Malgré le « mur », la #Hongrie est plus que jamais traversée par les migrants
Le mur de barbelés dressé pour fermer la frontière avec la Serbie est aisément contourné. Jamais autant de migrants n’ont traversé la Hongrie, plus de 70 000 depuis que ce pays est officiellement bouclé ! Passés par la Croatie, les réfugiés sont aussitôt conduits vers l’Autriche par les autorités hongroises.
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L’article complet :
9 septembre 2015 | Par Corentin Léotard
Le mur de barbelés et de grilles dressé pour fermer la frontière avec la Serbie est aisément contourné. Jamais autant de migrants n’ont traversé la Hongrie, plus de 70 000 depuis que ce pays est officiellement bouclé ! Passés par la Croatie, les réfugiés sont aussitôt conduits vers l’Autriche par les autorités hongroises qui multiplient les pressions sur l’Allemagne et l’Union européenne.
Budapest, correspondance.- Le 15 septembre, la Hongrie faisait entrer en vigueur un arsenal législatif très coercitif et bouclait son mur de grilles et de barbelés sur la frontière avec la Serbie pour fermer la principale porte d’entrée dans l’espace Schengen. Sous l’œil des caméras du monde entier, cette opération de communication poursuivait un double objectif : montrer à sa population que le gouvernement n’avait pas perdu le contrôle de la situation ; dissuader les candidats à l’exil et les migrants de passer par la case Hongrie.
Or depuis ce jour, la forteresse hongroise a déjà vu passer près de soixante-dix mille personnes ! Cette fois, via la Croatie (voir les statistiques de la police hongroise).
Quelques migrants continuent de se présenter aux points d’entrée officiels de la frontière hungaro-serbe, mais leur demande d’asile est expédiée, en violation flagrante avec les directives européennes, selon le rapport détaillé rédigé par le Comité Helsinki. Quant à ceux qui se risquent à passer les barbelés, ils sont conduits en garde à vue puis expulsés du pays avec en prime une interdiction d’une ou deux années de se représenter dans l’espace Schengen. Comme attendu, la nouvelle législation qui criminalise le franchissement de cette clôture n’entraîne jamais, dans les faits, les peines de prison prévues par la loi.
Avec le « mur » le long de la frontière serbe, les Hongrois ont donc réussi à dévier le flux vers l’Ouest… mais pas autant qu’ils l’espéraient. Car au lieu d’ouvrir une nouvelle route migratoire vers la Slovénie puis l’Autriche, les Croates reconduisent immédiatement en bus les migrants jusqu’à la frontière hongroise beaucoup plus proche. Non sans créer des remous diplomatiques. Furieuses, les autorités hongroises n’ont pas d’autre choix que de laisser entrer et prendre en charge ces dizaines de milliers migrants.
Les Hongrois avaient « forcé » la frontière autrichienne au début du mois de septembre, c’est maintenant au tour des Croates de faire de même avec la frontière hongroise. Les autorités hongroises les enregistrent puis, à leur tour, les acheminent en bus jusqu’à la frontière autrichienne, sous escorte militaire. Des milliers de soldats ont été déployés pour appuyer les opérations de la police, équipés de quelques blindés et de fusils d’assaut chargés avec des balles en plastique pour dissuader toute tentative de passage en force des migrants… et pour satisfaire (partiellement) les exigences du parti néonazi Jobbik.
Il n’est donc plus question pour le premier ministre Viktor Orbán de jouer le pourrissement – il s’est engagé à « ramener l’ordre avant Noël » – et de laisser des milliers de personnes en perdition dans la capitale. Budapest a été vidée des migrants au début du mois et à la gare de Keleti, le point chaud au plus fort de la crise au mois d’août, la population habituelle des sans-abri a repris ses quartiers, squattant les tentes placées à même le bitume pour les réfugiés. Désormais, la crise migratoire doit se passer loin des regards et l’hystérie dans les médias publics à la botte du pouvoir est retombée, comme si la crise appartenait déjà au passé.
Budapest achemine donc les réfugiés, mais veut continuer à se montrer intraitable. Les quarante kilomètres de « frontière verte » avec la Croatie (aux rares endroits où elle ne s’appuie pas sur l’obstacle naturel de la rivière Drave, affluent du Danube) devraient être ceints de barbelés d’ici deux semaines. Manœuvre tactique ou revirement pragmatique, le gouvernement Orban a proposé cette semaine la création d’un corridor entre les pays des Balkans et l’Allemagne, via la Hongrie. « Si on ne nous soutient pas dans cet effort [de faire respecter les accords de Schengen], que l’on nous indique clairement que l’accord de Schengen n’est plus contraignant, et nous devrions alors organiser un corridor par lequel les migrants peuvent atteindre l’Autriche et l’Allemagne. » C’est aussi une menace : si l’Autriche et l’Allemagne ne soutiennent pas la Hongrie dans son rôle de gardienne de la frontière Schengen, qu’elles en assument les conséquences.
Il est vrai que, vu de Budapest qui a la charge de contrôler la frontière externe de l’espace Schengen, les positions allemandes (et autrichiennes) ont souvent été ambiguës et contradictoires. Les messages d’accueil émis par Berlin tout en pressant, en coulisses, la Hongrie de faire appliquer rigoureusement les règles Schengen et Dublin, ont placé les autorités hongroises dans une situation intenable. Heureusement, les dérapages tant redoutés de la police ne se sont pas produits à ce jour, et même les opposants les plus virulents à Orbán concèdent que la police hongroise fait preuve de professionnalisme et de retenue.
Par l’intermédiaire de János Lázár, qui lui est proche, le premier ministre hongrois tire à boulets rouges sur la chancelière allemande et ses déclarations « irresponsables ». Il dénonce « l’impérialisme moral » allemand, mais fait mine lui-même de vouloir aider de son mieux l’Allemagne qui se trouve « dans une situation délicate ». Signe que le gouvernement Orbán reste encore sous contrôle, des barbelés tirés à la hâte sur des sections de la frontière entre la Hongrie et la Slovénie ont été tout aussi subitement retirés, comme l’a raconté RFI. Faut-il y voir une intervention de Bruxelles, la Slovénie appartenant elle aussi à l’espace Schengen ?
Une enquête publiée par l’Institut Publicus suggère que, si la population hongroise est majoritairement opposée à l’idée d’accueillir des réfugiés (55 %), elle ne cède pas totalement à la propagande gouvernementale. Deux tiers des Hongrois estiment qu’aider les migrants est un devoir moral. Selon Publicus, l’opinion publique se montre modérément satisfaite de la gestion de la crise par le gouvernement Fidesz. Le parti du premier ministre, Fidesz, reste de loin la formation politique la plus populaire, mais avec une abstention très forte, moins d’un quart de l’ensemble de l’électorat le soutenant réellement.