2014-06-02

Il y a quelques jours, lors d’un échange avec de jeunes aspirants entrepreneurs africains, j’avais posé cette question : dans quel domaine aimeriez-vous entreprendre ? Si les réponses obtenues étaient variées, allant de l’Agriculture à l’Habillement, en passant par le domaine culturel, le moyen par lequel ces jeunes comptent réaliser leurs ambitions reste le même : les TIC. Les Technologies d’Information et de Communication. Aujourd’hui, tout le monde veut entreprendre dans le domaine des TIC, parce que Mark Zuckerberg y a réussi, de même que Steve Jobs et, bien entendu, Bill Gates. Les références en Afrique, quoi qu’il en existe en grand nombre, notamment, Herman Chinery-Hesse, Olivier Sagna, Erik Hersman, Verone Mankou, Ory Okolloh, Jonathan Gosier et bien d’autres ; ces références-là ne sont pas celles qui poussent les jeunes aspirants entrepreneurs de nos jours à entreprendre dans le domaine des TIC. Ils veulent être des créateurs de Facebook, de Google ou de Twitter. Ils veulent créer des applications comme Whatsapp, Instagram et Viber. Ils veulent être présents sur la toile et voir des milliers – que dis-je ? – des millions de gens utiliser la plateforme ou l’application qu’ils auront créée. Si leur ambition est de bon aloi, il est, à mon sens, opportun de faire une pause afin de répondre à une question toute simple : POURQUOI ?

Je suis de ceux qui pensent que l’entrepreneuriat est une question de vocation. Tout le monde n’est pas fait pour être entrepreneur. Et, mieux encore, tout le monde n’est pas fait pour le monde des TIC. Plus tôt on s’en rend compte, mieux c’est. J’ai toujours encouragé les plus jeunes à s’intéresser au monde des TIC. A mon petit-frère, par exemple, je ne cesse de parler de l’importance, du pouvoir, de l’ordinateur lorsqu’il n’est pas utilisé pour jouer ou se connecter à Facebook. Je vais jusqu’à l’initier à la programmation, aux différents langages, parce que j’aurais voulu les connaître lorsque j’étais plus jeune, et que j’avais son âge. Si je le fais, c’est bien parce que je sais l’importance qu’ont les TIC pour nous, africains, car je suis moi-même un passionné de ce monde-là. Cependant, je ne saurais encourager tous les jeunes, tous les entrepreneurs à n’emprunter que cette voie, sous prétexte que de grandes innovations sont en train de se faire dans ce domaine, et que de grandes choses sont possibles pour qui sait coder. Non ! Dire cela aux jeunes, c’est restreindre leur possibilité d’action. Oui, Mark Zuckerberg a commencé Facebook dans une chambre. Et oui, Larry Page et Sergey Brin ont fait pareil avec Google. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut absolument faire comme eux pour réussir ! Non, non, et non. Si vous voulez réussir, réussissez à vos propres conditions, pas à celles que vous imposent les autres. Si les TIC ne sont pas votre vocation, allez la chercher ailleurs. Vaut mieux être un éboueur, si telle est votre vocation, que vouloir à tout prix être un entrepreneur, alors que cela n’est pas votre vocation. Tout le monde a un talent ; tout le monde a un potentiel ; mais parfois, certains le gâchent en voulant suivre des voies qui ne sont pas les leurs.

Lorsque je vois des jeunes africains en train de se lancer dans la création d’un Facebook pour l’Afrique, cela m’attriste, car je me dis que ces jeunes-là, malgré leur potentiel, malgré leur talent, n’ont absolument rien compris. Un Facebook pour l’Afrique : pourquoi ? Qu’est-ce que cela va-t-il nous apporter ? Qu’est-ce que cela va-t-il prouver ? Que les africains sont capables de créer un réseau social comme l’ont déjà fait, il y a dix ans, des américains ? Je suis foncièrement, et je le répète, foncièrement, contre cette tendance à vouloir à tout prix faire des versions africaines de ce que l’Occident réalise. Chaque fois qu’une chose naît en Occident, en Afrique, on songe à en faire la version africaine, comme si nous étions incapables de penser à des choses aussi innovantes. Nous nous condamnons à être des ersatz de ces gens, et nous plaignons de ne point être « développés ». Pas étonnant qu’ils ne se sentent pas menacés par nous ! J’ai l’habitude de dire aux jeunes avec lesquels je m’entretiens ceci : si ce que vous voulez faire ne gêne personne, c’est que cela ne compte pas. Laissez tomber.

L’Afrique est incapable de rivaliser avec l’Occident, ou même l’Asie. C’est ce qui se dit urbi et orbi, et nous avons, nous-mêmes, fini par l’intégrer comme une vérité. Face à un occidental, un américain ou un français, la plupart d’entre nous, même étant de véritables génies chez eux, ont l’air bête, parce qu’ils se disent que les autres sont des génies. On a tendance à croire que les plus grands entrepreneurs mondiaux étaient ou sont des gens très intelligents, du moins plus que la moyenne. Or, en réalité, ce sont parfois de véritables idiots, des cons de la première espèce qui réussissent. Et nous, face à cette réussite-là, nous nous trouvons bêtes. Nous ne prenons pas la peine de se demander ce qui a favoriser cette réussite, afin de l’appliquer à nos propres réalisations, mais voulons à tout prix faire comme eux. Pas étonnant que Sarkozy ait dit que « jamais l’homme africain ne s’élance vers l’avenir ; jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin ». Oui, nous l’avons tous fustigés. Mais depuis 2007, qu’avons-nous fait pour prouver le contraire ? Nous, africains, nous mettons dans une position d’intouchables, de gens qu’il ne faut jamais attaquer. Or, lorsqu’il s’agit de démentir, par des actes, ce qui se dit ou s’est dit, il n’y a plus personne.

Il faut savoir que le succès de Facebook, pour revenir à l’exemple de tout à l’heure, réside dans le fait qu’il ait été, et soit, une plateforme innovante. Lorsque Facebook naissait, il n’y avait pas de comme lui dans le monde. A ce moment-là, pourtant, le réseau social My Space comptait plus de 300 millions d’utilisateurs à travers le monde. Mais Facebook est venu tout rafler, parce qu’il a apporté du neuf. Twitter est également venu avec son propre concept qui, même s’il est souvent assimilé à celui de Facebook, reste novateur. A quoi cela nous servira-t-il d’avoir un Facebook africain, lorsque le Facebook actuel est utilisé par plus d’un milliard de personnes ? Pensons avant d’agir ! Pensons avant d’agir ! Pensons !

L’innovation : voici ce que devrait être l’objectif premier de tout entrepreneur, quel que soit son secteur d’activité. Il faut apporter ce qui n’existe pas encore. Le domaine importe peu, tant que cela vient résoudre un véritable problème, répondre à un besoin certain. Lorsque ce que vous proposez vient répondre à un véritable besoin, apporter une solution à un vrai problème, les gens seront toujours prêts à acheter, ou à consommer, c’est selon. Hélas, ce que nous constatons aujourd’hui, c’est que mêmes nos brillants africains, ceux en qui nous pouvions croire pour redorer le blason du continent, tentent, maladroitement de surcroît, d’imiter ce qui se fait déjà ailleurs, sans même essayer, comme le font les asiatiques, d’y apporter une touche originale. J’en prends pour exemple le nombre incalculable de sites d’informations dont compte le Sénégal.

Outre cela, combien d’applications innovantes ont été créées durant les cinq dernières années ? Et lorsque je dis « innovantes », je veux bien sûr dire qui n’existent nulle part ailleurs. Combien ? Certes, j’en ai vu des applications très intéressantes. Certaines ont même reçu des prix pour cela. Mais qu’a été la suite ? Que sont devenues ces applications-là ? Sont-elles aujourd’hui utilisées telles que sont utilisées Whatsapp, Instagram, Viber etc ? Pourtant, le champ d’action est vaste ! D’ailleurs, une application comme Whatsapp aurait dû être pensé par un africain car, c’est en Afrique que l’on connaît le plus de problèmes liés à la téléphonie. En Afrique, plus particulièrement au Sénégal, une grande partie des dépenses quotidiennes sont destinées aux opérateurs téléphoniques, alors que leurs réseaux laissent parfois à désirer. Nous ne comptons même plus le nombre de SMS qui sont envoyés par les jeunes, sans oublier les appels que l’on ne cesse de passer. Une application telle que Whatsapp aurait été la solution pour nombre d’africains. Mais non ! Whatsapp est pensé par des américains, utilisés par eux-mêmes, puis envoyé en Afrique. Aujourd’hui, les asiatiques, plus précisément les japonais, ont lancé leur propre application, défiant whatsapp. Il s’agit de Line. Pendant ce temps-là, nous, nous ne faisons que consommer. Inlassablement. Mais jusqu’à quand ? Quand est-ce que les occidentaux et le reste du monde se mettront-ils à consommer ce que nous, africains, auront créés ?

C’est ce constat qui m’a poussé à faire celui dont j’ai parlé plus tôt : la plupart des jeunes aspirants entrepreneurs africains ne sont intéressés que par le domaine des TIC. Paradoxalement, certains d’entre eux ont horreur des Mathématiques et/ou de la Programmation. Mais ils veulent innover dans ce domaine. S’ils parlent d’Agriculture, de Santé, d’Habillement et autres, c’est tout juste pour avoir de bons prétextes pour créer des plateformes ou des applications qui viendront, peut-être, apporter des solutions aux problèmes rencontrés dans ces domaines, mais surtout propulser leur création, qu’il s’agisse d’une plateforme web ou d’une application web ou mobile. A mon sens, l’entrepreneur tech doit – ou devrait – être un soutien pour les autres entrepreneurs, ceux-là qui ne sont pas dans les TIC. Mais si tout le monde veut être entrepreneur tech, à qui profiteront ces plateformes ou applications ? S’il n’y a pas de paysans, à quoi servira une application qui vient booster le domaine de l’Agriculture ? Cela est la raison pour laquelle j’appelle à une pause. Il faudrait revoir nos ambitions. Tout le monde n’est pas appelé à réussir dans le domaine des TIC. La preuve : Magatte Wade, Bethlehem Alemu, Malamine Kone, Babacar Ngom sont des entrepreneurs à succès, et pourtant, ils ne sont pas passés par les TIC.

L’Afrique, notre continent, connaît un véritable problème de promotion de ses marques. C’est cela que les anglophones appellent le « branding ». Nous utilisons et consommons les marques venues d’ailleurs, cependant que les nôtres propres ne connaissent aucune promotion. Mais cela ne nous alarme pas. Nous consommons et sommes contents de consommer. Nous en sommes même très fiers. Et cela commence par nos dirigeants qui se vantent de s’habiller à l’américaine, de consommer des produits occidentaux, et de rouler dans des voitures de marques occidentales. Quid de ce qui se fait chez nous ? Même leurs enfants, ils préfèrent les mettre dans des universités occidentales, parce que cela est plus valorisant. S’il y a bien une chose dans laquelle les américains excellent, c’est la vente. La vente de tout, mais surtout, de leurs marques. Pas un seul jour ne passe sans qu’on utilise un produit américain. Pas un seul. Quid de nos propres produits ? De nos propres marques ? Y a-t-il, en Afrique, des jeunes qui ambitionnent de créer une ou des marques qui vont révolutionner le monde, comme l’ont fait Bill Bowerman avec Nike, Steve Jobs avec Apple, Amancio Ortega Gaona avec Zara, ou Masaru Ibuka avec Sony ? Tous ces gens-là n’étaient pourtant partis de rien ! Ils n’avaient qu’un seul rêve : apporter quelque chose au monde ; révolutionner le monde. Certains d’entre eux sont morts, mais leur création demeure. Leurs noms continuent d’être prononcés. Il y aura des imitateurs, certes, mais ils resteront à tout jamais des créateurs, ce que j’appelle aussi des « change makers ».

La question à présent est de savoir qui voulez-vous être ? Quel type d’entrepreneur voulez-vous devenir ? Si votre ambition est de créer un autre Google, ou un autre Facebook, pour ma part, vous êtes passés à côté de la plaque. En Afrique, il y a des gens qui meurent de faim, qui n’ont pas de quoi se vêtir, ou se chausser, et qui ne cessent de baver devant les marques occidentales qui sont hors de leur portée. Que faites-vous pour ces gens-là ? Que faites-vous pour ceux qui ne peuvent s’offrir le luxe d’un ordinateur ou d’un smartphone ? Quid de ceux qui ne savent pas lire une seule ligne, et qui, pourtant, font partie de nos populations ? Là est la véritable question. On n’entreprend pas parce qu’on a une superbe idée qui va révolutionner le monde. Non. On entreprend parce qu’on a la solution à un problème que connaissent pas mal de gens, dont nous-même ; laquelle solution passe par une superbe idée qui va révolutionner des vies en les améliorant. Si ce n’est pas là votre ambition, vous n’êtes pas des entrepreneurs. J’encouragerai toujours ceux qui désirent devenir des entrepreneurs tech pour de bonnes raisons, c’est-à-dire parce qu’ils ont l’assurance d’apporter quelque chose d’innovant et d’utile à leur communauté. Mais aux autres, ceux qui veulent devenir comme untel qui a réussi, faire comme untel qui est devenu milliardaire ou qui est très connu, je ne cesserai de dire ceci : entreprendre dans les TIC, oui, mais pas seulement. Pensons, les amis. Ouvrons nos esprits

Ibuka Ndjoli a.k.a Marcus Da Writer

Entrepreneur Social – Auteur – Conférencier

CEO Da Promoter Agency & Les Littérateurs

Site web : www.dapromoter.com / http://leslitterateurs.wordpress.com

E-mail : marcusdawriter@gmail.com / leslitterateurs@gmail.com

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