Est-il normal que le coût des interventions d’un avocat soit vingt fois supérieur au coût du litige pour lequel on le saisit ? Cette question, que la jurisprudence, à la différence du bon sens, n’a pas encore tranchée, un couple l’a posée au bâtonnier de Marseille, Me Erick Campana, en 2014. M. et Mme X se sont plaints de ce que, pour une banale affaire de clôture, dont la réparation, s’ils l’avaient acceptée, leur aurait coûté quelque 10 000 euros, ils aient déboursé 200 000 euros de frais de justice, dont 143 000 euros d’honoraires.
Après avoir fait construire une maison sur un terrain en pente, ils sont assignés par leur voisine du dessus, en août 2006. Elle les accuse d’avoir prélevé la terre qui se trouvait sous leur clôture commune et d’avoir provoqué l’effondrement de celle-ci. La juge des référés propose une expertise judiciaire, afin de départager les responsabilités. « Nous l’acceptons tous, si bien que la juge l’ordonne le 12 septembre », indique au Monde M. X. « Mais, par prudence, je demande à Me Y, le fils de vieux amis, de nous assister. A ma grande surprise, il décide de contester le recours à l’expert, dont il estime qu’il nous sera défavorable. »
Requête rejetée
Me Y réclame ainsi l’arrêt de l’exécution provisoire de l’expertise, en invoquant une violation manifeste du principe du contradictoire ; sa requête est rejetée par le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, compte tenu de l’accord préalable des parties. Qu’à cela ne tienne, Me Y se pourvoit… en cassation, où il essuiera un nouvel échec, un an plus tard – coût pour son client : 2 000 euros d’amende plus 2 500 euros de remboursement de frais d’avocat à la voisine.
Pour une banale affaire de clôture, dont la réparation leur aurait coûté quelque 10 000 euros, un couple a déboursé 200 000 euros de frais de justice, dont 143 000 euros d’honoraires.
L’expert ayant convoqué les parties le 12 juin 2007, Me Y, assisté d’un huissier, lui refuse l’accès au terrain, du côté de son client. L’expert rédige tout de même un rapport préconisant que M. X construise à ses frais un mur de soutènement. Me Y demande la nullité du rapport d’expertise, sans succès. Il tente de récuser les magistrats qui lui ont opposé un refus, et perd. Il essuiera ainsi dix-sept condamnations en huit ans. Les X saisissent alors le bâtonnier en assurant que leur confiance a été abusée. « Pas du tout ! », proteste Me Y : chaque procédure a été engagée avec l’autorisation expresse de ses clients qui, pendant huit ans, lui ont signé quinze mandats d’extension de mission.
Me Campana juge que son confrère n’a pas abusé de la confiance de ses clients, mais qu’il a manqué à ses obligations déontologiques en s’abstenant de leur déconseiller d’entreprendre une multitude de procédures dont le coût se révèle « disproportionné » par rapport au montant du litige. Il le condamne à leur rembourser près de 113 000 euros, en 2015.
« Des mandats d’extension de mission »
Le premier président de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, que Me Y saisit aussitôt, infirme sa décision : les clients ne sont pas fondés à réclamer la réduction d’honoraires disproportionnés, s’ils les ont payés sans broncher. « Dès la seconde facture du 25 juillet 2007, d’un montant de 14 352 euros, venant après une provision de 3 588 euros, les époux X pouvaient se rendre compte de l’importance des honoraires réclamés, eu égard à l’enjeu du litige… », constate-t-il, dans une ordonnance en date du 28 juin. Or, poursuit-il, « ils ont continué à signer des mandats d’extension de mission (…) sans émettre une quelconque critique ». Pourtant, les facultés mentales des X, dont il précise qu’ils ont été respectivement ingénieur et professeur, ne sont pas altérées.
A l’inverse du bâtonnier, le magistrat refuse de juger si Me Y a manqué à son devoir de conseil : un tel grief « relève de la responsabilité professionnelle de l’avocat, sur laquelle il n’appartient pas au juge de l’honoraire de se prononcer », explique-t-il. Le juge compétent, auquel il conviendrait que les X posent la question, est celui du tribunal de grande instance. C’est à lui aussi que les X pourraient réclamer l’allocation de dommages et intérêts, en se fondant cette fois sur la jurisprudence existante, qui dit que l’avocat commet une faute lorsqu’il engage des procédures inutiles, ou n’ayant aucune chance d’aboutir.
Procédure inutile
En effet, dans leur affaire, elles sont pléthore. Lorsque, par exemple, Me Y demande l’autorisation de faire appel d’une ordonnance de référé, il engage une procédure inutile, au regard du code de procédure civile (article 490). Lorsqu’il défère au Conseil d’Etat le refus que lui oppose le premier ministre d’ajouter à ce code un article sur les effets dans le temps des jugements d’incompétence, il engage une procédure inutile, puisqu’un tel article serait sans effet sur la situation de son client.
Lorsque Me Y fait appel de la désignation de l’expert, il engage une procédure inutile, puisque le juge ne peut trancher une difficulté technique sans l’avis d’un homme de l’art. Lorsqu’il bloque tout jugement au fond pendant huit ans, privant ainsi ses clients d’une solution rapide à moindre coût, il engage une procédure non seulement inutile, mais aussi nuisible.
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