2014-06-15



Titre : Comment les grands acteurs du web s’improvisent magiciens et jouent avec nos données personnelles
Intervenant : Frank Rousseau
Lieu : Bruxelles, RMLL
Date : Juillet 2013
Durée : 57 min 11
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Transcriptions

Je suis Frank. Je suis développeur de web applications depuis de nombreuses années. Ça m'a permis de comprendre pas mal de choses sur Internet et tout ce qu'on y dépose. C'est pourquoi aujourd'hui je vous fait cette présentation à propos des données personnelles et d'Internet.

Pour donner un cadre à cette présentation, je vais vous raconter un rencontre que j'ai faite, il y a environ quinze ans de cela, avec un ami qui était très sympathique au premier abord, qui m'a notamment beaucoup aidé, qui m'a permis de construire beaucoup de choses, de rencontrer beaucoup de monde, de découvrir des nouvelles choses. Avec lui j'ai rapidement entamé une relation très proche. Ça a été mon véritable confident, je lui racontais beaucoup de choses et ça a été très profitable pour moi.

Malheureusement je me suis rendu compte, au bout d'un moment, que cet ami avait un vilain défaut, c'est que bien souvent il répétait tout ce que je disais. Au début j'ai voulu me fâcher. Je me suis dit « C'est fini je ne veux plus lui parler ! » Puis après je me suis dit « Quand même il m'a rendu beaucoup de services, c'est peut-être à mon tour de lui rendre un service ! » Et donc ensemble on a cherché des solutions et on a fini par en trouver. Heureusement je n’étais pas seul, parce que cet ami vous l'avez rencontré vous aussi, d'autres comme vous ont réagi, cet ami vous l'avez compris, c’est le web.

A travers cette présentation on va essayer de voir un peu comment j'en suis arrivé à tout lui raconter, dans une première partie. Ensuite, dans une seconde partie, on va voir pourquoi ça c'est mal passé quand il a commencé à répéter tout ce que je lui disais. Enfin, pour terminer, on va essayer de voir ensemble quelles sont les solutions qu'on a trouvées, lui, moi et les autres, pour pallier à ces problèmes.

Tout d'abord revenons à la première rencontre, au tout début. Ça a commencé comment ? Pour moi c’était en fait mon père, il y a quinze ans, qui envoyait des e-mails et commençait à échanger des informations avec ses amis. Je trouvais ça génial. J'étais fasciné parce que ça allait quand même beaucoup plus vite qu'une lettre à la poste. Ensuite, un deuxième temps fort on va dire, la deuxième chose qui m'a vraiment convaincu, c'est quand mon frère a publié son premier site web. J'ai trouvé ça juste génial. On créait un contenu et on pouvait automatiquement le mettre à disposition de beaucoup de monde. Donc je l'ai imité. J'ai créé un contenu. J'ai mis des choses intéressantes. Je pouvais mettre des images, du texte. J'ai même fait une belle mise en forme, parce qu'à l'époque j'étais plus attiré par le graphisme que par le développement, donc la mise en forme me plaisait beaucoup puis en plus, c'est assez rigolo, parce que les sites n'étaient pas très jolis, ils étaient tous en rose etc, c’était d’autant plus motivant de faire quelque chose de joli.

Le web, immédiatement, m'a apporté trois choses. La première chose qu'il m'a apportée, c'est que ce contenu que je venais de créer il le mettait à disposition partout. C'est-à-dire que je pouvais y accéder depuis chez moi, depuis mon école ou depuis mon lieu de vacances, et ce, même si j'étais loin. C'est le premier point.

La deuxième chose qu'il a apportée et qui est très importante, c'est qu'il a permis d'y accéder de manière instantanée. En très peu de temps, oui à l’époque les modems n'étaient pas très performants, ça c'est sûr, mais ça prenait genre une minute quelque chose comme ça, mais en très peu de temps je pouvais accéder à mon contenu. On ne parlait plus de 24 ou 48 heures, voire plus, quand on envoyait une lettre postale, une lettre par la poste. Donc c’était tout de suite un grand pas en avant. Donc il m'a permis d’accéder de partout, de manière instantanée, à mes contenus.

Et là où ça devient vraiment intéressant, c'est que ce contenu ne restait pas qu'à mon niveau. Ce contenu, je pouvais le partager avec tout le monde. Donc il se crée un véritable échange avec la planète entière. Comme je l'ai dit ce contenu est accessible de partout. Ça veut dire que quelqu'un à l'autre bout de la planète pouvait consulter ça. En créant ma première page web, en me faisant ami avec le web, j'ai automatiquement pu la rendre accessible de partout, de manière instantanée et par tout le monde. Même mieux, seulement à ceux avec qui je le voulais.

Comme ça, ça peut paraître anodin tout ce que je viens de vous dire, mais aujourd'hui ça permet énormément de choses. Ça permet d'apprendre beaucoup beaucoup. Si je prends juste un exemple pour illustrer, plutôt que de vous expliquer ça pendant longtemps, ce que ça permet c'est que tout simplement aujourd'hui si je veux apprendre une danse traditionnelle indonésienne, sans jamais mettre le pied en Indonésie, eh bien je peux. Parce qu'aujourd'hui s'il y a quelqu'un de suffisamment motivé en Indonésie pour produire des contenus vidéos, pour construire des textes, des tutoriaux, etc, des didacticiels pour m'aider, eh bien il peut le faire. Bien souvent ils le font, donc moi je peux apprendre. Alors ça ne vaudra pas effectivement la qualité d'un enseignement en direct, mais ça devient possible.

Tout ça, tout cet apport, c'est très joli, c'est très agréable, mais par contre il faut commencer à prendre conscience de quelque chose.

En fait à chaque fois que je crée un contenu, c'est quelque part, ce sont mes données, c'est quelque chose qui me concerne, que je mets à disposition. Soit je le mets à disposition uniquement de moi, soit des autres. Là vous me direz, oui mais je ne fais pas des pages web tous les jours donc ce n'est pas très grave. Vous avez raison. Par contre c'est là ce dont il faut bien se rendre compte c'est qu'on a plusieurs canaux de création de données personnelles. La création d'un contenu n'en est qu'un parmi plein d'autres.

Pour simplifier les choses je vais vous décrire trois canaux. Le premier c'est votre informatique personnelle. C'est le plus évident, c'est celui quand vous utilisez votre ordinateur tous les jours. Vous allez par exemple faire un document de travail, vous allez envoyer un mail, tout ça constitue des données personnelles. Évidemment il y a aussi le mobile. Le mobile c'est intéressant parce que c'est beaucoup moins pratique à utiliser qu'un ordinateur personnel, qu'un ordinateur de bureau plutôt, par contre il nous suit partout. Ça veut dire qu'avec le mobile je peux créer des informations de moins bonne qualité mais je peux en créer plus souvent. Ensuite il y a les tablettes. Les tablettes c'est un exemple, finalement c'est encore un terminal de plus parmi tous ceux qu'on a qui vont créer de la donnée. Dès qu'on va utiliser un service sur internet, on va créer de la donnée. Si je mets un statut sur Facebook, je crée une donnée personnelle. Il n'y a pas besoin d'aller jusqu'au site web pour créer de la donnée.

Le deuxième canal qui est intéressant, là j'anticipe un peu parce qu'aujourd'hui ce n'est pas très répandu, ce sont les objets. Tous les objets qu'on utilise aujourd'hui, petit à petit, vont être de plus en plus bavards. Il vont commencer à raconter des choses. Par exemple un frigo, ce qu'il va faire, c'est que tout simplement il va faire l'inventaire de ce qu'il y a dans notre frigo et puis il va nous tenir au courant. Ce sera beaucoup plus facile pour faire ses courses par exemple.

Quelque chose qui existe déjà c'est la balance. Aujourd'hui on vend des balances qui se connectent à internet et qui vont automatiquement sauvegarder votre poids tous les jours. C'est très pratique parce que ça vous permet de suivre l'évolution de la courbe de votre poids, ça peut être très intéressant, moi je m'en fiche, mais il y a des gens pour qui ça peut être utile. Et aussi après, ça je ne vous le souhaite pas, mais puisqu'on parle de santé un petit peu, si un jour vous avez un pacemaker, ce qui se passe c'est que le pacemaker va aller enregistrer les informations sur internet pour que votre médecin puisse savoir à tout moment dans quel état il se situe.

Ça fait un deuxième canal de production de données. Le premier c’était l'informatique personnelle, le plus évident, celui qu'on utilise tous les jours. Le deuxième canal ce sont les objets.

Intervention inaudible

Frank : Il y aura une session de questions-réponses à la fin. Donc voila ça c’était une deuxième canal. Ensuite, oui pardon j’avais oublié, c'est que là je ne suis pas en train de vous dire qu'il faut que vous ayez peur des objets. Vous pouvez continuer à utiliser votre frigo ça marchera toujours, il n'y a aucun souci là-dessus. Il faut juste avoir conscience de ce qui se passe. Je crois qu'il y avait une conférence ce matin à ce sujet: de plus en plus les objets vont parler et on va savoir d'où est-ce qu'ils parlent. Mais ça vous allez le comprendre dans la suite de la présentation pourquoi c'est important de savoir ça.

Ensuite j'ai un troisième canal qui n'est pas négligeable, c'est peut-être même le plus important, enfin il va tendre à devenir le plus important, c'est celui de votre entourage, de vos relations. Votre famille par exemple va parler de vous, en vous envoyant un mail, en racontant une histoire qui vous concerne, automatiquement ils vont créer des informations personnelles, ils vont créer vos informations personnelles. Pourquoi ? Parce que s'ils vous invitent à un événement sur Facebook par exemple, eh bien automatiquement ils enregistrent quelque part que vous avez été invité à cet événement. Si jamais vous confirmez que vous venez à cet événement, quelque part est enregistré que vous êtes allé à tel événement, tel jour. Donc c'est une information personnelle, à laquelle vous avez peu participé mais qui a été créée plus par votre entourage.

Bien sûr, plus évidentes, ce sont les relations professionnelles. Dans le cadre du travail on passe énormément de temps à créer des documents pour les autres, on collabore énormément, forcément dans tout ça, ne serait-ce qu'une simple gestion de toutes vos listes partagées, et bien ça fait qu'on crée plein d'informations sur ce que vous avez fait dans la journée.

On se rend compte que via ces trois canaux on constitue un énorme tas d'informations personnelles. Ça a plein d'avantages. Notamment ça vous permet de jouer un peu avec ces informations. Quand on accumule plein de choses sur nous, après c'est nous qui décidons ce qu'on veut montrer. Si je prends l'exemple du CV, parce que c'est une pratique qui existe depuis très longtemps, si je prends le CV, au final, je prends des informations personnelles que je connais, qui sont faciles à retenir et à enregistrer, un CV je vais mettre mes diplômes et mon expérience professionnelle. Je ne vais pas envoyer le même CV si je candidate dans une banque par exemple ou si je candidate dans une jeune start-up. On utilise les données personnelles à bon escient et on les adapte à la cible à laquelle on s'adresse. Se dire qu'on en a beaucoup beaucoup, tout de suite on se dit qu'on va pouvoir faire des choses intéressantes avec.

Sur internet c'est pareil. Sur internet ce qu'on fait souvent, c'est qu'on se crée plusieurs identités. Par exemple, moi je jouais beaucoup aux jeux vidéos il y a une dizaine d'années, ça m'arrive toujours de jouer mais je joue beaucoup moins, et j'avais mon profil de gamer, en gros, je me présentais comme un joueur de jeux vidéos. Aujourd'hui je suis plus développeur entrepreneur, donc ce que je travaille comme image sur internet, c'est plus l'image du développeur et de l’entrepreneur. C'est plus ça que je vais présenter. En fait, en sachant utiliser mes données personnelles à bon escient, cela peut me servir.

En même temps, tout ça ça veut dire que, il y a un moment, il y a eu beaucoup beaucoup d'informations sur moi. Et en plus ces informations sont historisées. On va voir par la suite que c'est un aspect qui est aussi important. En fait toutes ces informations, quand on y repense, ça nous définit un peu au final. On peut construire notre identité dessus mais si on les prend, si on les regarde au microscope, un programme informatique est capable de faire ça, si on les regarde au microscope, c'est un peu une photographie, de nous, complète et détaillée, qu'on obtient. Cette photographie, on peut l'imaginer maintenant, là aujourd'hui, donc là si je prends mon exemple, je suis Frank Rousseau, développeur et cofondateur de Cozy Cloud par exemple. Voila, on peut dire dire c'est moi. C'est beaucoup plus détaillé que ça. Après il y a aussi une notion de temps, d'historisation. C'est que là aujourd'hui, on peut dire quelque part que je suis la description que je viens de vous donner, mais si je reprends il y a dix ans, j’étais Frank Rousseau, étudiant à l'université Pierre et Marie Curie de Paris VI. Donc au final, ce qu'on fait, c'est qu'on dit, tout au cours du temps, on dit des choses sur nous.

Là je vais faire un petit parallèle. Pour commencer ce parallèle, première question, est-ce que dans la salle certains d'entre vous tiennent un journal intime ? Il y a une personne. Voilà. C'est très intéressant le principe du journal intime parce qu'on a des tas de bonnes raisons de tenir un journal intime. En gros ça consiste à écrire tous les jours, enfin si on le fait sérieusement, ce qu'on a fait, ça peut ne pas être tous les jours mais régulièrement ce qu'on a fait et ce qu'on a vécu. Il y a plein de raisons de faire ça et une principale c'est de ne pas oublier en fait, de se souvenir. J'espère que je ne me trompe pas, de se souvenir de ce qu'on a fait. Il y a des gens qui ont poussé cette pratique un peu plus loin. Ils ont dit que ce qui les intéressait dans cette pratique c'était surtout l'aspect souvenir. Après ils peuvent l'agrémenter pour dire comment ils ont vécu les choses, etc, mais ce souvenir, ils ont voulu le conserver en filmant tout ce qu'ils voyaient toute la journée. Ils filment tout ce qu'ils voient et ils enregistrent tout. Ils mettent ça sur des gros disques durs et du coup ils enregistrent toute leur vie. Cette pratique s'appelle le life logging, et ça au final, comme ça ça peut paraître un peu particulier, on peut se dire, oui, ils font ça, OK, chacun fait ce qu'il veut et ils s'amusent ! Mais le problème c'est que si on se remémore tous les canaux de communication qu'on a, notre informatique personnelle qu'on utilise de plus en plus, nos objets qu'on utilise quasiment toujours, nos relations, c'est assez rare d'avoir des personnes qui ne connaissent personne, du coup au final, il y a énormément de choses qui sont enregistrées et donc du coup nous aussi, sans s'en rendre, on se livre à la pratique du life logging. On enregistre toute notre vie en continu.

Tout ça pour dire qu'en fait sur internet, le rapport qu'on a avec internet, ça fait qu'à un moment, on dépose tout le théâtre de notre vie, sur internet. Les choses ne vont pas aller en s'améliorant, plus les objets seront sophistiqués, plus les logiciels seront sophistiqués, plus on va partager ; pas forcément partager, mais plus on va décrire, plus on va se livrer sur internet. Là il ne faut pas avoir peur. C'est quelque chose de nouveau certes. Au final on enregistre beaucoup de choses sur nous. Mais tant que c'est maîtrisé ce n'est pas très grave. Effectivement il y aura des frottements. C'est sûr que si sur Facebook vous mettez une photo de vous tout nu après avoir trop bu lors d'une soirée, il ne faut pas l'envoyer à n'importe qui. Généralement vous avez des contacts de confiance et à eux vous leur envoyez ce qu'il faut.

Du coup, même si aujourd'hui c'est nouveau et qu'il y aura des frottements, ce qui va se passer, c'est que petit à petit on va tous maîtriser cet aspect qu'on livre beaucoup de choses sur internet et ça se passera bien.

Par contre là où ça pose un problème, c'est que certains ont bien compris le fonctionnement d'internet, ils se sont dit qu'eux ils pourraient en tirer profit, ils pourraient en tirer partie. Il y a quelques mystifications. Et c'est ça qu'on va voir dans la seconde partie de cette présentation.

Ces personnes, je les ai appelées ici, notamment dans le titre de la présentation, les magiciens du web. Qui j'entends par les magiciens du web, vous l'aurez compris, ce sont les grands acteurs du web, c'est les Facebook, c'est les Google, c'est les Twitter, tous ces mastodontes qui ont su fournir un service très intéressant sur internet et en même temps nous mystifier.

En fait si on reprend les usages. Les usages c'est quoi ? Quand j'utilise mon ordinateur, ma tablette, mon téléphone, j'ai l'impression que tout tourne autour de moi. Oui effectivement il faut passer par des portails mais globalement dans l'utilisation de ce que je fais tous les jours, j'ai l'impression que tout tourne autour de moi. Que finalement c'est presque comme si mon ordinateur était directement connecté à mon téléphone ou à ma tablette ou à autre chose ou à mes objets.

La deuxième impression que j'ai, c'est que quand j'envoie un message à quelqu'un, il reçoit tout de suite ce message. C'est lui qui reçoit le message et personne d'autre. Encore une fois, oui je passe par des portails, mais c'est quand même l'impression que ça me donne. C'est un peu comme quand on envoie un texto, on a l'impression que ça arrive tout de suite sur le portable de la personne en question. En fait ce n'est pas exactement ça qui se passe, parce que justement ces magiciens, ces grands acteurs, ce qu'eux font c'est qu'ils ont mis un grand coup de baguette magique là-dessus. Parce qu'au final c'est un peu comme ça que ça devrait marcher et c'est un peu comme ça que ça marchait au début quand on envoyait nos logiciels de partage peer to peer, qu'on publiait directement notre site sur un hébergement mutualisé,etc. Ce n'était pas exactement ça mais ça ressemblait beaucoup à ça. Et là ils ont mis un grand coup de baguette magique, ils ont un peu changé le paradigme, on s'en rend compte, mais sans qu'on en prenne pleinement conscience. Comment ils ont fait ça ? Tout simplement parce que eux, ils savent écouter le web. Ils ont su. Ils se sont rendu compte qu'on pouvait lui livrer beaucoup de choses, mais qu'on pouvait aussi beaucoup l'écouter. Ils se rendu compte que le web était très très bavard donc forcément ils se sont outillés, ils se sont organisés, ils ont recruté les meilleurs ingénieurs de la planète pour faire en sorte qu'ils puissent écouter efficacement le web, pour retenir surtout tout ce qui s'y raconte.

Voila comment ça se traduit au niveau des usages. En fait quand j'utilise mon ordinateur, je vois bien qu'il communique directement avec mon mobile, malheureusement en fait l'information part très loin. Elle part sur les serveurs des grands acteurs que j'utilise. Parce que souvent, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mois j'utilise Gmail, Facebook, Twitter, donc ça veut dire qu'à chaque fois que j'envoie quelque chose chez eux ça part loin, et ça ne vient pas directement chez moi. Ce qui est un peu dérangeant, bref ! Jusque là tout va bien mais ensuite ce qui se passe, c'est qu'on voit la même chose en fait pour tout ce qu'on transmet à nos contacts. On s'attend à ce que ça arrive directement chez eux, mais en fait ça part chez les grands acteurs d'abord. Effectivement, après ça revient, j'ai presque envie de dire ça revient, mais non. Ce qui se passe c'est que la personne à qui j'ai écrit va devoir elle-aussi se connecter, demander l'autorisation d'avoir le droit de voir le message que j'ai envoyé à l'un de ces acteurs. Ça commence à être dérangeant ! Parce que moi aussi je vais devoir demander l'autorisation pour publier sur ces services.

On ne se rend pas compte que c'est gênant parce que eux leur objectif en fait c'est de récupérer un maximum de données, parce que les données c'est ce qu'ils monnayent. Et donc plus il y a de gens qui viennent dessus, plus ils sont contents. Donc plus ils facilitent le fait de pouvoir déposer des messages ou d'en recueillir.

Le problème c'est que si on revient un peu sur la première partie, on essaye de se remémorer, la première partie c’était quoi ? C’était je peux écrire des contenus, accessibles de partout, de manière instantanée, les partager avec tout le monde. Après on a vu qu'il y avait une grosse production de données, que mon informatique personnelle part chez eux, produit des données personnelles sur moi. On a vu que les objets, alors je n'ai pas représenté dans les schémas, mais les objets aussi qui parlent beaucoup sur moi, partent là-bas. On a vu que les contacts, les relations qu'on a, envoient des messages là-bas. On a vu tout à l'heure que tout ça constituait le théâtre de notre vie. Donc ce que vous transmettez, à chaque fois, pour vous ça vous parait anodin parce que vous mettez des likes, vous envoyez des mails, vous travaillez, vous gagnez en efficacité, il faut le reconnaître ce sont des superbes services, souvent réalisés par des gens brillants, eh bien ce que vous faites, malheureusement, c'est que vous transmettez le théâtre de votre vie chez les grands acteurs du web. Là c’est la première mystification, premier grand coup de baguette.

Deuxième coup de baguette, ce qu'ils ont réussi à faire, un peu ce que j'ai essayé de vous dire juste avant, c'est qu'en fait, internet c'est un espace virtuel qu'on peut étendre à l'infini.

Si on reprend la notion de propriété d'auteur, par exemple si on imagine un mini pays dans lequel on voudrait se répartir des lopins de terre, ce serait compliqué parce qu'il faudrait dire, toi tu as un lopin de telle taille, toi de telle taille, il faudrait savoir pourquoi il y en a un qui en a un plus gros que l'autre, est-ce qu'on fait des parts égales, etc. C'est un peu compliqué, parce qu'on est dans un endroit limité.

Mais là ce qui se passe sur internet, c'est que c'est du virtuel, donc c'est complètement illimité. Là où la deuxième mystification intervient, c'est que cet espace illimité, eh bien eux ils ont quand même réussi à créer un enclos autour. Ils ont réussi à dire, je prends l’exemple de Google, de créer un Google land dans lequel on va déposer nos informations personnelles. Ils peuvent l'étendre à l'infini. Il faut passer la porte, le portail Google pour y arriver, mais derrière c'est toujours extensible à l'infini. Ça tombe bien parce que, pour eux à l'arrivée, c'est que ce soit le plus grand possible, pour avoir le plus d'informations à analyser et à récupérer.

Donc quel est le problème avec ça ? C'est que du coup c'est eux qui surveillent les entrées et les sorties ; non seulement les entrées que vous faites dans Google land, les sorties que vous faites dans Google land et le troisième point qui n'est pas négligeable c'est qu'ils contrôlent les traitements qui sont appliquées sur les données que vous avez laissées dans Google land !

Alors là vous allez me dire ce n'est pas très grave. Comme j'ai dit Google c'est quand même une société qui a été montée par des gens brillants, qui est toujours constituée de gens brillants, qui font des logiciels brillants et qui nous rendent un sacré service. Au final, ce n'est pas si grave si Google sait que je mange mes saucisses avec du ketchup. Effectivement ce n'est pas la chose dont je suis le plus fier, mais ce n'est pas si grave si je transmets ça quelque part. Ils peuvent le savoir, tant pis, je ne vais mourir demain à cause de ça. D'autant plus que je sais que vous, vous n'avez rien à vous reprocher ! Au moins c'est ce que vous alliez me dire. De toutes façons au final ce n'est pas très grave de livrer le théâtre de notre vie chez Google, de prendre un lopin de terre malléable chez Google, étant donné les superbes services qu'ils nous rendent. Certes il y a des petites publicités ciblées, etc, mais au final ce n'est pas plus dérangeant que ça ! On est tous bien contents que ça marche !

À ça je pourrais vous rétorquer beaucoup de choses mais c'est pareil, encore une fois, je vais essayer de faire simple et de limiter à trois points.

Le premier point c'est le contexte. Parce que dans le fait que vous ayez quelque chose à vous reprocher ou non, le contexte y est pour beaucoup. Pour les connaisseurs je vais prendre mon point Godwin et je vais juste vous remémorer un peu d’histoire, vous rappeler qu'en 1930 il n’était pas reprochable d’être juif en Europe. En 1939, c'est reprochable ! Et donc je vais faire une petite comparaison, une petite remarque un peu désagréable, mais il faut quand même en avoir conscience, c'est imaginer l'Allemagne nazie avec un outil comme celui de Google. Il faut bien avoir conscience qu'aujourd'hui nos démocraties sont encore jeunes et fragiles. Il faut quand même se dire que ça peut être problématique si demain les gens qui définissent le contexte de ce qui est acceptable ou de ce qui n'est pas acceptable, savent par avance qui sera reprochable ou qui ne sera pas reprochable. Ça c'est le premier aspect.

Le deuxième aspect, c'est l'auto réalisation. Là il va falloir me suivre, essayez de vous accrocher, mais je pense que ça va être assez parlant quand même. Imaginez moi, fan de cricket, je vais commencer à utiliser Google et compagnie comme toujours, je vais continuer et puis je vais commencer à parler beaucoup de cricket. Rapidement en fait ce qui se passe de l'autre côté, c'est que eux construisent des profils sur nous. Ce n'est pas compliqué ce qu'est un profil, on prend quelqu'un et on le met dans une case. Jusque-là ce n'est pas très grave parce que c'est un peu le principe du marketing et pour l'instant ça se passe plutôt bien. Là où c'est embêtant c'est qu'avec ce profil on va pouvoir faire en sorte que vous restiez dans cette case. Vous ne pourrez plus sortir de la case dans laquelle on vous a mis. Pourquoi ? Parce que plus ça va aller, plus l'environnement, le contexte tiens d'ailleurs, plus l'environnement dans lequel vous allez évoluer va être construit pour le profil dans lequel on vous a mis. Par exemple moi qui suis fan de cricket eh bien je ne verrai plus que des publicités sur le cricket. J'aurais l'impression de vivre dans un monde où tout le monde est fan de cricket. C'est la préoccupation nationale presque !

Là où c'est plus grave, c'est que toutes ces sociétés vivent de vos données, parce que ce que je n'ai pas dit, que j'aurais déjà dû dire, c'est que toutes les données qu'ils connectent sont revendues ensuite sur des places de marchés. Elles sont un petit peu améliorées, on constitue des profils sur vous, mais après on les revend vraiment comme si on vendait du poisson sur un marché. Voila, il y a telle personne, alors on reprend mon exemple, qui a trente ans, développeur, je ne sais pas, lui si tu veux lui envoyer des choses, donne-moi un peu d'argent, et comme ça ils en collectent beaucoup. Malheureusement nos profils n'ont pas beaucoup de valeur à l’unité, mais en quantité ils ont beaucoup de valeur. Une des choses qu'ils pourraient faire c'est dire : « on a un partenaire qui est un vendeur de clubs de golf et lui aimerait bien que les gens qui aiment le cricket se mettent au golf ». Petit à petit je verrai moitié moins de pubs de cricket, mais je verrai à la place de cette moitié des pubs de golf. Petit à petit je vais devenir fan de golf, probablement. En gros je vais être manipulé par le fait que j'ai mis mes données quelque part et que ce n'est plus moi qui maîtrise les traitements qui sont appliqués dessus.

Et là où ça devient plus grave c'est que votre assurance pourrait aussi savoir un peu plus de choses sur vous. Votre assurance maladie par exemple pourrait savoir qu'il y un proche qui a eu un cancer il n'y a pas longtemps, donc que vous devenez quelqu'un qui a plus de chance d'en avoir un, que vous avez une mauvaise alimentation donc décider que vous payerez votre mutuelle plus cher.

De la même manière les banques pourront dire : « vous avez un environnement social qui ne semble pas favorable à un prêt donc on va vous mettre un prêt à taux élevé ». Petit à petit on va vous enfermer là où vous êtes. Si vous avez des problèmes de santé vous aurez plus de mal à avoir accès à la santé et en plus vous aurez donc une moins bonne santé et si vous avez des problèmes, vous ne partez pas d'un capital, vous n’êtes pas fortuné à la base, vous aurez d'autant plus de mal à constituer votre capital.

Donc le troisième point, un peu plus léger, pardonnez-moi c'est vrai que je fais un petit peu de catastrophisme limite là, mais je préfère marquer les choses de manière claire. Troisième point un peu plus léger, c'est la propriété. On parle beaucoup de confidentialité, de vie privée, dire ce n'est que pour les gens qui ont des choses à se reprocher, bla bla bla bla, mais ce n'est pas seulement une question de confidentialité, ce n'est pas seulement une question de vie privée, c'est aussi une question de propriété. Si vous êtes artiste, si vous êtes écrivain, si vous publiez du contenu, souvent quand vous le publiez sur tous ces services, pour des raisons pratiques, ce n'est pas forcément calculé avec une mauvaise intention, pour des raisons pratiques, ils sont obligés d'acquérir les droits d’auteur dessus. Acquérir les droits d'auteur dessus, ça veut dire qu'ils peuvent se servir de vos images. Donc ça fait toujours réfléchir !

J'ai peut-être fait un peu peur. L'idée, avec ce dernier petit slide pour clore cette seconde partie, c'est de dire: il ne faut pas trop en faire. J'ai voulu marquer le coup, j'ai un peu appuyé dessus. C'est un peu l'effet Mac Donald : Mac Donald ce n'est pas bon, c'est un peu trop salé, ce n'est pas bon pour la santé. On le sait tous, on continue à y aller, on n'est pas tous morts et la terre a continué de tourner. Il ne faut pas trop s'alarmer. Il faut juste prendre conscience de ce qui se passe et se dire là il y a quelque chose.

Si on reprend un petit peu tout ce qu'on s'est dit : quand j’ai commencé, internet était vraiment commode pour faire plein de choses, pour découvrir des nouvelles choses. J'ai commencé à entasser beaucoup de données, tout ce que je fais tous les jours, même ce qui ne dépend pas de moi, je crée énormément de donnés. Tout ce paquet de données est très intéressant, je peux en faire des choses mais il faut que je le maîtrise. Par contre il y a un problème, il y a des gens qui ont compris que je mettais ce paquet de données, quelque part, et ils ont fait en sorte que ça vienne chez eux et aujourd'hui les analysent. Pour l'instant ce n'est pas très grave, c'est assez rigolo, ça peut même être pratique par moment, ça me rend service de toutes façons, mais au bout d'un moment ça peut devenir sérieusement problématique. Il faut commencer à prendre conscience de ça.

Il y a des tas de gens qui parlent bien de problèmes de données personnelles, etc, je ne pense pas être la meilleure personne pour ça. Par contre là où je peux apporter quelque chose en plus, c'est que ça fait un moment que je réfléchis à des alternatives, que je travaille dessus, moi parmi beaucoup d'autres. Aujourd'hui ce qui peut être intéressant, c'est ce que je disais au début, c'est de voir comment on peut se réconcilier avec internet, comment on peut se réconcilier avec le web. C'est de réfléchir un peu à ce qu'on fait maintenant. On a vu qu'il y avait un problème. C'est bien. Il y a eu le temps du constat. J'ai suivi des conférences de gens très bien comme Benjamin Bayart, etc, qui ont fait un constat qu'il y avait un problème. Ils ont même déjà participé aux solutions à travers leurs projets personnels, etc. Ensuite il y a eu le temps de l'analyse, comprendre bien comment ça se passe, pourquoi ça se passe, c'est un peu ce qu'on vient de faire là. Maintenant est venu le temps des solutions. Voir comment on peut faire pour faire en sorte que ça se passe mieux. Ensemble on va commencer un peu à réfléchir à quelles solutions on pourrait trouver.

Ce qu'on a vu c'est que les magiciens ce qu'ils faisaient c'est qu'ils accaparaient toutes nos données parce qu'on venait chez eux, ils nous faisaient une grande porte d'entrée dans laquelle on pouvait passer, et qu'on déposait toutes nos choses et qu'ils nous rendaient ça très commode et que c’était vraiment sympathique. Ce qu'il faut essayer de comprendre c'est comment ils arrivent à faire ça. On l'a vu c'est qu'ils recrutent déjà beaucoup de gens, ils montent de grandes équipes, ils s'organisent très bien pour faire ça. Ensuite quel est le moyen, je dirais la matière première pour pouvoir constituer ça ? En fait ils vont utiliser des ordinateurs, des gros ordinateurs, ils vont même les multiplier, ils vont même les connecter entre eux pour faire l'équivalent d'un ordinateur gigantesque. Ils vont même en mettre à plusieurs endroits de la planète pour qu'ils communiquent, et donc ils vont prendre le contrôle de ces ordinateurs, ils vont les maîtriser, ils vont dire comment ça se passe et du coup, à cause de ça, ils peuvent donner les règles du jeu. C'est eux qui peuvent décider si on est profilé, c'est eux qui peuvent décider si nos données sont vendues, c'est eux qui font ce qu'ils veulent.

Si on commence à creuser, d'ailleurs peut-être que dans la salle il y a gens qui commencent à avoir une idée. Est-ce que quelqu'un aurait une idée sur comment on pourrait faire pour résoudre ce problème ?

Public : S'auto-hégerger.

Frank : Du coup tu me coupes un peu l'herbe sous le pied. J'allais utiliser ce terme dans pas longtemps, mais en gros l'idée, il a parlé d'auto-hébergement. En fait l'auto-hébergement c'est quoi ? C'est se réapproprier les machines. Oui ?

Public : Intervention inaudible

Frank : Désolé, je vais arrêter un peu sur les questions parce que je vais d'abord finir la conférence.

Public : Intervention inaudible

Frank : En fait il y a encore une partie. Je vais essayer d'aller vite on va passer rapidement aux questions.

En gros l'idée c'est de se réapproprier les machines. Quoi faire ? La chose qui est intéressante c'est de se réapproprier les machines. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire avoir son propre serveur chez soi. Ces grosses machines elles ont un nom, elles s'appellent serveurs. Pourquoi serveurs ? Parce qu'on applique toute une tambouille dessus, donc il y a un chef en cuisine, des gros calculateurs qui font une tambouille dessus, et ensuite une autre grosse machine va venir prendre le résultat de cette tambouille et va le livrer à quelqu'un qui est assis à une table, nous en fait derrière notre ordinateur. Donc on parle de serveur.

Du coup l'idée c'est de récupérer ces serveurs et de les mettre chez nous.

Là j'y viens. Cette pratique de récupérer le serveur s'appelle l'auto-hébergement. Là j'ai volontairement choisi un pictogramme de petite maison, parce que si vous vous souvenez de l'espace privé tout à l'heure de Google, là en fait rien ne nous empêche de créer notre propre maison et de s'y installer et de remettre tous nos services dessus.

Donc ça se traduit comment ? Comment on va retrouver ce serveur chez nous, parce que ça fait un peu peur. On parlait d'une grosse machine, là on se retrouve avec une petite machine, tout de suite ça fait un peu peur. Mais en fait pas du tout. Aujourd'hui il y a des toutes petites machines qui existent, qui ne consomment presque rien, qui sont branchables, qui sont alimentables juste avec un câble USB, qui ne font pas de bruit, qui permettent d'avoir un petit ordinateur chez soi qui va pouvoir accueillir nos futurs services web. De la même manière on a déjà en fait ces machines chez nous, on ne s'en rend pas forcément compte, si vous avez une console de jeux vidéos qui est branchée sur internet, quelque part elle pourrait faire office de machine de cette façon. Si vous êtes en France et vous avez une box pour vous connecter à internet, vous avez déjà une machine de ce type. Donc les machines existent déjà, c'est assez facile à brancher, chez nous, et ça marche déjà. Ça c'est le premier point, je dirais la partie hardware, la partie solide, est déjà résolue, est déjà en place.

La bonne nouvelle c'est que la partie logicielle aussi existe. Là vous voyez une dizaine, quinzaine de projets qui existent déjà et j'en ai oublié beaucoup, qui permettent de dire: les services que j'avais avant sur Facebook, Google, Twitter, etc, qui me sont si pratiques, dont je ne peux pas me passer, moi je ne peux pas m'en passer aujourd'hui, et bien ces services je peux les retrouver sur mes machines. C'est là que ça devient intéressant. Si on reprend le problème initial, en fait, si on restait à la partie deux, la seule solution possible c'est de sortir d'internet pour pouvoir éviter tout ça. Aujourd'hui sortir d'internet ça demande beaucoup de courage et ça demande presque de se marginaliser, c'est une alternative qui est très dure à choisir. Qui est respectable, par exemple moi je n'ai pas réussi à la choisir, je me suis dit il faut que je trouve quelque chose d'intermédiaire, quelque chose qui puisse me satisfaire. Heureusement il y avait déjà des gens qui travaillaient dessus et donc j'ai pu me joindre à eux et monter moi-même des projets en rapport.

Qu'est-ce ça permet ? Si on reprend tout ce qu’on s'est dit. Sur internet je peux déposer beaucoup de données ça revenait à inventer le théâtre de ma vie sur internet. Dans la deuxième partie on a vu qu'il y avait des gens qui ont su très bien jouer de ça, qui nous ont un peu mystifié et qui ont pu en faire en sorte que le théâtre de ma vie je le dépose chez eux. Là ce qu'on a vu très brièvement, j'aurais voulu un peu plus détailler, mais apparemment vous êtes tous friands de questions, c'est que tous ces gens qui nous ont mystifié l'ont fait parce qu'ils avaient des grosses machines sur lesquelles ils nous ont attirés. Ce qu'on peut faire aujourd'hui c'est reprendre le lopin de terre qu'on avait mis chez eux et le mettre chez nous. Internet est extensible à l'infini donc on peut très bien mettre autant de chez nous qu'on veut chez nous. C'est assez rigolo comme expression, ce qui veut dire que là vous retrouvez tout le théâtre de votre vie dans votre maison.

Ce qui est très intéressant aussi, c'est que là aujourd'hui vous êtes aux Rencontres Mondiales du Logiciel libre, donc vous êtes venus rencontrer des libristes et c'est une communauté qui est superbe. Pourquoi ? Parce que c'est une communauté de bâtisseurs. Ça tombe bien on va faire des maisons, on a une communauté de bâtisseurs. Quand ils voient un problème, d'abord ils le constatent, ensuite ils l'analysent et ensuite ils proposent une solution, ils le résolvent. Leur solution c'est ce que vous venez de voir, c’est la liste des logiciels, l'échantillon des logiciels disponibles pour installer sur votre propre serveur. Par contre tout ça pour vous c'est nouveau, pour eux c'est récent. Tous ces logiciels ils viennent d'arriver et ils ont encore besoin de gagner en maturité. Ils sont encore aux balbutiements, ce sont leurs premiers pas et ils sont souvent faits, pas toujours, ils sont souvent faits par des gens bénévoles ; ils travaillent le soir et le week-end dessus. Quelques-uns sont portés par des sociétés et encore ce sont des jeunes start-up, ce ne sont pas des grosses machines. Tout ça pour dire qu'aujourd'hui ils ont besoin de votre aide.

Tous ces logiciels d'auto-hébergement sont des logiciels libres. Je ne vais pas revenir sur ce que c'est, vous pouvez voir tout au long de ce festival, il y a des tas de gens qui vous expliqueront encore mieux que moi. En gros ce sont des logiciels sur lesquels on a complètement confiance, parce que le code source, la magie qu'il y a derrière, cette fois-ci elle est décrite. Ils expliquent comment ils font leurs tours de magie. Du coup on peut leur faire confiance parce qu'on comprend ce qui se passe.

Par contre tout ça c'est en balbutiements et maintenant l'idée est de savoir comment on peut les aider. Comment vous qui n’êtes pas forcément technicien, si vous êtes technicien vous savez déjà comment les aider, mais pour vous qui n’êtes pas technicien, je vais dire rapidement comment vous pouvez les aider.

La première chose c'est d'utiliser le logiciel. Pour l'instant c'est tout nouveau, ça fait un peu peur à certains mais il n'y a aucune raison, il faut commencer à s'en servir, être prêt à passer certaines barrières, c'est-à-dire avoir ce serveur chez soi, installer le logiciel chez soi. Ça prend du temps. Un week-end, plutôt que de repeindre la barrière du jardin, ça peut être de dire je vais installer mon propre serveur avec mes propres données. Ça permet, quand on utilise le logiciel, de faire des retours parce que nous quand on développe des logiciels, moi j'en fais partie de ces gens, quand on développe des logiciels, on a un peu la tête dans le guidon. Avoir vos retours, savoir ce qui serait mieux, ça aide toujours parce qu'on n'a pas toujours le recul nécessaire pour faire en sorte que ce soit bon.

Vous pouvez rapporter les bugs. Les bugs on ne les voit pas toujours. C'est très utile de recevoir des bugs.

Vous pouvez écrire la documentation. Une fois que vous avez passé la barrière, les premières difficultés pour utiliser le logiciel, vous pouvez à votre tour expliquer aux autres comment utiliser le logiciel.

Vous pouvez traduire. Aujourd'hui l'anglais, la langue la plus courante, enfin celle dont on a l'impression qu'elle est la plus courante en tous cas, mais aujourd'hui, je ne connais pas les chiffres, il n'y a probablement pas la moitié de la planète qui parle anglais. Donc c'est utile si vous connaissez une langue autre que le français et l’anglais, je parle pour nous en France, mais il y a des projets qui sont portés par des anglophones purs, vous pouvez les aider en traduisant, en donnant l'accès à ces logiciels au plus grand nombre.

Vous pouvez faire des dons. C'est plus pour les gens qui sont bénévoles, ça les aide toujours. Ça leur permet de s'acheter une bière le week-end en plus, ça fait toujours plaisir et ça motive bien. Quand on fait des logiciels libres on a besoin un peu d’être porté aussi et ça ne fait jamais de mal d'avoir un petit don.

Enfin le dernier point, tout ça si vous le faites, il faut le faire bien. Comme c'est nouveau, comme ça chamboule pas mal de choses qui sont en place, les gens en ont parfois un peu peur et ont vite fait de dénigrer ces logiciels. Un moyen de les empêcher de dénigrer, c'est de décrire, d'aider. Un moyen de les aider c'est quand vous faites des choses, les faire bien, pour donner une bonne image et les gens ne pourront pas les critiquer.

Le point que j’oubliais, qui est pourtant le plus important, c'est prêcher la bonne parole. Tout ce que je viens de vous dire là, si ça vous a convaincus, essayez de le reprendre, de vous le réapproprier, de creuser le sujet parce que je ne vous ai montré qu'un tout petit bout de l'iceberg, le problème des données personnelles est vraiment très vaste et compliqué, mais à la fois super intéressant, super motivant et super excitant. Si ça vous intéresse, reprenez un peu tout ce que je viens de dire, si vous ne voulez pas perdre trop de temps, prenez les arguments phares que j'ai mis ici par exemple ou que vous trouvez dans une autre conférence qui vous semble plus adaptée et ensuite répétez-le, essayez d'en parler aux autres pour qu'ils prennent à leur tour conscience de ce qui se passe.

En fait tout ça pour dire que si on se met tous ensemble, qu'on porte un peu cette nouvelle alternative, on va pouvoir enfin réutiliser le web, en reprofiter. Si on peut reprofiter du web sereinement, on va pouvoir se remettre à partager sereinement, on va pouvoir se remettre à produire des contenus sereinement, on va pouvoir se remettre à se rencontrer sereinement. On va pouvoir avoir une vie plus exaltante. Si on se met tous ensemble et qu'on essaye de faire progresser ces logiciels, ces alternatives, ou si vous trouvez d'autres alternatives, ça va nous permettre de nous réconcilier avec notre ami le web. Globalement le web maintenant ça concerne la planète entière donc quelque part vous allez pouvoir participer à un monde meilleur.

Je vous remercie pour votre attention et je suis maintenant à l'écoute de vos questions.

Applaudissements

Intervention : S'il y a des questions, est-ce que vous pouvez simplement répéter les questions ?

Frank : D'accord !

Intervention : Déjà si on répète les questions c'est parfait.

Public : Est-ce que vous estimez que vous devez avoir un groupe de développeurs qui se consacrent entièrement à ce projet à temps plein ? Comment un modèle économique peut être prévu à ce niveau-là, pour qu'en fait on puisse avoir confiance dans cette plate-forme, pour qu'elle se développe, pour qu'on puisse encore dans dix, vingt ans quand les ordinateurs auront complètement changé, ça s'est adapté.

Frank : Il y a deux questions si j'ai bien compris. La première c'est "est-ce qu'il faut des développeurs à temps plein pour pouvoir construire ces alternatives" et la deuxième c'est "comment trouver un modèle économique viable pour ces alternatives".

Donc la première question... il y avait d’autres aspects ? La première question c'est oui je pense qu'idéalement il faudrait des gens à temps plein, parce que comme je l'ai dit ce sont des gens brillants qui construisent les grands acteurs du web et en plus ces gens, ce qui est bizarre c'est que souvent ils ont de bonnes intentions, même eux on les retrouve dans la communauté du libre, etc. Oui pour pouvoir à un moment suivre, être au niveau de ceux-là, il faut des gens à temps plein.

Je connais bien le sujet parce que j'ai deux types de projets là-dessus. J'ai un projet que j'ai monté de manière complètement bénévole que je fais le soir et le week-end, ce par quoi j'ai commencé et ça m'a amené à monter un projet de start-up. Cette fois-ci je me pose effectivement des questions, comment trouver un modèle économique qui est respectueux de l'utilisateur et qui en plus permet de récupérer des moyens pour construire des alternatives viables et intéressantes. Pour le modèle économique qu'on a trouvé... Déjà on établit la confiance en disant que le logiciel est libre et open source, ça c'est vrai aussi pour nos concurrents qui sont ownCloud par exemple, c'est de dire que si on sait ce qui se passe avec le logiciel, on peut le contrôler. En plus du coup si on sait ce qui se passe, ça veut dire qu'on peut l'installer chez nous. Ça veut dire qu'à un moment on peut dire je le mets chez moi. Pour gagner de l'argent, ce qu'on peut faire, ce que nous on a trouvé comme idée la plus simple pour commencer, c'est de proposer un espace d'hébergement, un service, et dire : « si vous, vous ne voulez pas prendre le temps d'installer quelque choses chez vous, vous pouvez venir vous héberger chez nous ». Pourquoi est-ce que nous on ne ferait pas de bêtises ? Pour deux raisons. Parce que déjà on fait payer donc le business model est clair, il n'y a pas d'effet induit. C'est un petit peu comme quand vous achetez des pommes bio par exemple, elles sont sans pesticides. Avant on vous vendait des choses avec pesticides, maintenant on vous les vend sans pesticide, ça coûte peut-être un peu plus cher, mais en tous cas au moins vous êtes serein.

La deuxième façon de faire c'est de donner tous les moyens aux gens de partir. À partir du moment où les gens peuvent partir, s'il y a un scandale à la Prism qui arrive sur nous par exemple, ou même chez ownCloud, et bien nous ne survivrions pas, parce que tout de suite tout le monde va s'en aller et va chercher à l'installer chez lui. Quelque part on se met nous-mêmes les limitations pour rester respectueux de nos utilisateurs.

De la même manière pour les réseaux sociaux c'est un petit peu plus compliqué, je pense que les réseaux sociaux ça arrivera plus dans un deuxième temps. On verra avec Prism, diaspora a repris, Diaspora est un des réseaux sociaux que j'ai décrit dans cette présentation, il a repris de l'aile, a été reboosté, donc on verra. Mais je pense que les réseaux sociaux arriveront dans un deuxième temps. Maintenant on parle de cloud, je ne sais pas si c'est un terme qui vous parle, mais en gros avoir son espace personnel, on dit que c'est un cloud. La tendance c'est de récupérer ce cloud vers chez soi. C'est beaucoup plus facile que de créer un réseau social qui est hors des grands acteurs, parce que le réseau social dépend de la masse critique, dépend d'un certaine masse critique et c'est très difficile de le faire démarrer. Tandis qu'un cloud à usage personnel, des applications qui ne nécessitent pas beaucoup d'interactions avec les autres ça fait déjà un point de départ plus intéressant.

Est-ce qu'il y a d'autres questions ? Oui.

Public : Tu parlais de Facebook, notamment du fait que ce ne serait pas mal de quitter un peu tous ces réseaux sociaux pour garder notre autonomie. Ma question est simple, je suis moi-même utilisateur de logiciels libres et défenseur du logiciel libre, comment est-ce que tu fais pour quitter Facebook, par exemple, je parle de Facebook puisque c'est le plus répandu, sans pour autant te couper du monde, puisque tous tes amis, ta famille, moi aussi je précise, sont sur Facebook. J'ai moi-même tenté l'expérience lorsque Google + est arrivé, je me suis dit Google + a l'air un petit mieux fait quand même pour les données et tout, ça s'explique, ils sont peut-être un peu moins revendeurs de données, j'ai essayé d'amener tous mes contacts Facebook à venir sur Google + en leur disant essayez au moins pour voir ! Résultat il n'y a quasi personne qui est venu ! Ça embêtait les gens, ils étaient bien sur Facebook. Diaspora, Movim, etc, sont d'excellents projets, mais j'ai l'impression que les gens sont tellement déjà habitués en si peu de temps à Facebook, qu'ils ne quitteront pas Facebook même si on leur dit Facebook c'est le mal absolu, tant qu'ils n'en auront pas la preuve par A + B, et encore, ils n'arriveront pas à quitter Facebook. Si toi tu veux quitter Facebook, ça implique que tu te coupes du monde.

Frank : La question, je résume très rapidement: c'est comment passer à ces alternatives en quittant Facebook puisqu'il faudrait que tous les contacts suivent avec et du coup ça devient compliqué.

Je suis complètement d'accord avec vous, moi-même je continue à utiliser Facebook, d'ailleurs c'est pour ça que ça me tracasse. Je pense que déjà il ne faut pas limiter tout ce que je viens de dire aux réseaux sociaux. C'est tout ce que vous utilisez. Les réseaux sociaux ce n'est qu'un bout de tout ce que je viens de vous dire.

Le deuxième aspect c'est qu'évidemment ça ne va pas se faire en un an. Ça va prendre du temps. L'idée c'est que ça se fasse petit à petit je pense. En gros, j'ai un peu l'impression de prêcher pour ma paroisse, l'analyse qu'on a faite dans notre start-up, c'est de se dire qu'on va d'abord commencer à rapatrier les applications plus simples qui ne dépendent pas des contacts. Même si vous quittez Facebook, vos contacts vont continuer à parler de vous. Vous pouvez vous connecter sur Facebook et demander à récupérer les données qu'ils ont sur vous, même si vous n’êtes pas inscrit, pour info. Chaque fois que vous allez vous balader sur des sites, chaque fois qu'il y a un bouton like qui apparaît, ils savent que vous êtes allé sur ce site-là.

L'idée c'est de commencer par des applications dont il est beaucoup plus facile de partir, les applications personnelles, la gestion de notes, un agenda, etc, et dire et bien voila on repart de ça parce que là je peux me couper du reste, ça continue à marcher. Et puis après, petit à petit, je me rends compte que je récupère mes données personnelles. Je n'ai plus à droite, à gauche, etc, je les ai toutes au même endroit. Comme on a vu un moment, avoir toutes ses données personnelles c'est quand même vachement pratique. Je peux faire beaucoup de choses. Les données de santé par exemple, je pourrais en déduire des choses pour moi, pour avoir une meilleure hygiène de vie, si j'en ai envie ! Du coup ça devient très intéressant de récupérer ses données. Ce qu'on espère c'est que les gens, nos utilisateurs, déjà il y en a qui viendront juste pour protéger leur vie privée, mais aussi, pour protéger la vie privée, je fais une petite parenthèse, il y a encore d'autres choses à faire, la prochaine conférence en parlera, mais pour la protéger complètement c'est un sacré premier pas de faire ça ! Une fois qu'il récupère toutes ses données, on se rend compte que l'utilisateur peut faire beaucoup plus de choses, donc il sera motivé à rester dessus. Ce jour là, une fois qu'il aura complément changé de paradigme pour ses applications personnelles, ça ne sera pas difficile de dire : il y a une application qui sert à se connecter avec votre ami. Du coup les gens vont commencer à se parler directement et naturellement le switch va se faire, et même pour les réseaux sociaux, ça serait beaucoup plus facile de dire quand il y a quelque chose qui m'intéresse dans Facebook, je sauvegarde cette image dans mon espace, je sauvegarde ce message dans mon espace, ce qu'on ne peut pas faire actuellement, ou de la même manière j'ai mon gros tas de données et j'en pousse quelques-uns sur mon réseau social.

Public : Il faudrait des connecteurs entre le libre et le monde...

Frank : Je pense qu'aujourd'hui il faut faire quelque chose de graduel. Effectivement au début ça peut se faire. Déjà ce qui est complètement exportable, ce dont on peut partir on en part, et après on crée des connecteurs sur ce dont on ne peut pas partir pour commencer à tirer, être un peu entre les deux, quelque chose d'un peu hybride, pour après complètement basculer sur la solution idéale, qui viendra naturellement parce qu'elle apporte plus de choses.

Organisation : Donc je vais simplement dire que Frank Rousseau fait une autre conférence demain matin. Pour les gens qui veulent approfondir vous pouvez venir l'écouter dans le thème Internet et cloud et on va vite laisser la parole à Werner Koch qui attend.

Frank : Merci

Applaudissements

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