2015-06-13

Le terme de gauche remonte aux des États Généraux de la Révolution française. Le 29 août 1789, lors des débats sur le veto royal à la Constituante, les députés opposés à cette mesure, parce que défendant le changement, le besoin d’un ordre nouveau, se regroupent à gauche du président du bureau, tandis que les partisans du veto royal, ceux qui veulent rester dans le statu quo pour maintenir des privilèges, se placent à droite.

La gauche représentait donc le parti du mouvement, du progrès social, du changement (par la réforme ou par la révolution). Quant à la droite, elle représentait le parti de la tradition, de la conservation  (conservatisme), de l’ordre établi, de la réaction contre le changement.

Ce qui nous permet de soutenir que les révolutionnaires qui ont siégé à gauche du bureau de la Constituante, sont simplement les héritiers d’une longue tradition de luttes pour la justice et l’égalité, pour plus de solidarité pour les pauvres dans la société. C’est pour dire que l’idée de gauche est antérieure à la naissance du concept dans le sol de l’Occident. La gauche est née d’un besoin de justice sociale, de compassion et de solidarité humaine.

De tout temps, il y a eu des hommes et des femmes de bonne volonté qui se sont battus intellectuellement, par une production littéraire ou philosophique pour dénoncer les injustices et les inégalités sociales ou par la mobilisation politique pour défendre les humbles, les pauvres, les minorités de tout bord.

I-                  Définition de la gauche

Nous pouvons faire nôtre le concept de gauche afin de l’adapter dans notre contexte sénégalais et africain en lui donnant un contenu à partir de nos propres réalités. Tout dernièrement, nous avons assisté à la grande aventure des Assises nationales, même si elles ne sont pas allé jusqu’au bout de leurs logiques, c’est une expérience que peut capitaliser notre gauche moderne et contemporaine. C’est une expérience qui avait pour but d’aller vers des ruptures majeures dans notre pays, mais elle a été noyautée par les forces réactionnaires qui ont fait avorter le projet. Ensuite, les Assises nationales n’avaient pas de forces sociales pour porter le projet qu’elles présentaient. Elles ont ressemblé en un moment à une sorte de Conférence nationale entre les élites qui s’opposaient à Abdoulaye Wade.

L’idée de gauche est très  ancrée dans notre société, elle se manifeste à travers les luttes étudiantes, les luttes syndicales qui revendiquent un ordre nouveau, elle se manifeste à travers les mouvements citoyens et sociaux qui encadrent les humbles pour leur permettre de sortir de la pauvreté, elle se manifeste à travers les homélies des Evêques qui rappellent chaque jour aux gouvernants l’exigence de soutenir et d’assister les plus démunis. Elle se manifeste à travers les mouvements de femmes qui sont sur le terrain social pour aider les femmes à sortir de la marginalité.

La gauche, pouvons-nous dire, est un discours pour les pauvres et les minorités exclues. Si vous êtes homme de gauche, vous êtes avec les pauvres. Car c’est un instrument de « positionnement radical » par rapport et contre les forces réactionnaires et conservatrices dans la société, par rapport et contre les classes dominantes.  Comme dit le président Hugo Chavez : « Être de gauche, c’est vouloir la société juste ».

La gauche n’est donc pas le marxisme ni le communisme. Elle est antérieure au marxisme et au communisme, plus vaste que le marxisme et le communisme. Le marxisme et le communisme ont été  simplement des « hypothèses » pour la réalisation sur terre de l’idée de gauche. La gauche dépasse le cadre des partis politique. Elle est partout dans la société où des hommes et des femmes de bonne volonté refusent la fatalité et se battent pour un ordre nouveau.

Ce qui fait que nous pouvons avoir des hommes politiques de gauche (ceux qui sont dans les partis), des militants de gauche (ils s’activent dans les mouvements sociaux, ce sont souvent de simples hommes de bonne volonté qui ne sont dans aucune organisation politique), les intellectuels de gauche (des hommes et des femmes de sciences qui se battent par leur plume pour dénoncer la misère des pauvres et les injustices de toute sorte engendrées par le capitalisme), le peuple de gauche (les couches populaires qui pataugent dans la misère sociale et tous les hommes et femmes progressistes qui luttent qui protestent pour un ordre nouveau).

La gauche est un besoin et une construction d’une alternative à la politique néolibérale sauvage qui a installé le monde dans une crise sans précédent. Ce qui nous amène à définir ce que signifie aujourd’hui la gauche avec la sociologue chilienne M. Harnecker, dans Amérique latine, laboratoire pour un socialisme du XXIe siècle. Elle soutient que nous considérons comme gauche « l’ensemble des forces qui luttent pour construire une société alternative au système capitaliste exploiteur et à sa logique de profit, une société de travailleurs et de travailleuses organisée selon une logique humaniste et solidaire, destinée à satisfaire les besoins humains ; une société délivrée de la pauvreté matérielle et des misères spirituelles qu’engendre le capitalisme ; une société qui ne se décrète pas d’en haut, mais qui se construit d’en bas, où le peuple est partie prenante, c’est-à-dire une société socialiste ».

La meilleure définition de l’idée de gauche, je l’ai trouvée chez Maurice Agulhon, un grand historien de la Révolution de 1848, dans un des ses articles, « Qu’est-ce que la gauche ? ». Il répond : « La gauche s’est constituée dans l’histoire à partir de la philosophie des Lumières, dans sa plus  large acception : faire le bien (et d’abord le définir) à partir des critères de la raison humaine, accessibles à tous (sans « révélation » religieuse), acceptables pour tous (universels dans leurs portée) et applicables à tout (gouvernement des sociétés compris).

Ce qu’on peut traduire par la formule toute simple : « appliquer la morale à la politique » en entendant, naturellement, par « morale » la morale kantienne ». La gauche est un besoin de justice dans notre monde gouverné par les logiques du profit, de l’appât du gain. C’est un discours qui réinstalle la question de la justice sociale au cœur de l’économie politique et la philosophie politique. C’est une préoccupation permanente d’une société gouvernée par des principes de justice susceptibles d’être acceptés par tous les membres de la coopération sociale. Parce que ce sont des principes qui protègent les riches et les pauvres.

II-               Être de gauche

Être de gauche, c’est entrer en rébellion contre un état de fait présenté comme horizon indépassable qui demanderait aux hommes de se plier et de considérer l’ordre établi et comme un « présent permanent ». C’est engager nos efforts dans une « invention de l’avenir » et refuser « une gestion à courte vue du présent ». Être de gauche, c’est porter un discours du refus, le discours d’un « indigné » pour un autre monde plus juste et plus humain. C’est une option optimiste sur les énergies inépuisables de l’homme qui peut toujours vaincre le monstre de la violence, de la barbarie, de l’obscurantisme et des iniquités sociales.

Ce qui fait dire à Dionys Mascolo dans Sur le sens et l’usage du mot « gauche » : « Est de gauche…tout refus, même partiel, de ce qui est. Tout jugement, tout acte qui peut être dit de gauche a ce sens : c’est refuser un certain aspect de ce qui est. Il est une contestation, timide ou radicale, fortuite ou systématique, de ce qui se présente comme établi. Il nie quelque chose de ce qui tente de s’imposer comme non dépassable, comme impossible, comme interdit.

Tout acte de gauche a ce sens : il est le refus d’une limite établie. Toute réflexion de gauche a ce sens : elle est la négation d’une limite théorique. Toute sensibilité de gauche a ce sens : le dégoût des limites, théoriques ou pratiques. Toute exigence de gauche est l’exigence, même insensée, de dépasser une limite reconnue comme limite ». L’horizon des possibles n’est jamais épuisé. L’homme  peut toujours davantage monter vers le ciel. Être de gauche, signifie une volonté de dépassement d’un ordre établi pour un ordre nouveau, plus juste et plus humain, capable de répondre aux aspirations des plus humbles qui vivent sur cette terre.

C’est un combat de tous les jours pour rendre « la terre plus habitable ». C’est le mouvement quotidien des hommes et des femmes de bonne volonté  travaillant pour l’apaisement des souffrances des masses populaires jetées dans la misère sociale et réduites à vivre dans un système d’exploitation mis en place par les classes riches. Être de gauche, c’est refuser de capituler devant la violence inouïe des puissances financières, refuser l’idée que le dieu argent peut tout et tout est au service de l’argent.  La  gauche est une mobilisation de tous les jours, une lutte acharnée pour l’émancipation du peuple, des forces populaires. Elle est une réhabilitation et un rappel des valeurs morales qui doivent gouverner la société des hommes.

Être de gauche, c’est lutter contre tout système d’exploitation de l’homme  par l’homme, c’est lutter contre le système capitaliste qui enfonce l’homme dans la misère et accroit les inégalités et les injustices sociales, c’est travailler pour une autre alternative politique, économique et sociale, plus humaine et plus juste. Être de gauche,  c’est être avec le peuple, c’est se mobiliser pour les couches populaires, c’est travailler à corriger les inégalités sociales, c’est être pour la justice sociale, c’est lutter contre le paradigme utilitariste du néolibéralisme : l’homme au service  de l’économie. Au contraire, c’est l’économie qui doit être au service de l’homme.

C’est comprendre que les valeurs de l’écologie font partie du patrimoine de la nouvelle politique qui refuse de laisser le monde entre les mains des logiques capitalistes qui ne sont que des logiques du profit et du gain ; la nature doit être protégée pour nous et pour les futures générations. Être de gauche, c’est récuser toute forme d’exclusion et de discrimination dans la société. Il n’y a pas d’exclusion juste ou justifiée. Etre de gauche, c’est refuser toute forme de totalitarisme et d’autoritarisme, c’est être pour la démocratie, la tolérance et le pluralisme.

Ce qui fait dire à M. Walzer dans La soif du gain : « En tant que homme de gauche, je dirai que le bien est conçu et poursuivi par des militantes et militants dans des mouvements hostiles à l’autoritarisme et à la hiérarchie ; dans des associations dont les membres s’engagent librement les uns envers les autres, et envers d’autres encore ». Être de gauche, c’est lutter contre la violence de la guerre qui menace dangereusement notre humanité ; c’est choisir le camp de la paix.

C’est suivre le mot d’ordre Jean Jaurès : « C’est pourquoi nous, les travailleurs et les socialistes de tous les pays, nous devons rendre la guerre impossible en jetant notre force dans la balance de la paix ». Le capitalisme est synonyme de la guerre. C’est aussi la position de Léon Blum qui écrit, dans ouvrage, Pour être socialiste : « Entre le capitalisme et la guerre il existe comme un rapport de connexion nécessaire, que ces deux puissances de mal naissent l’une de l’autre et ne disparaîtront que l’une avec l’autre ».

Être de gauche, c’est être internationaliste, soutenir toutes les luttes progressistes, de partout dans le monde, travailler à la solidarité et à la fraternité humaine. Être de gauche, c’est travailler à la réhabilitation de l’Utopie, dans un monde épuisé qui travaille à nous enfoncer dans la fatalité, la paresse et la croyance d’une fin de l’histoire. Une société sans utopie est condamnée à mourir de froid. Une société sans utopie est une société vieillissante.

Les sociétés jeunes sont portées naturellement vers l’utopie. Et le philosophe allemand E. Bloch nous invite à retrouver le sens de l’utopie. Car nous vivons dans un monde avec des possibilités immenses. « BEAUCOUP DANS LE MONDE N’EST PAS ENCORE CLOS. » Être de gauche, c’est explorer les immenses possibles qui s’offrent à l’homme. Être  de gauche, c’est avoir la volonté de rendre possible l’impossible.

babacar.diop1@gmail.com

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