2014-09-22

Le président Macky SALL et son Gouvernement ont finalement décidé de franchir la ligne de belligérance pour aller à l’assaut des fonctionnaires ; véritables obstacles à la mise en œuvre du PSE.

Après la bérézina de l’audit de la fonction public, le Ministre de l’Economie, des Finances et du Plan appelle les fonctionnaires à « l’une des ruptures les plus urgentes ». Sur un ton, presque moralisateur, il nous invite à « nous interroger sur la légitimité du poids que nous faisons supporter à la nation toute entière par le biais de la masse salariale que nous inscrivons, année après  année, à un rythme toujours plus croissant dans ce budget ».

Par la magie des chiffres et du nombre, il nous démontre, avec une formule à la fois surdimensionnée et sous-évaluée, que nous sommes seulement 100.540 agents à émarger à la solde, soit moins de 1% de la population sénégalaise pour une enveloppe de 717 milliards équivalent à 46,3% des recettes budgétaires de l’année 2014.

Fatalement, il en infère qu’ « une telle situation ne permet pas une bonne mise en œuvre du PSE qui suppose un effort d’investissement public très substantiel ».

Au titre des marges budgétaire concrètes et immédiatement actionnables et réalisables dès 2015 pour financer son PSE, le Ministre identifie en premier la rationalisation des dépenses publiques, « notamment la maitrise de la masse salariale de l’Etat qui passe par la maitrise du régime

indemnitaire et autres avantages assimilés ».

Ce discours volontairement catastrophiste ne manque de peu d’accuser les fonctionnaires d’être la cause principale du sous développement du pays.

« C‘est comme ça que ça marche! Lorsqu’un peuple est assis sur quelque chose que l’on convoite, on en fait un ennemi! Et ça justifie le pillage » nous disait James Cameron.

La stigmatisation des fonctionnaires, pour maquiller les incohérences d’un régime poussif dans la formulation d’une politique ambitieuse de développement est une fuite en avant. Qui nous parlait de financements excédentaires du PSE à l’issue du groupe consultatif de Paris?

En aucun cas, le poids important de la masse salariale sur le budget de l’Etat ne peut être imputé aux agents publics, rémunérés en contrepartie de leurs prestations de travail.

Tout au contraire, l’accusation du Ministre des Finances, à la quête d’économie budgétaire, n’a aucun fondement. En effet, la masse salariale inscrite dans la Loi de finances initiale de 2014 demeure encore soutenable car située en deçà des ratios de convergence de l’UEMOA (les dépenses de personnel y sont évaluées à 492 milliards pour des recettes fiscales de 1.561 milliards de   FCFA, soit un taux 31,49 % alors que l’objectif communautaire est de 35%).

L’ajustement structurel que le Ministre entrevoit à travers cette déclaration est sans doute une volonté de remettre en cause des acquis sociaux, obtenus de hautes luttes par plusieurs générations de fonctionnaires. Il repose sur des hallucinations d’un gouvernement désargenté (1) par de mauvais choix budgétaires (2).

Fausses thèses sur la masse salariale et le régime indemnitaire

Incohérence dans la gestion des effectifs et de la masse salariale

La première incohérence du   Gouvernement dans la gestion de la masse salariale réside dans sa manipulation politicienne des effectifs de la fonction publique.

Dés son premier message de nouvel an, le Président de la République a pris l’engagement ferme d’un « recrutement dans l’immédiat de 5 500 nouveaux agents dans la fonction publique, dès le début de l’année 2013 ».

Pire,  dans sa communication au cours du conseil des ministres du 11 janvier 2013, il « a exprimé sa forte préoccupation face au chômage massif des jeunes et a insisté sur l’urgence pour le Gouvernement, d’améliorer la condition de cette fraction clé de la population ». La réponse urgente envisagée par le Chef de l’Etat est « le recrutement de 15000 jeunes à Dakar et sa banlieue et de 15.000 autres sur le reste du territoire national ».

Le recrutement direct de ces 35.000 nouveaux agents, sans concours d’entrée ni formation initiale, a été annoncé et opéré en plein cœur d’un audit de la fonction publique qui n’avait pas encore livré ses résultats. En anticipant sur les conclusions du processus de maîtrise de l’effectif des agents de l’Etat, le Gouvernement a clairement relégué au second plan le coût de la masse salariale.

Dès lors, le discours alarmiste sur le poids des charges de personnel est un aveu d’échec d’un Gouvernement qui n’a trouvé de réponses à la crise de l’emploi des jeunes que par la vampirisation des effectifs de la fonction publique et dilatation de la masse salariale.

L’augmentation des indemnités de certains corps

En parlant du poids de la masse salariale et du régime indemnitaire des fonctionnaires, le Ministre des Finances a surtout oublié de situer la responsabilité du gouvernement dans son alourdissement.

En effet, après les avoir exclus, presque manu militari, le Gouvernement a dû s’amender en doublant, en catimini (décret confidentiel), l’indemnité de logement des hauts fonctionnaires (magistrats, inspecteurs généraux d’état, etc.).  Dans le même temps, l’indemnité de “juridicature“ des magistrats a été défiscalisée en contrepartie de la suppression de leurs fonds communs.

Fort heureusement, les syndicats des autres fonctionnaires ont su raison garder en ne réclamant pas leur alignement sur ces mesures dangereuses pour la stabilité du front social.

Mais la plus ridicule indemnité sur laquelle les fonctionnaires sont restés hébétés est celle accordée aux conjoints des diplomates (vivant à l’étranger aux frais d’un conjoint grassement pris en charge par le contribuable sénégalais).

Quid de ces dévoués soldats, enseignants, médecins, infirmiers, sous préfets…en service commandé dans les coins où même les maires préfèrent déplacer leurs cabinets à Dakar ?

La rémunération du personnel politique

Dans ses estimations façonnées à dessein de manière pessimiste, le Ministre de l’Economie et des Finances a délibérément omis de communiquer sur la rémunération très budgétivore du personnel politique.

Dans son enveloppe cossue, le ministre a volontairement passé sous silence le coût de la rétribution des ministres, des ministres conseillers, des conseilleurs spéciaux, des chargés de missions qui inondent les salons dorées de la présidence, les allées de la primature et les couloirs des ministères ?

L’argentier de l’Etat aurait certainement dû nous dire quelle est la part de lion consentie au personnel et aux dirigeants des Agences dans son algorithme de la masse salariale ?

Monsieur Amadou BA a-t-il inclus dans ses statistiques d’épicier les émoluments et ainsi que les faramineux avantages des députés, des conseillers économiques et sociaux, des maires, des présidents de conseils départements alignés, pour la bonne cause, au rang de ministre… ?

Enfin, pourquoi le Gouvernement a-t-il abandonné le projet de loi sur le cumul des mandats qui visait à éviter la double rémunération des mêmes acteurs politiques souvent pour un travail non effectué ?

Les fonds politiques et le train de vie dispendieux de l’Etat

En faisant une communication agressive sur la rémunération des agents de l’Etat, le Gouvernement cherche à réorienter le débat sur le train de vie dispendieux de l’Etat et sur les fonds politiques. Dans une remarquable contribution intitulée sur “Observations sur le Projet de Loi des Finances Rectificatives 2014 Révisée“, Ibrahima SENE du PIT mettait le doigt sur « le budget de fonctionnement de la Présidence de la République qui augmente de  7  milliards,  dont 1 milliard de dépenses de fonctionnement et 6 milliards  en dépenses de transfert  où sont logés les fonds secrets ». Il ajoute que « le Ministère des Affaires Etrangères voit ses dépenses de personnel, augmenter de 221 millions, dont l’indemnité spéciale 500.000 par  mois accordés aux  époux des Diplomates ». Apprécier la gouvernance sobre et vertueuse!

Mauvais choix budgétaires !

Les amnisties fiscales et les renonciations à des ressources budgétaires

Si les charges de l’Etat sont de plus croissantes, la seule alternative pour y faire face c’est d’assurer leur couverture par des ressources disponibles en quantité suffisante.

Au contraire, le Gouvernement décide, à tour de bras, d’amnistier des débiteurs d’impôts ou de renoncer à des recettes votées par les représentants du peuple, sur des bases illégales et non transparentes.

Au mois de juillet 2013, la dette fiscale de la presse (plutôt celle des patrons de presse !), estimée à 10 milliards,  a été passée par pertes et profits alors qu’elle est constituée principalement de la TVA collectée sur les clients et des impôts et taxes retenus à la source sur les salaires des employés. Un détournement de deniers publics béni par le Gouvernement pour s’attirer de bonnes grâces de la presse.

Pire, le journal “Vision Mag“ dans sa livraison de juillet 2014 (édition n°2, page 18), nous informe qu’au mois de mai 2014 pour « un redressement fiscal d’un montant de 13 milliards, la CBAO a été invitée à s’acquittée de la modique somme de 2 milliards » pour solde de tout compte. Ainsi le Ministre de l’Economie et des Finances a renoncé « par une décision d’opportunité » à 10 milliards au profit de la banque la plus prospère du Sénégal en toute illégalité.

Mai la plus grave mesure de renonciation à des recettes budgétisées est la suppression de la taxe sur les appels entrants en mai 2012. En effet, le Chef de l’Etat a pris le décret n°2012-500 abrogeant celui n°2011-1271 du 24 août 2011 instituant un système de contrôle et de taxation des communications téléphoniques internationales entrant). Initialement, la surtaxe sur les appels entrant devait rapporter à l’Etat des recettes parafiscales de l’ordre de 50 milliards par an.

Plus tard, le Directeur général de l’ARTP reconnaitra, à mots couverts, que « l’effet de baisse  qui était attendu par le gouvernement, avec l’abrogation du décret sur les appels entrants n’a pas été atteint parce que les opérateurs ne sont pas revenus au niveau des prix pratiqués antérieurement.»

Sous le registre des mesures renoncement à des recettes, on peut citer celle concernant la TVA sur le sucre décidée par le Ministère de l’Economie et des Finances.  L’application de cette mesure, depuis avril 2012, s’est traduite par des pertes de recettes fiscales estimée à plusieurs milliards.

Enfin, l’Etat du Sénégal a signé des protocoles d’accord avec certaines entreprises minières au sujet de la contribution spéciale sur les produits des mines et carrières (5 milliards) pour diminuer le taux de ce prélèvement contesté par les entreprises du secteur.

La fuite en avant dans la maîtrise des dépenses fiscales

En 2007, le Gouvernement avait lancé une ambitieuse étude portant les dépenses fiscales qui devait évaluer le coût et l’impact économique et social des exonérations fiscales en vue d’optimiser le rendement fiscal, d’améliorer la performance et la transparence dans la gestion des finances publiques.

Le rapport issu de cette étude établit que la valeur en impôt des dépenses fiscales accordées par l’Etat du Sénégal à des entreprises (particulièrement des multinationales étrangères) s’élève à 378 milliards FCFA en 2008 contre 326 pour l’année 2009.

L’analyse de l’impact économique  de ces mesures dérogatoires a donné des conclusions peu satisfaisantes. De même, en termes de performance, l’analyse montre que les investissements réalisés ne seraient pas à la hauteur des importantes mesures d’allègements fiscaux accordées aux entreprises concernées. Quant à la productivité, elle demeure largement en deçà des résultats escomptés.

La principale perspective qui se dégageait de cette étude sur les dépenses fiscales est naturellement leur rationalisation en vue d’améliorer l’efficacité du système fiscal via l’élargissement de l’assiette, le renforcement de l’équité, etc.

Mais paradoxalement, le Gouvernement, à l’occasion de la réforme du CGI, a préféré purement renoncer à la taxation de ces niches fiscales en mettant en place un prétendu « droit commun incitatif » dont l’efficacité reste à démontrer après deux années d’application.

Autrement dit, le Gouvernement continue de fermer les yeux sur les dépenses fiscales qui offrent annuellement à des sociétés étrangères plus de 300 milliards de remises d’impôts.

Conclusion

En définitive, le chef de l’Etat est le seul comptable des échecs de l’Administration tout comme il est l’unique bénéficiaire de ses succès. Il dispose seul de la prérogative constitutionnelle de définir la politique de la nation dont les fonctionnaires ne sont que des exécutants. Il nomme discrétionnairement aux emplois. Dès lors, ils ne sauraient être comptables  des insuffisances de leur chef.

A l’occasion du prétendu audit physique et biométrique de la fonction publique, le Président exprimait, sur un ton presque colérique, sa ferme volonté « de mettre de l’ordre dans l’administration (…) en payant ceux qui travaillent, et non ceux qui ne connaissent même pas le chemin de leur bureau …».

Ironie de l’histoire, la chasse aux agents fictifs n’a révélé que 1.017 agents en “contentieux“ sur les 134.400 agents recensés soit 0,8%.

Inévitablement, l’ampleur du revers justifiera la défenestration, pour insuffisance de résultats, des maîtres d’œuvre de cette diversion: Mansour Sy ci-devant ministre de la fonction publique et Khassoum Wone ex directeur général de l’ADIE.

L’occasion historique d’un véritable diagnostic sur l’adéquation entre les besoins de l’Administration sénégalaise et les recrutements opérés, d’une réflexion profonde sur les modes de recrutement et sur le système de rémunération des agents de l’Etat des agents de l’Etat a été manquée à l’occasion de l’audit des fonctionnaires.

Au demeurant, le discours creux du Ministre de l’Economie sur la masse salariale et le régime indemnitaire des agents de l’Etat doit être perçu comme une mesure de diversion pour mieux dissimuler son intention de remettre en cause la baisse de la fiscalité.

Le Gouvernement, à travers le projet de loi rectificative des finances de 2014, est largement revenu sur la baisse de la fiscalité sur les salaires en augmentant les taux d’imposition des salariés moyens et en abaissant la réduction d’impôt pour charges familiales.

En termes arithmétiques, dans les trois mois à venir, 10,1 Milliards de prélèvements supplémentaires seront opérés sur les salariés pour réparer les erreurs de calcul de l’argentier de l’Etat.

Face à ces provocations, les syndicats des travailleurs, en particulier ceux des fonctionnaires sont prés à engager le combat.

Elimane POUYE

pouyeelimane@yahoo.fr

Chargé des revendications

Syndicat Autonome des agents des Impôts et des Domaines (SAID)

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