2015-08-11

Alors que le reste du pays considère l’hivernage comme une bénédiction du Ciel, après 9 mois de sécheresse, au quartier Aladji Pathé, dans la Commune de Keur Massar, si les fortes pluies qui se sont abattues, ce week-end, ne sont pas une sorte de malédiction, c’en a, en tout cas, tout l’air. Les pieds dans l’eau, les habitants de ce populeux quartier examinent la pluie comme la source de leurs malheurs, qui durent depuis quelques années, maintenant.

Actusen.com s’est promené dans cette zone d’inondations pour percer le mystère d’un calvaire que vivent les populations de cette partie de Dakar, la capitale sénégalaise. Le tableau est ombrageux : les routes inondées, sont impraticables ; les réseaux électriques des rares habitations alimentées sont endommagés ; les fondations des maisons en construction détruites. L’orage qui a suivi, a emporté des poteaux…

Les populations crient au secours, pendant qu’il est encore temps. Et demandent un Conseil des ministres décentralisé en banlieue pour l’électricité, l’eau potable et….la sécurité. Reportage dans une communauté où l’existence collective est en lambeaux !

Recrues de fatigue, chancelant entre espoir et désespoir de voir les autorités prendre en charge leurs craintes, les populations du quartier Aladji Pathé de Keur Massar retiennent leur souffle. Que leur réserve l’hivernage 2015 ? Pour le moment, personne ne sait, mais (…). Après l’année très pluvieuse de 2013 qui a vu beaucoup de sinistrés déplacés par le Gouvernement vers le quartier Taxfeex à Niakhourab dans la Commune de Sangalkam, les fortes précipitations du week-end dernier font craindre le pire, comme ce fut le cas, il y a quelques années.

Mais le quartier Aladji Pathé, qui porte le patronyme de son fondateur, ne dira peut-être pas grand-chose à certains internautes. Pourtant, nous sommes bien à Dakar. Dans sa banlieue lointaine. Situé au sud-est de la Commune de Keur Massar entre les Parcelles assainies et Jaxaay, ce quartier est tristement devenu célèbre, à cause des inondations qui ont y fait des ravages depuis le retour des fortes précipitations de 2005 à Dakar, après des décennies de sècheresse.

Voilà maintenant une décennie, hivernage pour hivernage, qu’il ne se passe pas une Saison des pluies sans que les journaux n’évoquent dans leurs colonnes les dégâts pluviométriques causés dans cette localité et que les télévisions ne passent en boucle, les images hideuses de «ces» victimes d’inondations.

Pour s’y rendre, en cette saison des pluies, le calvaire commence pour le visiteur au marché de Keur Massar (vers la station Shell à l’entrée de la Commune), où les rares véhicules, qui acceptent de faire encore le trajet, sont stationnés. Les habitants de Aladji Pathé, qui font, chaque jour, des kilomètres, pour s’y ravitailler, embarquent à bord des voitures.

Dans le véhicule, à bord duquel a embarqué Actusen.com, règne une chaleur suffocante. La voiture attend toujours des passagers, pour pouvoir enfin quitter le garage de circonstance. L’adrénaline monte. Les nerfs sont tendus. Les «voyageurs» râlent et ruminent leur colère. On devient irrité et prompt à réagir à la moindre inattention du prochain.

Une dame qui vient de monter à bord, piétine une jeune fille assise sur le siège qui fait face à la portière. Habillée sexy malgré le climat et l’intempérie, la jeune fille n’a pas apprécié que ses chaussures (bottes) soient salies par la dame (la cinquantaine à peine) qui avait trainé les pieds dans la boue. S’ensuivit un échange de propos aigres-doux. Mais les deux protagonistes sont vite calmées par les bonnes volontés.

Le chemin de Croix pour rallier Aladji Pathé

Alors que les autres rient sous cape, après le dialogue de sourds qui vient d’être engagé, c’est finalement le top départ. Après un quart d’heure de manœuvres pénibles, le véhicule arrive enfin à Aladji Pathé. Sur place, des flaques d’eau. Les routes sont inondées et coupées. Mais cela ne suffit pas pour décourager autant les enfants.

Jouant au ballon, ils ignorent tout du danger qu’ils encourent. «Nous sommes en vacances. Et nous jouons au ballon, malgré la pluie», indique un garçon d’à peine 12 ans. Habillé d’un maillon de Barcelone avec la Mention «Messi» floqué du N°10, des chaussures en plastique, le visage recouvert de boue, le môme vient chercher sous nos pieds un ballon dégagé de l’autre camp et qui patauge dans les eaux stagnantes.

Pendant ce temps, d’autres jeunes de son âge jouent au babyfoot devant une boutique qui tient pignon sur rue. Les gouttes d’eau, qui continuaient à tomber, ne les découragent point. Ils poursuivent leur jeu. Comme si de rien n’était. Mais leurs parents ont d’autres préoccupations. «Le Ciel a commencé à ouvrir ses vannes plus tôt que prévu. Nous sommes sous la hantise des eaux de pluies. L’année risque d’être pluvieuse», craint le chef du quartier «Serigne Mansour Sy», Babacar Diop.

Même si les dégâts pluviométriques sont moindres, pour le moment. «Sant Yalla…» dit-il (Ndlr : Dieu merci). Tout autour de la maison du chef de quartier reconnaissable à distance par un drapeau qui flotte au-dessus, des herbes poussent à une allure exponentielle. Et pour ne rien arranger, le bus de liaison L56 est retiré du circuit, pour mauvais état de la route, au grand dame des populations. «Nous marchons des km pour rallier certains secteurs de Keur Massar. Le bus que nous empruntions, est retiré du circuit», ruminent, pêle-mêle, des riverains.

Pour s’éclairer, Aladji Pathé se branche clandestinement à partir des poteaux électriques et flirte avec le pire

Au quartier Aladji Pathé de Keur Massar qui compte 19 sous-quartiers, les inondations ne sont pas les seuls fléaux qui hantent le sommeil des populations. Aux sous-quartiers Serigne Mansour Sy, tout comme à Diokoul, Sant Yalla 2, Darou Salam, Madiabel et Dabakh pour ne citer que ceux-là, l’accès à l’électrification est un véritable parcours du combattant.

«Sur 265 villas, moins de 50 sont connectées au réseau électrique», confie le chef de quartier, Babacar Diop. Si, officiellement, moins de 100 habitations ont accès à l’électrification, il n’en demeure pas moins que les habitants se débrouillent, à leur manière, pour s’éclairer la nuit. Et pour y arriver, ils ne cherchent pas l’explication au Ciel. «Les branchements illicites sont monnaie courante ici», reconnait notre interlocuteur qui poursuit : «les relations ont fait de sorte qu’on ne peut pas laisser son voisin dans le noir, si on sait qu’on peut lui venir en aide».

Babacar Diop n’a pas tort. Sur les poteaux, ce sont des dizaines de fils électriques qui se superposent. Allant dans tout les sens, ils servent à alimenter les autres concessions, sans passer par la voie légale. «Les procédures sont très lentes et on ne peut vivre sans courant», confie  la dame Nafi Bâ, avec qui nous avons partagé le véhicule. Très loquace,  elle narre le «drame » qu’elle vit  avec ses enfants depuis que son mari et elle ont déménagé dans cette localité.

Nafi Bâ : «mes enfants ne viennent plus chez moi, à cause du manque d’électricité»

«Ma famille et moi habitions le quartier de Boune. Mais, depuis deux ans, nous avons déménagé à Aladji Pathé. Sans courant ni eau potable, nos enfants refusent de regagner le nouveau domicile. Ils sont restés avec les voisins là-bas. Et quand ils passent nous rendre visite, ils sont pressés de rentrer. Vers 17 heures, ils nous quittent, disant aller suivre un feuilleton».

Ses propos sont confirmés par son époux, Babacar Ndiaye trouvé en train de bécher un jardin de légumes dans une maison en construction, non loin de chez lui. Suant à grosses gouttes, hilaire à la main, le vieux Babacar Ndiaye se désole de la situation. «C’est triste. Depuis 2 ans, nous ne pouvons pas avoir de l’électricité. Et ce n’est faute d’avoir fait la demande», dira-t-il.

Mais le mal est beaucoup plus profond chez ce père de famille, parce qu’il habite très loin de la maison la proche qui est alimentée en électricité. Les maux occasionnant les mêmes récriminations, Yancoba Diédhiou de Sant Yalla ne décolère pas, non plus. «On ne vit pas ici. Depuis bientôt 10 ans, je n’ai ni électricité ni eau potable», se plaint-il, dans un port vestimentaire presqu’en lambeaux.

L’eau potable, Aladji Pathé ne connaît pas ; ici, les puits gardent la cote

Après l’électrification, c’est au tour de l’adduction au réseau hydrique de troubler le sommeil des populations du quartier Aladji Pathé. En effet, Aladji Pathé n’est pas connecté au réseau de la Société des eaux (Sde). «Comme jadis, c’est chez les voisins que nous payons de l’eau potable pour boire», renseigne, dépitée, Nafi Bâ. «La bassine d’eau nous revient à 35 F Cfa et le sceau à 25 Cfa», renchérit sa voisine d’à-côté, qui s’afférait dans les tâches ménagères.

Dans le périmètre du quartier, le constat renseigne à suffisance sur la réalité du terrain. Sur les rues et ruelles, des pompes sont visibles dans les coins et recoins. Les puits aussi. «C’est notre moyen de trouver de l’eau. Si les pompes s’assèchent, nous nous tournons vers les puits comme au bon vieux temps», regrette Nafi Bâ. Comme dans les bornes fontaines, d’autrefois, ça chauffe entre jeunes filles au sujet de la première à se servir.

Sous la fine pluie à notre passage sur les lieux, le ton hausse entre deux d’entre elles dont la moyenne d’âge est comprise, à première vue, entre  11 et 12 ans. Elles sont remises à l’ordre par une dame qui passait. Le clame revient. Chacun sait désormais ce qui lui reste à faire.

Ici, le banditisme culmine à une vitesse exponentielle

Ni eau ni électricité, Aladji Pathé ressemble à ces quartiers d’une autre époque, où le banditisme se développe à grande échelle. «Le manque d’électricité nous cause énormément de problèmes», souligne Babacar Diop. Selon tous nos interlocuteurs, la véritable source d’insécurité de cette portion de Keur Massar réside  dans ce fait. En effet, les maisons encore en construction ou abandonnées à cause des eaux des inondations précédentes, sont de vrais lieux de repli des agresseurs.

«La semaine dernière, le mouton d’un voisin a été chipé dans son enclos, vers 04 heures du matin», explique le chef de quartier. Hormis les vols, les cas d’agressions violentes sont récurrents. «A une certaine heure, on ne se hasarde pas à circuler dans certains secteurs. Les agresseurs y dictent  leur loi sans tambours ni trompettes…».

Omar Faye, Directeur d’Ecole et délégué de quartier : «un Conseil des ministres décentralisé, c’est possible en banlieue pour…»

Les populations de Aladji Pathé broient du noir, mais refusent de perdre espoir, quant aux politiques du Gouvernement de Macky Sall. «En avril dernier, nous avons rencontré les Services du ministre de restructuration des zones inondées à la mairie de Keur Massar. Ils nous ont promis des canalisations”, se rappelle le Directeur d’Ecole, Omar Faye.

Malheureusement, ajoute ce dernier, “jusqu’à présent rien, alors que le ciel commence à ouvrir ses vannes». Pour Omar Faye, par ailleurs délégué de quartier de Madiabel, les difficultés que traverse la banlieue, doivent pousser les autorités étatiques à organiser un Conseil des ministres décentralisé, soit à Pikine ou à Guédiawaye.

“C’est possible ! Je ne comprends pas que des Conseils des ministres soient organisés dans les régions de l’intérieur, en oubliant la banlieue de Dakar qui connait des situations pires que dans le monde rural», soutient l’enseignant. Un avis largement partagé par plusieurs de ses compatriotes, qui ne savent plus à quel gouvernant se fier.

Gaston MANSALY (Actusen.com)

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