Et puis en 2012, on a étendu le premier pacte des logiciels libres à un triple pacte. C'est pour cela qu'il a changé de nom : il est passé de candidats.be à lepacte.be, incluant candidats.be pour ce qui concernait le logiciel libre, mais avec deux extensions, une concernant les données ouvertes et l'autre concernant, le troisième point, je ne me souviens plus tout d'un coup !
Tangui Morlier : Neutralité, Open Data ?
Nicolas Pettiaux : Voila, neutralité du net. Tout-à-fait. Donc c'est le point très important de la neutralité du net qui nous semblait à ce moment-là crucial et qui a vraisemblablement servi à sensibiliser les gens dans la démarche ACTA qui a suivi.
Donc les résultats 2012, qui étaient des élections au niveau fédéral, ont servi et ont permis qu'aujourd'hui cent quatorze élus sur un total de cent quarante élus au Parlement fédéral, donc la section francophone, soient des gens qui aient signé un engagement vers le logiciel libre.
J'ai parlé des résultats. Sans doute le premier c'est donc cette déclaration de politique régionale. Est-ce qu'il en est sorti quelque chose de celle-là? Sûrement une sensibilisation au terme de logiciel libre et de standard ouvert. Quand on retourne voir des politiques aujourd'hui, on s'appuie sur ces déclarations. Ce que je peux vous dire, c'est que des conférences ont été organisées, une autre que celle-ci, « Open de source », qui a déjà été organisée deux fois, par des acteurs proches des administrations et qui chaque fois se sont appuyés sur cette déclaration pour dire aux gens « eh bien voila des engagements ont été pris et maintenant où est-ce qu'on va ? Allons plus loin. »
Ça aide les administrations, ou certaines parties des administrations, à mettre en œuvre des logiciels libres en leur sein. Donc des informaticiens, ou des décideurs dans le cadre de marchés publics, s'appuient aussi sur ces déclarations pour dire : regardez, ça a été fait. Souvent ils se heurtent, d'après les échos que j'ai eus, au fait que des niveaux de pouvoir très élevés sont sensibles aux sirènes du monde propriétaire mais les niveaux intermédiaires ou plus techniques s’appuient eux sur les déclarations pour dire « on ne peut pas utiliser le logiciel propriétaire comme certaines de nos directions le voudraient parce qu'on nous demande au niveau politique de le faire autrement ».
Quarante mille ordinateurs ont été installés dans les écoles depuis le début de la législature, donc depuis 2009, et ces ordinateurs, une des choses que nous avons obtenue et qui est vraisemblablement en grande partie liée, d'après les contacts qu'on a obtenus, sont que ces ordinateurs étaient tous équipés en dual boot. Les écoles pouvaient choisir si elles voulaient des ordinateurs avec Windows et Ubuntu ou bien des Macintosh avec un dual boot Ubuntu. Et donc ces ordinateurs ont été déployés dans les écoles. Malheureusement, ceux qui finançaient les ordinateurs n’avaient aucun rapport avec ceux qui finançaient les formations des utilisateurs des ordinateurs, ni sur Windows, ni sur Mac, ni sur les logiciels libres. Donc les ordinateurs de manière générale sont très peu utilisés et ceux qui sont utilisés avec du logiciel libre en démarrant sur Ubuntu sont encore moins utilisés, donc ils sont presque toujours utilisés avec Windows.
Par contre, ce que nous avons obtenu aussi, c'est que même les partitions propriétaires soient par défaut équipées de logiciels libres, autrement dit la suite bureautique était OpenOffice à cette époque-là, les logiciels de graphisme étaient des logiciels libres, Mozilla était le navigateur par défaut. Voilà !
Encore peut-être deux points si je peux ?
Tangui Morlier : Si tu es bref, oui !
Nicolas Pettiaux : Je serai très bref. Le premier c'est qu'un des partis qui a été contacté depuis, et qui s'est très fort engagé, qui est celui qui s'est le plus engagé, le parti Écolo, pour lequel près de trois quarts des signataires de 2012 étaient des membres de l'Écolo, a décidé en interne de basculer, de faire une migration complète à l'usage de logiciels libres. Donc tout le bureau et tout ce qui concerne je dirais les organes administratifs d'Écolo aujourd'hui utilisent des logiciels libres. Ils mangent leur propre pain, ce qui est à mon avis une bonne chose.
Et alors quelque chose qui est à la fois positif et négatif, qui est apparu en même temps : c'est une initiative, je ne connais pas d'équivalent en France mais je suppose qu'elle existe, elle s'appelle en Belgique SOCIALware. C'est une association qui est soutenue très activement par Microsoft, a commencé grosso modo vers 2009, à faire une promotion très active auprès des associations pour rendre tous les logiciels Microsoft disponibles gratuitement, sauf frais administratifs qui se montent à une somme de l’ordre de cinq euros, coupant donc l'herbe sous le pied à l'idée que le logiciel libre est gratuit.
Donc l'argument économique a disparu pour un grand nombre d'associations. Ça leur a permis du même coup de se régulariser du point de vue des licences. Mais la partie intéressante, c'est qu'on constate aujourd'hui qu'un grand nombre d'associations, soutenues notamment pas des associations majeures dans le secteur culturel, commencent à réfléchir aux aspects idéologiques sous-jacents, et donc demandent maintenant à avoir des formations concernant le logiciel libre, plus pour des raisons économiques mais pour des raisons idéologiques, se rendant compte petit à petit des menaces qui sont associées à l'usage de logiciels propriétaires.
Voila en quelques mots la situation belge associée au pacte.
Tangui Morlier : D'accord ! C'est effectivement très intéressant et on voit là qu'on a une initiative de quelques citoyens, parce que je crois que vous n'étiez pas très nombreux, aussi bien en Wallonie qu'en Flandres, donc toutes les bonnes volontés sont les bienvenues, surtout que, si j'ai bien noté, l'engagement va jusque 2014. Donc il y a deux choses à faire, c'est le suivi des engagements parce que c'est bien qu'ils nous disent qu'ils vont agir pour le logiciel libre, mais encore faut-il que les engagements soient mis en œuvre et comme il reste un an pour les mettre en œuvre peut-être qu'une mobilisation citoyenne pourrait les aider. Et puis après, faire en sorte que ça ne reste pas que des engagements d'un mandat, mais que ça s'inscrive plus sur le long terme dans l'action politique.
Et ce qui est aussi intéressant avec cette expérience-là, c'est qu'en fait d'abord vous vous êtes inspirés de l’initiative de l'April à travers le logiciel de candidats.fr, que vous avez adapté, et là on voit qu'il y a une correspondance entre des volontés citoyennes et la rencontre d'un besoin aussi autour d'un logiciel libre. C'est une expérience à peu près identique qui est apparue à la Quadrature du Net et avec l'émergence du logiciel Memopol2, qui est en fait la récupération d'un logiciel qui existait déjà du temps des combats sur les brevets logiciels et des combats contre les DRM qui ont eu lieu en France en 2005.
Il me semble que toi, Laurent, tu es venu après ces combats-là et tu t'es dit : « j'aime bien cette idée de Memopol », que tu vas nous expliquer, puisque peut-être que tout le monde ne connaît pas encore ce logiciel, et en quoi il pourrait être utile même bien plus largement qu'au sein de l'écosystème du logiciel libre, et du libre en général ?
Laurent Peuch : Oui effectivement. Écoutez je vais vous expliquer basiquement ce qu'est mémoire politique. C'est un site web assez simple en fait. Ça permet à une organisation, pour l'instant il n'y a que la Quadrature du Net qui s'en sert et Gérald Sédrati-Dinet qui met aussi les informations par rapport aux brevets logiciels, c'est un site...
Tangui Morlier : Il faut que tu parles un petit peu plus fort, le micro plus près.
Laurent Peuch : Ça va mieux ? Donc c'est un programme qui permet à une organisation de mettre en ligne les recommandations de vote qu'elle a envoyé à des élus. L'exemple typique c'est la Quadrature du Net qui a envoyé aux députés européens qu'il ne fallait pas voter pour ACTA parce que ce n’était pas un très bon texte. Donc de mettre en ligne ces recommandations de vote et d'aller chercher les députés européens et d'aller prendre la façon dont ils ont voté, leur vote à eux, et de faire une comparaison entre les deux. Ce qui permet en fait de voir quel député a le mieux suivi ces votes, quel groupe a suivi, etc. C'est très intéressant pour des organisations comme la Quadrature du Net qui fait des campagnes sur ces sujets-là.
Mais là où c'est beaucoup plus intéressant, c'est pour nous, en tant que citoyens. Déjà c'est intéressant si vous pensez que la Quadrature du Net représente vos intérêts sur la défense des libertés fondamentales sur internet et sur la neutralité du net. Vous pouvez aller sur Memopol, donc sur le mémoire politique de la Quadrature du Net, et voir lequel de vos élus a le mieux suivi les recommandations de la Quadrature du Net, donc vous a le mieux représenté sur ces sujets-là. Ce qui est quelque chose que, pour l'instant, on ne peut voir que dans ce cadre-là, ce qui est extrêmement dommage. C'est une information que vous n'avez pas. C'est extrêmement dur aujourd'hui de se dire : j'ai cet élu-là, je vais voter pour lui, où vais-je avoir des informations sur lui, c'est très dur de savoir sur quoi il a voté, si ce qu'il a voté, quand vous comprenez ce qu'il a voté, vous représente. C'est quelque chose qu'on n'a pas du tout et c'est quelque chose que ce logiciel permet.
Je trouve ça extrêmement passionnant. Le seul problème, c'est que pour l'instant il n'y a que la Quadrature du Net. Ce que j'aimerais bien, c'est que tout le monde puisse facilement en monter un. Que des organisations comme Greenpeace, comme RSF [Reporters sans frontières], comme n'importe quoi qui représente vos intérêts, puissent s'amuser à monter un mémoire politique pour aussi mettre leurs recommandations de vote en ligne. Qu'on puisse après, nous, en tant que citoyens, assembler l'ensemble de ces informations et pouvoir ainsi construire les profils des députés qui nous représentent le mieux, à la fois pour quand on va voter, pour voter en état de cause et pas simplement par rapport à la communication qu'ils ont faite, mais aussi pour mieux comprendre ce qui se passe dans la vie politique aujourd'hui, parce que c'est un peu, allez, vidat, les textes sont compliqués, il y a énormément d'informations, c'est très dur de savoir ce que ce vote-là représente vraiment, en sachant déjà qu'on ait ce vote-là.
Je pense que c'est indispensable d'avoir ce genre d'outil-là, en tout cas pour essayer de se réapproprier le discours politique et je vais vous faire un petit parallèle, en fait pour vous expliquer dans quel cadre, dans quelle idée s'inscrit ce mémoire politique et comment ce serait dommage de se limiter uniquement à ce cadre-là et enfin je ne vais pas vous dire comment étendre ce cadre-là. Vous avez une idée de ce que ça implique vraiment ?
Je vais vous faire un parallèle avec la réalité augmentée. Je ne sais pas si vous avez déjà vu la réalité augmentée. Ce sont des gars avec des lunettes qui ont des filtres qui rajoutent des informations dans ce qu'ils voient. La réalité augmentée, généralement quand vous avez des visions d'artistes de ce qu'est la réalité augmentée, vous avez plein de pubs en plus, plein de machins dans tous les sens et ce n'est pas vraiment une vision qui m'intéresse moi. Je pense que quand vous êtes un peu hacker et que vous réfléchissez, vous vous dites qu'avoir quinze mille pubs partout et des tas de fonctionnalités en plus, ce n'est pas très intéressant. Et en réfléchissant un peu, en faisant un parallèle avec une extension que vous connaissez tous qui s'appelle Adblock Plus, on peut s’imaginer mélanger de la réalité augmentée à Adblock Plus. C'est-à-dire on pourrait s'amuser à virer les pubs en vrai. Et quand on commence à réfléchir comme ça, on se dit : je peux rajouter des trucs, mais je peux aussi retirer des trucs. Ce que ça veut dire en fait, c'est qu'avec la réalité augmentée, vous pouvez choisir la façon dont vous, vous voulez voir le monde, pas la façon dont le monde vous est offert. Vous, vous voulez voir le monde d'une certaine manière. Il y a un certain monopole de la communication par les gens qui ont l'espace publicitaire, par les gens qui vous vendent des produits. C'est très difficile de se battre contre.
Quand vous voulez faire par exemple du boycott, parce que vous n’aimez pas une marque, en ce moment c'est Monsanto qu'on n'aime pas, c'est extrêmement dur. Il faut se rappeler des trucs, il faut savoir que ce produit-là a été fait par Monsanto. Avec une réalité augmentée comme ça, ce serait extrêmement plus simple : vous iriez dans le supermarché, vous auriez directement les produits en rouge qu'il ne faut pas acheter. Et le parallèle ne s’arrête pas là. L'idée qui est vraiment là, c'est de choisir comment on veut voir le monde, comment vous, vous voulez voir le monde, quels moyens vous voulez vous donner pour voir le monde.
Et le parallèle que je veux faire avec notre temps maintenant, enfin pour revenir en arrière, c'est qu'avec le mémoire politique, l'idée c'est que lorsque vous voulez voir des élus, de quelle manière vous voulez les voir ? A travers quel filtre vous voulez les voir ? Est-ce que vous voulez écouter leurs discours alors que ce sont des professionnels du discours ? Ou est-ce que vous voulez voir leurs actions? La façon dont ils ont voté ? Comment est-ce qu'ils vous ont influencé? Quels amendements ils ont déposé ?
Et pour moi, c'est ça, le véritable intérêt du mémoire politique et je pense qu'on peut étendre ça plus, je crois que ça arrivera dans le futur. Vous pouvez par exemple imaginer dire des sites de presse en sachant quel est le patron. Quel patron a quel lien avec quelle personne politique. Dans quelle industrie il travaille. Quel lien ce journaliste a avec quelle chose. Il y a plein de domaines dans lesquels vous pouvez imaginer ça. Et pour moi c'est ça, le véritable intérêt vers lequel on se dirige, Mémoire politique n'étant qu'une des premières pierres.
Tangui Morlier : Il me semble effectivement que c'est quelque chose, lorsqu'on pousse la logique du logiciel libre, c'est-à-dire se réapproprier la technologie pour que ce ne soit plus la technologie qui domine l'Homme mais l'Homme qui domine la technologie, on peut pousser ce parallèle-là effectivement dans la vraie vie. Il se trouve que le parallèle entre démocratie et la manière dont on fait du logiciel libre n'est pas si aberrant. La démocratie est équipée pour avoir une certaine transparence de la prise de décision publique. Lorsqu'on réfléchit, au début du XXe siècle, mettre en place une imprimerie nationale qui tous les matins édite un journal officiel, qui permet à chaque citoyen de connaître les prises de décision qui ont été réalisées au Parlement, l'ensemble des décrets qui ont été pris par l’ensemble des ministres, etc., au début du XXe siècle, c'est quelque chose qui est extrêmement révolutionnaire. Le fait de se dire que l'ensemble des lois doivent être connues par l'ensemble des citoyens et qu'on met tout en œuvre pour que ces citoyens puissent s'approprier une prise de décision publique, c'est quelque chose qui est révolutionnaire à l'heure du papier au début du XXe siècle.
Il se trouve que maintenant on rentre dans une nouvelle ère, une nouvelle ère où l'ère du papier est un petit peu dépassée et où on peut avoir une granularité d'informations qui nous permette de mieux comprendre ce que font nos représentants à l'Assemblée, dans les différents parlements, l’exécutif local ou national, etc. etc.
Il se trouve qu'en pratiquant la démocratie, on a été un certain nombre de personnes à s’apercevoir qu'en fait, le logiciel libre était déjà bien équipé pour expliquer ces prises de décision qui ont été réalisées sur les logiciels. Le fait qu'on ait des dépôts de versions, des dépôts de code source, GIT, SVM, etc., qui permettent de savoir quel est l'impact de chacune des personnes dans le code source des logiciels. Le fait que, on l'oublie assez récemment, mais qu'il y ait des organismes internationaux comme l'IETF ou W3C qui rendent publics des standards, qui sont discutés largement et de manière très ouverte, montrent que l'internet s'est construit de manière relativement démocratique et en tous cas avec un objectif qui était d'expliquer les prises de décision qui ont permis la confection d'internet et la confection de l'ensemble des logiciels libres qui équipent internet.
À Regards Citoyens, quand nous on est nés, de pratiquer le Parlement et de s'apercevoir qu'on avait oublié, parce qu'on est des praticiens du numérique et qu'on a oublié l’apport que pouvait avoir le papier au début du XXe siècle, on s'est aperçu que les outils de transparence de la démocratie du XXe siècle pourraient être mis à jour pour permettre aux citoyens de mieux comprendre ce que font leurs représentants. Évidemment, on s'est inspiré des réalisations de l'April, de mémoire politique, du pacte, etc., et on s'est dit pourquoi ces outils-là ne sont pour l'instant accessibles qu'au petit milieu du logiciel libre ou de la culture libre. C'est dommage qu'un outil comme mémoire politique, qui à l’époque agrégeait l'ensemble des prises de position des différents parlementaires, ne soit pas plus largement accessible à l'ensemble des militants. Pourquoi il n'y a pas un moteur de recherche sur le site de l’Assemblée Nationale française qui permette de recevoir tous les matins des mises à jour, par mail, les prises de position, les prises de parole de l'ensemble des représentants français. C'est de ce point de vue-là qu'on est parti pour créer Regards Citoyens et on a créé en quelques mois, en utilisant des documents publics et en transformant en données pour les mettre dans des bases de données un site tel que nosdéputés.fr. Ça nous a pris deux mois et demi pour le faire.
Et il y a un moment où on a commencé à discuter, avec notamment des gens à Sciences Po, et on s'est dit ça pourrait être très intéressant d'expliquer la démocratie aux gens du logiciel libre en utilisant les outils du logiciel libre. C'est comme ça qu'est né un projet qui s'appelle « La fabrique de la loi ». La fabrique de la loi essaie de représenter une discussion d'un projet de loi sous la forme d'un dépôt de versions, donc sous la forme d'un GIT, dans lequel on pourrait, pour chacun des amendements qui aurait été adopté à l’Assemblée nationale, voir l'impact qu'il aurait sur les projets de loi. Et même, à la fin des discussions, on pourrait être capable de faire un « blame », donc de savoir quel est le parlementaire qui est responsable de tel ajout dans un projet de loi et donc, comme ça, de permettre à des militants quels qu'ils soient, d’expliquer, de mieux comprendre les prises de décision publiques. C'est vrai que l'un des enjeux aussi de la démocratie, c'est de rendre explicite la prise de décision publique et si on la rend transparente, forcément, il y a des jeux de pouvoir, il y a des complexités qui se font et on a besoin d'outils pour les exprimer. Notre conviction, c'est que ces outils doivent être du logiciel libre, parce qu'on doit s'appliquer à nous-mêmes le devoir de transparence qu'on attend de nos élus. Donc nous-mêmes, développeurs, on doit faire du logiciel libre pour expliquer chacune de nos prises de décision, chaque condition qu'on rajoute dans le code source et on doit mettre à disposition les données qu'on exploite pour répondre à cet impératif de transparence.
Il y a de très nombreux projets qui commencent à naître de cette prise de conscience-là, la prise de conscience qui est résumée sous un buzzword en ce moment de l'" Open Data " et c'est l'élément un peu révolutionnaire au sein des différentes administrations publiques, c'est de faire en sorte que chaque prise de décision soit alimentée d'informations factuelles qui puissent être mises en discussion et qu'un citoyen qui ne comprend pas une prise de décision soit capable de remonter dans cette prise de décision pour mieux l’expliquer.
Voila l'expérience dans le temps. Un des trucs magiques en préparant cette table ronde, c'est que moi, j'ai commencé, Lionel m'a formé au plaidoyer et au logiciel libre à l'April, et grâce à toutes ces petites expériences de simplement aller au Parlement parce qu'on a passé une nuit à mettre des cartes postales envoyées aux parlementaires en 2005 pendant la DADVSI, moi je me suis dit : c'est bien d'envoyer des cartes postales, maintenant je vais voir si les cartes postales ont eu un effet. Donc je suis allé au Parlement. Puis après on a créé candidats.fr qui a été récupéré en Belgique. On a vu monter les nouvelles versions de Memopol. Et comme ça, de plus en plus d’initiatives naissent pour valoriser les valeurs qu'on a autour de la culture libre et faire en sorte que potentiellement, notre démocratie puisse en utiliser les externalités positives.
Voila un petit peu pour tracer l'idée qu'il y avait derrière cette table ronde. Je ne sais pas combien de temps il nous reste parce que, normalement, je crois qu'on devait s’arrêter à dix-huit heures et qu'il est déjà dix-huit heures cinq. Est-ce qu'on a le temps de prendre quelques questions ou peut-être réactions ? Je crois qu'on n'a pas parlé de tout. On a oublié de parler des initiatives en Flandres et je pense que vous avez sans doute des questions ou des expériences personnelles dont vous souhaitez nous faire part. Ce que je vous propose, c'est qu'on se donne un quart d'heure pour prendre les questions, et créer un petit débat. Et je suis sûr qu'on aura des bières libres après et qu'on pourra continuer le débat en profitant du beau temps bruxellois. Est-ce qu'il y a des gens qui...? Eh bien voila, il y a déjà une question sur la gauche, là.
C'est le micro jaune je crois, le micro sans fil ! A priori c'est bon !
...
Non, on ne t’entend pas. On va essayer le rouge du coup ! Ah voilà, là, le rouge, ça marche, impeccable. On va prendre le rouge.
Public : Je voulais juste reprendre l'exemple que tu as donné avec la réalité augmentée, qui me paraît un petit peu dangereux parce qu'on risque à ce moment de se retrouver chacun dans sa réalité. Moi je vais mettre à la place des pubs, des images, des cartes postales, l'autre va mettre des panneaux de la Renaissance et chacun va créer sa propre réalité et puis on ne va plus pouvoir se parler l'un l'autre. Je pense que le logiciel libre, et le logiciel en général informatique, doit nous permettre de reconstituer un monde commun, un monde dans lequel on partage les mêmes choses, on partage les mêmes réalités, on partage les mêmes combats. D’autant plus que, je saute sur cet exemple des publicités, mais je pense que c'est transposable aussi à d'autres problématiques. Par exemple dans certains métros à Paris, à la place des publicités commerciales, maintenant on a des publicité pour des événements culturels. Donc je pense que c'est une forme pour échapper à cette pollution de la publicité, mais ça on n'y est pas arrivé par la réalité augmentée. Je pense qu'on y est arrivé par un appui des citoyens et des propositions au bout de cinq mille plaintes pour dire « Vous mettez trop de pubs, on suffoque ». À mon avis, il faut se manger ce qu'on n'aime pas. Il faut se le prendre dans la gueule et puis après réagir pour essayer de reconstituer, de refaire une autre réalité mais qui est encore une fois commune à tous.
Laurent Peuch : En fait, c’était principalement une métaphore. Je ne sais pas si c'est un futur que je souhaite. J'avoue que je serais très ravi de voir la publicité disparaître maintenant, même si c'est un peu plus compliqué que simplement la voir s'en aller. L'image que je voulais vraiment donner et que je voulais vraiment qu'on retienne, c'est la façon dont les politiciens sont maintenant, la façon dont les choses sont maintenant, te faire prendre conscience que tu peux te permettre de voir ça autrement si tu le veux. Ce n'est pas de te dire : « Va t'isoler dans ta propre réalité à toi, ne va pas être dans ta propre bulle » et même indépendamment de ça, en supposant qu'on va vraiment dans cet endroit-là, ce serait quelque chose que tu contrôles. Je te rappelle aujourd'hui que ta réalité est filtrée par Google qui a décidé qu'il a décidé d'avoir ton profil à ta manière et voir le monde comme il veut que toi tu le voies ou qu'il pense que toi tu veux le voir comme ça. Moi j’utilise ça principalement comme une métaphore pour te dire : « Pour l'instant tu ne comprends pas ce que les politiciens font. Les politiciens t'offrent quelque chose qui est un discours, ils t'offrent quelque chose qui est une affinité que tu as eue avec le parti ou parce qu'ils ont de l'argent pour passer dans la presse ou parce qu'ils ont des contacts pour passer dans la presse, ce qui n'est que de la communication ». La métaphore que j'ai c'est : « Ignorons leurs communications, jugeons-les par rapport à nos propres valeurs qui sont des faits concrets . C'est ça le message que je veux faire passer. Ce n'est pas : « Allons nous isoler dans notre petite bulle ».
Tangui Morlier : Peut-être que la métaphore a ceci de troublant qu'elle accentue sur le côté liberté du logiciel libre, mais qu'il ne faut pas oublier que dans la notion de logiciel libre, comme le rappelle Lionel, il y a l’égalité et la fraternité. C'est-à-dire que l’objectif ce n'est pas de changer la réalité tout seul dans son coin mais de le faire en partageant la technologie, il me semble !
Nicolas Pettiaux : Peut-être, pour compléter, puisque la question a été soulevée tout à l'heure, pour revenir quelques instants au pacte. Pourquoi en Belgique francophone et pas en Belgique néerlandophone ?
Comme Tangui l'a mentionné, nous étions beaucoup trop peu nombreux pour pouvoir mener cette action candidats.be d'abord, et puis le pacte ensuite. Trop peu nombreux ça veut dire un certain nombre d'activistes qui se comptent sur les doigts d'une seule main, qui se sont épuisés au travail. Épuisés sur un travail, ça ne dure pas très longtemps, ça dure trois mois, mais il suffit de trois mois pour s'épuiser.
Lors de la version 2009, une seule personne était un néerlandophone natif qui a aidé pendant sa période de chômage à traduire un certain nombre de textes. Il l'a fait efficacement. Il ne se sentait pas d'attaque pour prendre le téléphone et contacter, après les avoir contactés par mail, les candidats aux élections. Mon expérience est que pour être efficace, il faut envoyer des mails, et puis il faut suivre les mails de coups de téléphone, sans compter le montant de la facture. D'accord?! C'est comme ça qu'on obtient des signatures.
Je dois reconnaître qu'un grand nombre de députés, de signataires, ont à mon avis signé le document parce qu'il leur a été présenté avant les élections, en mentionnant le fait que leur président avait signé, souvent, où que d'autres personnes avaient signé, quelques-unes, qui étaient des figures marquantes, et en leur disant qu'ils feraient bien de s'aligner sur leur président, ce serait la moindre des choses ! Donc un certain nombre ont signé sans avoir pris la teneur de l'engagement qu'ils signaient. La difficulté c'est qu'après pour mettre en œuvre ils ne se sentent sans doute pas tellement engagés par ce qu'ils ont signé. Voila, pour la partie néerlandophone du pays, on n'a pas pu aller plus loin faute de personnes actives.
Alors je mentionnais tout à l'heure que Pascal Smet a signé, celui qui est maintenant ministre de l'enseignement néerlandophone, il était ministre de l'enseignement, ministre bruxellois. Il est parfaitement bilingue. Pour le faire signer je suis allé à une activité qu'il organisait deux jours avant les élections. C'était une inauguration d'une place, ou quelque chose comme ça. Il était là. Il invitait tout le monde à un bar qu'il avait fait pour nous inviter à signer pour lui, enfin à voter pour lui. Moi je lui ai dit : « C'est très bien, je voterai peut-être pour vous, mais signez d'abord pour moi ». Et donc voila il a signé le papier.
Tangui Morlier : Donc s'il y a des néerlandophones qui sont motivés pour la prochaine campagne, je crois que vous avez bien entendu le message.
Nicolas Pettiaux : Si vous voulez qu'il y ait quelque chose du côté néerlandophone, manifestez-vous, parce qu'il faut savoir que le contexte politique en Belgique est le suivant : quand quelqu'un comme moi qui parle moyennement le néerlandais (je peux comprendre mais pas m'exprimer comme un interlocuteur natif, et je n'ai sûrement pas le bon accent), je décroche le téléphone, on me raccroche tout de suite au nez !
Et pour terminer, madame Caroline Gennez qui était présidente du SPA, parti socialiste néerlandophone, m'a écrit personnellement en me disant : « Vos idées sont vraiment très bonnes, mais votre site web n'est pas assez bien traduit, je ne signerai donc pas ». Je lui ai donc répondu : « Il n'y a pas de problème, vous avez sûrement dans vos connaissances un certain nombre de gens qui maîtrisent suffisamment bien le néerlandais pour nous aider à traduire le site web. Faites-le. Nous on n'a pas les compétences pour le faire ». Elle m'a dit : « Je n'ai pas le temps de le faire, je ne demanderai pas autour de moi ! » Donc voila. Ça s'est arrêté là !
Je voulais juste pour terminer...
Tangui Morlier : On prend d'autres questions ?
Nicolas Pettiaux : Oui, oui ! Je voulais juste terminer pour dire que vous avez entendu 2009 - 2014, en 2014 on remet le morceau. Mais le morceau en Belgique va être un gros morceau puisqu'on vote en même temps au niveau communal, régional, fédéral et européen.
Tangui Morlier : Bon, c’est bien vous allez avoir des nuits actives en 2014. Est-ce qu'il y a d'autres réactions, questions ? Oui
Public : Inaudible.
Tangui Morlier : le pacte.be
Public : Je voulais juste que vous me rappeliez le nom du site c'est le pacte.be.
Nicolas Pettiaux : En un seul mot.
Tangui Morlier : Si vous voulez poser des questions, levez la main ou interpellez Nicolas. Je vous rappelle juste que, dans le programme, vous avez trois thèmes qui semblent assez correspondre à ce qu'on a abordé là. Le thème politique, demain, à neuf heures vingt, Jeanne Tadeusz va parler de « Pour une politique publique en faveur du logiciel libre ». Donc si vous avez envie de connaître concrètement les actions qu'il faut mener pour un plaidoyer efficace pour le logiciel libre, Jeanne sera là pour répondre à vos questions. A dix heures vingt, toujours sur le thème politique, j'aborderai « Open data et Parlement, le libre au service de l'innovation démocratique ». Et il me semble qu'à seize heures vingt mercredi « Libre et marchés publics ». Donc un gros enjeu aussi lorsqu'on s'adresse aux décideurs publics, c'est de faire en sorte que les marchés publics ne soient au minimum pas défavorables au logiciel libre, comme c'est régulièrement le cas, notamment en veillant à ce qu'il n'y ait pas de marques qui soient citées au sein des marchés publics.
Il se trouve en plus qu'on est en train de construire une doctrine, à défaut qu'elle soit vraiment une jurisprudence, autour du fait qu'il peut être autorisé, par les acteurs publics, de demander explicitement du logiciel libre. En tout cas c'est ce qui est en train d'émerger en France et ce serait aussi une bonne idée et peut-être qu'on pourrait en discuter lors de ce thème juridique, à seize heures quarante mercredi, de voir si c'est possible de le faire aussi dans d'autres pays.
Public : Intervention Inaudible
Tangui Morlier : C'est parfait !
Public : Cette idée de faire rentrer le terme logiciel libre dans la loi, là où ça m'inquiète un petit peu, c'est qu'une fois qu'un terme, un concept, est rentré dans la loi, il est possible de le corrompre. On voit pas exemple pour l'alimentation bio, le cahier des charges bio a été modifié dans la loi pour permettre d'y faire rentrer des OGM, etc. Est-ce que c'est juste le nom « logiciel libre » ou est-ce que c'est vraiment un cahier des charges correspondant au logiciel libre qu'il ne faudrait pas plutôt faire rentrer dans la loi ?
Lionel Allorge : Alors en France en tout cas, il y a eu une définition assez claire qui a été proposée, au niveau de l’administration française, de ce qu'est un logiciel libre, qui est essentiellement la définition proposée par la Free Software Foundation. De ce côté-là pour l'instant il n'y a pas trop de craintes, mais effectivement il faut rester vigilant parce que, comme vous le dites, il peut y avoir une dérive des termes, je dirais, plus généraux comme l'Open Source, par exemple, qui sont beaucoup moins bien définis et où là on peut avoir des acteurs qui viennent par ce biais proposer des logiciels qui ne seraient plus vraiment des logiciels libres. Notamment avec par exemple des clauses sur l’utilisation de portions du code qui ne seraient plus couvertes par une licence libre. Il faut être vigilant là-dessus, mais en tout cas ça nous paraît être une bonne chose que le principe du logiciel libre soit reconnu par la loi en France, parce que nous, après, on peut s'appuyer là-dessus pour aller voir les administrations et leur dire « Eh bien écoutez c'est dans la loi ! Donc veuillez appliquer ce principe ».
Tangui Morlier : Je crois qu'il y a un double élément. C'est vrai qu'il y a une définition qui est plutôt bien faite mais qui est liée au pouvoir réglementaire, donc au pouvoir de l'exécutif. Là, la nouveauté avec la loi sur l'enseignement supérieur et la loi sur l'Éducation nationale, c'est que le terme logiciel libre est indiqué. Par contre, effectivement, il n'y a pas de définition. L'avantage qu'on peut avoir aussi à l'absence de définition c'est que c'est la définition de la société qui prime, c'est-à-dire notre définition sur les quatre libertés. Mettre une définition dans la loi, on l'a vu par exemple sur la bataille sur les formats ouverts, qui a eu lieu pendant la directive Public Sector Information, qui vient de se clore là le 26 juin, pendant un bon bout de temps, les États membres voulaient mettre, comme définition de formats ouverts, une définition qui était relativement correcte, mais en citant comme exemple Excel ! On a tout de suite vu le danger de vouloir formaliser un élément clair alors que les définitions sont relativement stables d'un point de vue de la communauté.
Après, on a vu aussi, c'est en CMT [commission mixte paritaire] le projet de loi éducation, où on a fait pas de mal de bruit à l'April autour de cet amendement qui a été supprimé, inséré par les sénateurs et supprimé par les députés, donc du coup ils en ont discuté en commission mixte paritaire pour pouvoir voir comment faire. Et en fait on a accouché d'une définition, enfin pas d'une définition mais d'une citation assez originale et populaire parmi l'administration française, qui est le logiciel libre de droit ! Ça ne veut du coup plus rien dire maintenant, il n'y a pas vraiment de définition, et du coup on est effectivement dans un des travers que vous dénonciez qui est : à vouloir mettre des choses dans la loi et bien le truc de la loi c'est que ça reste ! Quand c'est bien indiqué et bien défini, c'est positif. De l'autre côté il y a des lobbies qui sont aussi là et assez performants pour pouvoir éventuellement dégager certaines dispositions. C'est effectivement un jeu à double tranchant. Là globalement les résultats sont positifs, mais c'est vrai qu'il faut rester toujours très vigilant.
Après sur le lobby, on a la chance d’être des citoyens ! Lorsqu'on fait du lobbying citoyen on est quand même beaucoup plus efficaces que les millions d'euros qui sont dépensés par les Oracle, Microsoft, Google, etc. Donc les exemples représentés ici ou dans l'ensemble de la communauté du logiciel libre qui font du plaidoyer politique montrent qu'on peut s'organiser pour faire valoir nos points de vue et régulièrement gagner contre des lobbies qui sont très importants. L'exemple de l'ACTA est assez incroyable, puisqu'il y a l'industrie culturelle et de l'entertainment qui ont dépensé des millions d'euros et une mobilisation citoyenne a fait en sorte que cet investissement ne soit pas rentable pour ces industries, ce qui est plutôt une bonne nouvelle !
Public : Est-ce que vous savez s'il existe une déclinaison de nosdéputés.fr pour des groupes d'élus plus locaux, de type communes, conseils de communautés ou des choses comme ça ? Sinon est-ce que vous avez envisagé de développer nosdéputés.fr dans ce sens là ?
Tangui Morlier : C'est une très bonne question. Déjà nosdéputés.fr, quand on l'a développé, on s'est aperçu qu'il existait dans d'autres pays. Alors totalement par hasard, on est parti avec une idée, et puis en commençant le développement on a découvert nos homologues anglais de MySociety qui font un site qui s'appelle TheyWorkForYou, où, eux ils ont plusieurs parlements, un peu sur le modèle belge, et donc du coup ils ont décliné leur interface pour l'ensemble des parlements régionaux.
Il se trouve qu'en France, déjà on n'est pas forcément hyper nombreux à Regards Citoyens et que notre site est mis à jour toutes les quatre heures. C'est-à-dire qu'il faut être attentif à ces petits robots qui viennent collecter les informations, les mettre dans notre base de données et pour l'instant malheureusement on n'a pas suffisamment de bénévoles pour pouvoir lancer des initiatives qu'elles soient régionales, départementales ou au sein des collectivités territoriales.
Ceci dit on a été invité par la commune de Brocas, qui est une commune dans les Landes, à venir libérer le village. On est venu avec des gens de Wikipédia, on est venu avec des gens d'OpenStreetMap, on est venu avec des gens de LibreOffice, plein de gens comme ça, et donc on s'est évidemment penché sur les comptes-rendus de conseils municipaux et on s'est aperçu qu'il y avait beaucoup d'informations, que ces informations n'étaient pas forcément transmises de manière très homogène, mais qu'en tout cas le formalisme était là. Il y avait quelque chose qui était possible, d'au moins montrer les différentes prises de décision qui sont prises lors des conseils des différentes collectivités territoriales.
Il me semble qu'en Belgique il y a une initiative qui s'appelle droitderegard.be, qui vise à rendre disponibles, non pas les résultats des conseils municipaux, mais déjà les calendriers et les différentes décisions qui seraient prises lors des futurs conseils municipaux, ce qui permet déjà au citoyen de s'informer et de savoir quand est-ce qu'il peut éventuellement agir, venir assister à un conseil municipal et éventuellement faire part de son point de vue. Les conseils municipaux visiblement en Belgique, comme en France, sont ouverts aux